les élèves maghrébins, une sous-population spécifique?

De 1976 à 1992, des élèves maghrébins ont fréquenté le lycée. Ils ont représenté en moyenne 9% des effectifs de 2de dans la première période, 19% dans la seconde Par rapport à l'ensemble de la population, ces enfants de migrants se classent beaucoup plus massivement dans les CSP populaires — 93% dans la première période, 96% dans la seconde —, mais ils ne s'en distinguent guère quand on observe l'évolution du ratio filles/garçons — 68% de filles en moyenne dans la première période et 61% dans la seconde 154 . Doit-on les considérer, d'un point de vue scolaire, comme une sous-population spécifique? Pour répondre, on fera un détour.

Remarquons tout d'abord qu'ils sont loin d'être les seuls élèves du lycée dont les parents sont des migrants. Pendant la première moitié des années 70, étaient recensés chaque année entre 15 et 30 élèves de nationalité espagnole, à peu près autant de nationalité italienne, ainsi que de nationalité algérienne, marocaine ou tunisienne, et des élèves de nationalités variées en plus petit nombre. A partir de 1976-77, année où a été introduit l'enseignement de l'arabe, le recrutement des élèves maghrébins a dépassé de beaucoup les limites du secteur géographique rattaché à l'établissement, et leur relative importance numérique les a visibilisés. Cela ne suffit pas à les constituer en sous-population. L'angle d'approche qu'on a choisi est de comparer la distribution dans les différentes filières des élèves maghrébins de chaque sexe à celle des effectifs globaux 155 .

Dans Temps1, entre leur orientation en 2de entre 1976 et 1980 et celle de la population globale en 1976,on observe des décalages qui ne sont pas réductibles à la différence des CSP, et qui ne sont pas homologues selon qu'il s'agit des garçons ou des filles. La comparaison de l'orientation des garçons maghrébins avec la population masculine globale donne des résultats presque similaires, qu'on limite cette population aux CSP «populaires» ou qu'on l'étende à toutes les CSP — on trouve 16% ou 18% de maghrébins en moins en 2deC, 15% ou 17% de plus en 2deAB. Il en va autrement des filles maghrébines. Elles sont proportionnellement aussi peu nombreuses en 2de C que les filles de milieux populaires — 17% et 18% —, mais moins nombreuses qu'elles en 2de AB où leur proportion équivaut à celle de la population globale — 57% et 58% — et plus nombreuses que toutes les autres dans la section A où elles sont 26% pour 16% ou 15%. L'interprétation qu'elles ont contribué à renflouer la section et du même coup l'enseignement «secondaire» dans l'établissement se confirme.

‘La grande majorité des élèves maghrébins orientés en 2de A et C (75% ou plus) viennent de la filière I de collège et ont étudié deux LV. Les filles orientées en 2de C sont toutes "à l'heure", celles de 2de A ont un an de retard, celles de 2de AB, deux ans de retard; les garçons ont un an de retard, qu'ils soient en 2de C ou en 2de AB. Cela dit, quelques filles venant de la filière II, ayant étudié une seule LV et en retard d'une ou plusieurs années ont été orientées en 2deA (n=4) ou en 2deAB (n=16).’

Pour pouvoir comparer l'évolution de la distribution des filles et des garçons maghrébins dans les différentes filières de Première et Terminale avec celle de la population globale, on a construit à partir des listes de classes un tableau qui permet de mettre en perspective les variations de la répartition des élèves fillles et garçons des deux populations dans les différentes sections, avant et à partir de la réforme Haby. Les proportions s'homogénéisent du point de vue de l'origine, elles se différencient du point de vue du sexe. Les pourcentages ont seulement une valeur indicative étant donné la faiblesse des effectifs des élèves maghrébins.

‘— Filles. Les sections SCD continuent à scolariser 23% environ de la population globale, les maghrébines rattrapant presque la proportion (de 15% à 20%); la section A environ 20%, la surscolarisation des maghrébines disparaissant; la section B, après un pic en 1983, moins de 20% ; la section G devient la plus fréquentée, scolarise plus de 35% de la population globale, jusqu'à 40% des maghrébines.’ ‘— Garçons. Les sections SCD scolarisent entre 45% et 55% de la population globale et 40% des maghrébins; la section B, moins d'élèves, de 30% à moins de 20%, mais toujours 25% des maghrébins; la section G, une proportion stable de 20% d'élèves, la proportion baissant de 45% à 25% chez les maghrébins.’

Après la réforme, les lycéens et lycéennes d'origine maghrébine de l'établissement ne forment manifestement plus une sous-population. Dans l'établissement, la distribution des élèves dans les sections est corrélée à la différence d'origine sociale et à la sexuation : 45-55% des garçons de l'établissement s'orientent dans les sections scientifiques, 35-40% des filles, dans la section tertiaire. L'un des aspects de la «rationalisation» coextensive à la réforme — évidemment à l'insu de ses promoteurs — est qu'elle s'étaye en partie sur la dissymétrie sociale la plus archaïque, la valence différentielle du masculin et du féminin.

Notes
154.

On mobilise ici les données de l'échantillon construit à partir des listes d'élèves entrés en 2de de 1976 à 1984 et les listes de classes.cf. annexes pp. 46-50.

155.

En 1981-82, le recensement des élèves de nationalité étrangère de l'établissement comptabilise 184 élèves dont 125 de nationalité algérienne, marocaine ou tunisienne.