la période 1972-1981. (Temps1)

En faisant construire en 1965, près des Gratte-Ciel, un lycée classique et moderne qui reçut le nom du résistant Pierre Brossolette, le maire de Villeurbanne déclarait le caractère urbain d'une commune qui comptait 120 000 habitants 141 . Déjà pourvue d'un lycée technique industriel, elle possédait désormais un établissement destiné à recevoir de la 6e à la terminale 1500 futurs bachelier(e)s. La population ouvrière y restait certes prédominante (48,9% d'ouvriers dans la population active en 1968), mais le nombre des employés avait progressé en même temps que la diversification des emplois (18,9%), et quelques cadres moyens et patrons de l'industrie et du commerce y résidaient (12,5% et 9,3%).

‘L'importance de l'engagement — politique, économique, symbolique — de la municipalité dans l'édification du lycée transparaît dans les lignes qu'on pouvait encore lire, au tout début des années 1970, à la première page de la brochure distribuée au personnel lors des rentrées scolaires : "Le lycée mixte municipal Pierre Brossolette a été construit en 1965 par messieurs Salagnac, architecte de conception, Degaine, architecte de construction, sous le mandat de monsieur Gagnaire, maire de Villeurbanne, et l'autorité de monsieur Barboyon, directeur des services techniques de la ville."’

Quelques années plus tard, les réformes Berthoin-Fouchet se sont traduites sur le terrain par la construction dans la commune de plusieurs CES. Le lycée Brossolette a fermé ses classes du premier cycle — 9 classes de 3e étaient supprimées en 1970, les dernières l'année suivante. De lycée municipal, l'établissement devint un lycée nationalisé au large secteur de recrutement.

En 1972, sept ans après son ouverture, le lycée polyvalent général et technique, ou plutôt tertiaire (sections G1, G2 et G3), accueillait des élèves orienté(e)s dans les sections existant précédemment, 2de A, 2de C et 2de AB, et recrutés dans une zone géographiquement et socialement hétérogène. Au sud, le bâtiment était jouxté par les quartiers centraux de Villeurbanne, alors rénovés par des opérations immobilières, importantes comme celle de la Perralière ou plus réduites, bientôt desservis par le métro, où s'installaient des résidents de couches moyennes en ascension; au nord et à l'est, s'étendait une vaste plaine chevauchant les communes de Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Décines et Meyzieu, où s'achevaient des programmes de construction de cités HLM et de co-propriétés bon marché destinées aux populations doucement chassées des centre-villes. Les enquêtes de 1973-74 et de 1976-77 sur l'origine sociale des élèves de 2de, indiquent que l'établissement accueillait alors 60% d'élèves de CSP populaires et 40% de CSP moyennes 142 .

‘En 1973, la population comprenait une proportion d'enfants de cadres supérieurs et moyens proche de la moyenne nationale de 1980 (33,9% pour 35,2%), moins d'enfants d'indépendants (5,7% pour 10,6%), plus d'enfants d'employés (17,9% pour 12,7%) et surtout d'ouvriers (38,5% pour 27,3%). En 1976, le poids des cadres supérieurs augmente et atteint 24,5% tandis que celui des cadres moyens se réduit à 9%, la proportion globale restant la même. L'afflux surprenant de cadres supérieurs n'est confirmé ni dans une population de 142 élèves scolarisés en 1e (D, G2, B et A) entre 1976 et 1979, ni dans la population non maghrébine de l'échantillon de 125 élèves scolarisés en 1979 (On s'intéressera ultérieurement à cet échantillon). Dans les deux cas les proportions respectives sont d'environ 12% de cadres supérieurs et 21% de cadres moyens. Les premiers se sont plus souvent déclarés cadre administratif ou commercial, ingénieur que profession libérale, intellectuelle ou cadre de la fonction publique; les seconds, plus souvent représentant, technicien ou contremaître qu'instituteur. Il s'agit d'une classe moyenne proche de son origine populaire plutôt que d'une classe d'héritiers. Il est vraisemblable que les confusions entre les désignations — ignorance chez les élèves des catégories de l'INSEE, surestimation de la position professionnelle du père — aient été fréquentes. ’

Lors de la première enquête, l'hétérogénéité sociale, accentuée par l'inégale proportion de filles et de garçons dans les deux sous-populations (80% de filles dans la première, 65% dans la seconde), se traduisait scolairement par la tendance à une bipolarisation des filières — à un pôle, parmi les 56% de garçons orientés en 2deC, 34,5% étaient de CSP "moyennes" , à l'autre, parmi les 60% de filles orientées en 2deAB, 46% étaient de CSP populaires. Cette tendance était tempérée par la présence dans les deux filières d'élèves des deux sexes provenant des deux milieux. Si on néglige provisoirement la petite section A et ses 10% d'élèves, les 90% élèves restants se répartissaient ainsi :

CSP «populaires» «moyennes»
2de C 15% 20%
2de AB 40% 15%

Une double population coexistait donc dans l'établissement; des filles et des garçons de classes moyennes et éventuellement populaires fréquentaient les sections C et AB d'un lycée «général», une population représentant la majeure partie des filles et la moitié des fils d'ouvriers et d'employés fréquentait la section AB d'un lycée «technique».

