logiques de différenciation résidentielle

Dans la population de l'enquête, les «émancipés» aux conditions de travail proches de l'artisanat préindustriel se logent dans le secteur privé locatif, à la différence des affiliés ouvriers-fonctionnaires, tandis que les ouvriers industriels résident dans des HLM de moyens ou de grands ensembles. La sous-population, spécifiée par le deuxième «âge» de l'émigration et par Temps1, déménage de la cité Simon, celle du troisième «âge» s'y stabilise, bon gré mal gré. Ces différenciations résidentielles se confirment-elles à une échelle plus large? L'examen de la population de l'échantillon montre qu'elles sont valides dans les années 1960, et qu'elles cessent de l'être dans les années 1970 166 .

La naissance des enfants hors d'Algérie correspond grosso modo à une émigration du deuxième «âge» en célibataire — «affilié» rejoint en France par sa femme ou «émancipé» marié en France —, et la naissance en Algérie, soit à une émigration d'affilié du deuxième «âge» et une réunion conjugale relativement récente ou à éclipses, soit à une émigration conjugale du troisième «âge». Pour simplifier, on fera comme si l'opposition naissance hors d'Algérie vs en Algérie était systématiquement corrélée à l'opposition deuxième «âge» vs troisième «âge» de l'émigration. Les choix pratiques des familles dans les années 1960, pendant l'enfance des futur(e)s lycéen(nes), sont indiqués grossièrement par la localisation des domiciles spécifiés par Temps1 (n=136 familles). En effet, la moitié d'entre elles (45%) habitaient toujours au même endroit au moment de l'enquête et une minorité importante de familles (37%) avaient déménagé une seule fois. On comparera donc les choix de 87 familles présupposées majoritairement du deuxième «âge» et de 49 autres, présupposés majoritairement du troisième.

Les résultats sont en concordance avec ceux qui concernent les enquêtées. Les familles classées deuxième «âge» sont proportionnellement plus nombreuses que les familles classées troisième «âge» à se loger dans le secteur privé (23 sur 87 pour 3 sur 49), plus nombreuses à habiter une commune éloignée du lycée (18 sur 87 pour 3 sur 49), moins nombreuses à résider à Villeurbanne dans la cité Simon (3 sur 87 pour 7 sur 49). Disons qu'une fraction de ces migrants, vraisemblablement des «émancipés» — une trentaine — se déplace avec aisance dans l'espace du pays d'immigration.

Autre observation, la distribution des domiciles entre Villeurbanne, Vaulx-en-Velin et les autres communes n'est pas indépendante des secteurs d'emploi. Les actifs des secteurs organisés selon le mode de production antérieur à la grande industrie sont légèrement surreprésentés dans les deux premières communes — les ouvriers-fonctionnaires dans la première (26% pour une moyenne de 18%), les indépendants potentiels dans la seconde (30% pour 24%) — tandis que les ouvriers d'industrie le sont dans les autres communes (61% pour 46%). Le phénomène renvoie à la différenciation illustrées par les exemples des pères d'Assia et de Malika, indépendants potentiels installés dans le cadre rural de Vaulx-en-Velin, et des pères d'Hayet et de Saba, ouvriers industriels et résidents de la ZUP des Minguettes à Vénissieux. Différenciations significatives, mais marginales. Globalement, migrations du deuxième et du troisième «âges» et tous secteurs d'activité confondus, 70% de la population loge dans le secteur social.

Des années 1960 aux années 1970, les contraintes macrostructurelles se renforcent et les conduites individuelles tombent sous leur empire. La population d'origine algérienne de l'établissement se transforme de Temps1 à Temps2. Elle comprend une proportion de plus en plus importante d'enfants de migrants du troisième «âge»; l'offre d'enseignement de l'arabe dans le 2d cycle étant réduite, elle réside plus souvent dans des communes éloignées de Villeurbanne; plus souvent aussi, dans de grandes cités HLM.

On peut suivre les variations de la localisation des domiciles. Dans Temps1, ils sont situés surtout à Villeurbanne (48%), puis à Vaulx-en-Velin (31%), enfin dans les autres communes (21%), pour ce qui concerne la population du deuxième «âge»; surtout à Vaulx-en-Velin (51%), puis à Villeurbanne (43%), le poids des autres communes étant presque inexistant (6%) pour ce qui concerne la population du troisième. Dans Temps2, ils sont situés principalement à Vaulx-en-Velin (40%), et à peu également dans les autres communes (31%) et à Villeurbanne (29%). Pour résumer, pour ce qui concerne la sous-population d'origine algérienne, l'établissement se transforme tendanciellement de lycée de proximité en lycée d'agglomération.

Une évolution homologue mais moins marquée se constate chez les enquêtées. Dans Temps1, sur 11 familles, 9 familles sur 11 résident à Villeurbanne ou à Vaulx-en-Velin, dans Temps2, 5 sur 8. Le phénomène confirme que les pères des enquêtées de Temps1 sont parvenus majoritairement à faire des options en concordance avec des dispositions incorporées dans le contexte d'une société préindustrielle.

Notes
166.

Cf. annexes, p. 57.