Terminons cette première partie par une mise en perspective de la population de l'enquête avec la population scolarisée au lycée Brossolette. On a construit à partir des documents archivés dans l'établissement un échantillon d'élèves. L'échantillon d'élèves maghrébins se compose des élèves entrés en 2de entre 1976-77 et 1983-84 et des élèves entrés en 1e ou en Terminale pendant la période «normale» de scolarité des précédents. On a d'abord fait un recensement manuel à partir des listes d'élèves, puis on a consulté les dossiers scolaires individuels, qui ont confirmé ou infirmé l'origine maghrébine des élèves recensés 156 . La période de référence s'étend donc théoriquement de 1976 à 1987, exactement de 1975 à 1989 si on tient compte de quelques cas isolés. La population, diminuée de quelques élèves dont le dossier scolaire est resté introuvable, comprend 488 élèves, d'origine algérienne en grande majorité 157 . L'échantillon d'élèves non maghrébins compte seulement 240 élèves. Ils proviennent d'un échantillon aléatoire au 1/10e prélevé sur les listes de classes de 2de, 1e et Terminale de 1979-80 et de 1983-84, amputées des élèves maghrébins. Il est possible de diviser transversalement cette double population, selon qu'elle est entrée en 2de avant la réforme Haby (Temps1) ou à partir de la réforme (Temps2).
Dans l'échantillon d'élèves maghrébins, apparaît une trace de la grande taille des fratries — deux enfants, parfois trois ou quatre de la même famille ont fréquenté le lycée à peu d'années d'intervalle — et on remarque la prépondérance de l'origine algérienne (80%) sur les origines tunisienne et marocaine. Le phénomène est en rapport avec le statut de colonie de l'Algérie jusqu'en 1962 et avec l'ancienneté de l'émigration. Paupérisés par la désagrégation progressive de l'économie traditionnelle fondée sur l'interdépendance de l'agriculture et de l'élevage, les ruraux ont été poussés vers la France et vers le salariat pour subvenir aux besoins des leurs, contribuant du même coup à leur insu à cette désagrégation. Depuis 1946, à l'exception des mesures spéciales prises pendant la guerre, la liberté de circulation entre les deux pays était devenue totale. Dès les années 1950, des hommes, souvent originaire de zones frontalières, ont émigré pour une brève période ou se sont stabilisés dans l'immigration. Le recensement de 1954 dénombrait en France 212 000 Algériens dont 6 000 familles, celui de 1962, 350 000 Algériens 158 . Enfin, les accords de 1962 ont déclenché une dernière vague d'immigration de 1962 à 1973.
Comme on a vu, les familles des enquêtées d'origine algérienne (n=19) n'ont pas toutes émigré dans les mêmes conditions. Les pères sont majoritairement des ruraux nés dans les années 1930, qui ont vécu en France en célibataires depuis les années 50 même s'ils avaient une femme et des enfants au pays, mais quelques-uns ont fait partie de la vague d'émigration multiforme qui a suivi les accords d'Evian. Les premiers se sont orientés dans des voies divergentes : les uns se sont conduits en «affiliés» pris dans les obligations familiales, tandis que d'autres, orphelins, se sont plus ou moins «émancipés» de ces tutelles et ont configuré l'immigration en aventure individuelle. On tentera tout d'abord de répondre à deux interrogations. Quelle est la proportion approximative de familles d'«affiliés», d'«émancipés» et d'«urbains» dans l'échantillon, quelles sont les transformations significatives repérables de Temps1 à Temps2? Il s'agit dans un premier temps de situer la population des parents des enquêtées par rapport à la population des parents algériens de l'échantillon (n=295); dans un second, de comparer entre elles les populations de parents d'origine algérienne, maghrébine et non maghrébine.
L'indication du pays d'origine figure au nombre des informations à inscrire sur la page 1 de grande chemise cartonnée de demande d'inscription (CERFA n°40-2124), remplie par chaque élève à son entrée dans l'établissement (et signée par le père et la mère). Cette page 1 porte les informations générales suivantes : nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, nationalité, pays d'origine de l'élève; nom, prénom, adresse, téléphone, profession des parents ou tuteurs, éventuellement du logeur; nom, prénom date de naissance, établissement scolaire fréquenté ou profession des frères et sœurs. Les informations scolaires — classe demandée, langues étudiées, statut d'externe ou de demi-pensionnaire, bourses diverses, nom des établissements fréquentés, année par année, depuis le CM2 — sont, du moins en principe, complétées par l'insertion dans la chemise de toutes les traces écrites du parcours scolaire, conservées et transmises depuis l'entrée en CP jusqu'au baccalauréat ou jusqu'au changement d'établissement — carnets, livrets et bulletins scolaires, demandes de dérogation, correspondance école-famille etc.
Cf. annexes, p. 51.
A. Gillette, A. Sayad, L'immigration algérienne en France, Ed. Entente, Paris, 1984, pp. 59-61.