La seconde enquête montre la stabilité proportionnelle des deux catégories de population ainsi qu'un net rééquilibrage de la proportion filles/garçons dans la sous-population issue des CSP populaires (la proportion de garçons passe de 20% à 32%). Les garçons orientés en 2deC sont proportionnellement un peu moins nombreux (52%), et plus souvent de CSP populaires que de CSP moyennes (29,5% pour 22%). Le remaniement, non confirmé l'année suivante, fait voir que, dans le contexte de l'établissement, les filles bénéficient momentanément du maintien des garçons hors de l'enseignement général, notamment hors des sections scientifiques 143 . Mais l'originalité de l'établissement vient moins de la proportion inégale des filles et des garçons, que de la proportion 60% CSP populaires/40% CSP moyennes Alors qu'à l'échelle nationale les catégories supérieures ont regagné, dans le second cycle, le terrain perdu au début des années 1950, dans ce lycée, les jeunes d'origine populaire sont légèrement majoritaires.

Les dirigeants de l'établissement ont mené délibérément une politique visant à maintenir équilibrés les deux pôles de l'enseignement «secondaire» et de l'enseignement technique tertiaire. Elle passait par l'endiguement en seconde du nombre de filles s'orientant vers la filière G, comme le montre un examen de l'évolution du schéma organisationnel entre 1972 et 1975 144 .

1972 - 468 élèves dont 348 filles, soit 74% ’ ‘16 divisions, 8 en AC (2 en A, 6 en C) et 8 en AB.’ ‘ 1973 - 457 élèves, effectif diminué de 1 garçon et 10 filles’ ‘16 divisions, reconduction du schéma.’ ‘ 1974- 501 élèves, 40 filles de plus, resserrement en C et forte croissance en AB, ’ ‘16 divisions = déséquilibre, 7 en AC (2 en A, 5 en C ) et 9 en AB.’ ‘1975 - 433 élèves, 30 garçons de plus, 98 filles de moins, soit 65%. resserrement en AB.’ ‘14 divisions = rééquilibrage, 7 en AC (2 en A, 5 en C) et 7 en AB. ’

L'objectif visé impliquait une limitation des effectifs justifiée par la superficie des locaux. Prévu pour 1500 élèves des deux cycles, le bâtiment ne pouvait plus en accueillir que 1350 environ lorsque furent installés les équipements techniques devenus indispensables 145 . Des effectifs de 500 élèves en 2de, comme en 1974-75, étaient donc trop élevés. La stratégie consistait à favoriser un recrutement régulier d'élèves en 2de A et en 2de C, et à encourager les élèves moyen(ne)s de 2de AB à entrer en 1eB indépendamment de leur origine sociale. Des initiatives furent prises dans ce sens. Tenter de disputer quelques élèves de de 2de C au prestigieux lycée lyonnais voisin était inopérant 146 . Une voie plus efficace fut de renflouer la section A en proposant des options de langues. Les apprenti(e)s latinistes se faisaient rares. Dans l'établissement étaient enseignées les langues vivantes modales, l'anglais et l'allemand, l'espagnol et l'italien. Tout d'abord fut demandée et acceptée la création d'une 2de A5 (LV3 italien) et d'une 2de A3 (LV2 débutant espagnol ou italien), cette dernière section permettant d'accueillir dans des classes dites «littéraires» des élèves qui n'avaient pas choisi LV2 en option au collège. Ensuite ont été introduites des langues dites «rares». Non le russe comme il avait été demandé par le proviseur, mais l'hébreu et en 1976 l'arabe. Cette date coïncidait avec l'arrivée à l'adolescence de jeunes maghrébin(e)s le plus souvent algériennes, dont les pères ou dont les parents avaient émigré en France dans les années 1950, ou les parents à partir de 1963, et dont un nombre non négligeable résidait dans le secteur de l'établissement. Elle marque l'arrivée au lycée non plus de quelques élèves maghrébins isolés comme c'était le cas jusqu'alors, mais d'une petite sous-population 147 , majoritairement féminine comme la population globale.

L'arrivée de cette population a contribué à stabiliser la structure des 2des en enrayant la diminution des effectifs de 2de A 148 . Passés de 51 élèves en 1972 à 43 en 1973, ils étaient remontés à 67 en 1978. Au même moment, on enregistrait une chute importante des effectifs en 2de AB ( 232 élèves en 1977 et 169 l'année suivante ), effet mécanique de l'ouverture d'un lycée neuf à Décines, donc de la réduction du secteur de recrutement du lycée Brossolette. Le déséquilibre conjoncturel donnait l'avantage au versant des sections «secondaires», mais au prix d'une réduction excessive des effectifs (12 divisions : 7/5). La réduction fut compensée dès 1980 (13 divisions : 7/6) . Depuis le renflouement de la 2de A, on comptait environ 230 élèves dans l'ensemble formé par les secondes A et C, et moins de 200 élèves en en seconde AB.

Il était logique que les proportions aux niveaux suivant la 2de fussent homologues. En 1972, les effectifs de 1e et terminale réunis, scolarisés dans les sections générales, étaient de 630 élèves. Lors des trois années choisies pour figurer la période (1977, 1979 et 1981), ils restaient parfaitement stables, après une diminution d'une quarantaine d'élèves : la diminution des effectifs dans les sections A et C-D était partiellement compensée par leur croissance dans la section B. Par ordre ascendant on comptait plus de 120 élèves en A, près de 200 en B, au moins 250 en C-D. Les effectifs de la filière G pouvaient varier de façon plus ample, mais ils étaient autant que possible contenus en deça de 250 élèves. La filière C-D demeurait donc la filière proportionnellement la plus peuplée. Comme dans les «lycées lyonnais».

Observer séparément au niveau 1e-T la population des filles et celle des garçons rend sensible à la fois la supériorité numérique des filles par rapport aux garçons et la dissymétrie de leur répartition dans les quatre filières, littéraire (section A), économique (section B), scientifique (sections C et D) et tertiaire (filière G) 149 . Le service rendu à l'établissement par les unes et par les autres n'a pas été le même. Les filles (dont la proportion globale a varié entre 70% et 66%) ont pourvu à la stabilité du schéma organisationnel : que les effectifs globaux augmentent ou diminuent, environ 40% d'entre elles fréquentaient les sections A et B et plus de 20% les sections scientifiques CD, soit plus de 60% les sections générales. Les garçons, toujours un peu plus nombreux que les filles dans les sections scientifiques, ont empêché que ces sections ne soient neutralisées dans un ensemble quasi-indifférencié de sections générales. Mais leur répartition variait selon les années. On en trouvait entre 50% et 43% dans la filière scientifique, entre 16% et 30% dans la section B, entre 30% et 20% dans la filière G, la seule constante étant qu'ils fréquentaient la section A à moins de 10%.

Notes
141.

Je me réfère à M. Bonneville (1978), pp. 137-139. Les chiffres cités sont ceux des recensements de 1968 et 1975.

142.

Cf annexes, pp. 36-38. On a regroupé les CSP 1artisan-commerçant, 2cadre supérieur, 3cadre moyen dans une catégorie "moyenne" et les CSP 4employé, 5ouvrier, 6autres dans une catégorie "populaire". Le parallèle avec la population non maghrébine de l'échantillon (1979-80) indique que la catégorie "autres" désigne parfois des pères inactifs (invalides, retraités) ou au chômage, plus souvent des pères absents. Dans ce cas les mères sont majoritairement soit sans activité professionnelle, soit ouvrières ou employées.

143.

Le rééquilibrage du ratio filles/garçons dans la population de catégories populaires est en rapport avec l'arrivée, l'année de l'enquête, de 23 filles et de 15 garçons d'origine maghrébine. En revanche, l'arrivée dans la commune de nouveaux résidents de catégories moyennes n'augmente pas leur proportion dans la population du lycée, la plupart des arrivants n'étant pas parents d'enfants en âge d'entrer en 2de. Le recensement de 1975 indique par exemple que les nouvelles constructions du centre ville, l'ensemble de "la Perralière", les immeubles résidentiels "2e avenue", "Villeurbanne II", accueillent une population jeune, mobile, active, qui n'a pas d'enfants ou des enfants jeunes. Cf. M. Bonneville (1978), pp. 244-256. Le recensement de 1981, qu'à cette date, dans les quatre quartiers INSEE entourant l'établissement, toutes CSP confondues, sont scolarisés seulement 220 jeunes nés en 1963 (140 filles et 80 garçons), donc susceptibles de fréquenter une terminale. D'autre part, la chute des effectifs en 2de C et 2de A a pu être accentuée par des décisions individuelles de scolariser les enfants dans un établissement moins populaire, privé ou public.

144.

Sur l'évolution du schéma des secondes de 1972 à 1980, cf. annexes, p. 39.

145.

Salles de bureau, bientôt salle d'informatique, laboratoire de langues, rénovation des salles spécialisées de physique-chimie et sciences naturelles.

146.

A la suite d'une lettre émanant d'une section syndicale du lycée Brossolette et accusant de façon semi-voilée ce lycée d'accaparer indûment des élèves de C, son Proviseur, dans une lettre du 20-07-1972 adressée au Recteur, reconnaissait avoir cédé à la pression de professeurs pour admettre dans son établissement 5 garçons scolarisés dans un collège de l'est de Villeurbanne, et manifestait un doute ironique que l'avenir du lycée Brossolette fût "compromis par cette ponction". Il signalait que dans son lycée aussi les classes de A disparaissaient... "faute de candidats".

147.

Entre 1975 et 80 entre 23 et 49 (ou 51) nouveaux élèves d'origine maghrébine chaque année Cf. annexes p. 46-47

148.

Sur l'évolution des 2des et des 1e-Term., cf. annexes, pp. 39-40.

149.

Cf. annexes, p. 41.