2.2.2. populations lycéennes d'origine algérienne, maghrébine, non maghrébine

structures socio-professionnelles

On a vu que la structure socio-professionnelle de la population algérienne est conditionnée par l'origine majoritairement rurale des migrants et par leur manque de ressources scolaires ayant valeur sur les marchés du travail. Le destin majoritaire est l'emploi industriel (40%), les deux seules voies de promotion accessibles étant à un pôle une place d'ouvrier-fonctionnaire (17%), à l'autre des positions d'indépendance corrélées aux emplois de commerçant et d'ouvrier du transport (13%).

Malgré la faiblesse numérique des populations d'origine marocaine (17 familles), tunisienne (43 familles) et mixte (17 familles), les décalages — légers — entre les structures socio-professionnelles des quatre populations rendent visibles le double réaménagement de ces trois grandes voies, corrélé soit à des savoir-faire issus du milieu originel, soit à la certification scolaire. On remarque tout d'abord que la différenciation entre les conduites des urbains de l'intérieur et celle des urbains des villes européanisées, flagrante dans la population algérienne, n'apparaît pas avec la même netteté dans les populations marocaines et tunisiennes. On sait que les anciennes élites urbaines de l'Algérie, qui ont résisté à la conquête française, ont été éliminées ou ont émigré au XIXe siècle, tandis que les citadins des pays sous protectorat sont restés dans leurs cités. Plus généralement la structure des populations n'est pas homologue 167 .

  • Dans la population marocaine, d'émigration récente comme le montre la naissance au Maroc de presque tous les ycéens (15 sur 17) et la forte proportion de pères inactifs et absents (5 sur 17), on retrouve deux des traits notés dans la population algérienne : l'orientation vers les BTP est corrélée plutôt à l'origine rurale au sens large, l'inactivité et l'absence le sont plutôt à l'origine urbaine. Mais on note aussi l'hétérogénéité des migrants urbains. Si on compte un conducteur d'engins — voie de promotion du même type que celle des Algériens —, on compte aussi un ouvrier pâtissier (savoir-faire artisanal urbain), et un fonctionnaire du consulat du Maroc (études supérieures).
  • L'émigration tunisienne, moins récente comme l'indiquent un nombre de naissances hors du Maghreb presque aussi important que celui des naissances en Tunisie (19 et 24) et le petit nombre d'inactifs et d'absents (2 sur 43), se compose à un pôle d'une proportion d'ouvriers d'industrie plus élevée encore que dans l'émigration algérienne (49% au lieu de 40%), à l'autre pôle d'un nombre moins élevé d'ouvriers-fonctionnaires (n= 3) que d'ouvriers du transport, de commerçants et de cadres de la fonction publique (n=10). Comme les Marocains, certains des migrants ont emporté avec eux un savoir faire, mais de commerçant et non d'artisan, ou une position garantie par des ressources scolaires.

La structure de la population mixte, mari maghrébin, femme française ou allemande, rend plus nette encore la recomposition des secteurs, qu'on pourrait décrire ainsi. Le pôle du service public, disons le pôle des activités à but non lucratif, se diversifie en fonctionnaires à proprement parler et en travailleurs des secteurs sanitaire et social, classés aux niveaux intermédiaire et cadre; au pôle artisanat-maîtrise, les savoir-faire artisanaux ne sont plus exclusivement ceux du BTP, et à côté des ouvriers du transport on trouve des commerçants; enfin au dernier pôle, les salariés d'entreprise se divisent en ouvriers, et en intermédiaires-cadres commerciaux et techniques. Les travailleurs se différencient non seulement dans la dimension horizontale des secteurs, mais par leur classement sur une échelle hiérarchisée de positions.

Alors que la seule dimension horizontale organise la structure socio-professionnelle de la sous-population algérienne et que la dimension verticale affeure à peine dans les trois autres sous-populations maghrébines, la structure de la population non maghrébine est organisée par les deux dimensions 168 . Cette population, entendons celle de l'échantillon, est composée d'élèves en majorité originaires de l'agglomération lyonnaise, puisque 75% d'entre eux ou d'entre elles sont né(e)s à Lyon ou à proximité, 18% dans une autre ville, le reste dans une bourgade ou un village. 87% se déclarent d'origine française, et 9% des 13% restants d'origine italienne, espagnole ou portugaise. L'ensemble est suffisamment homogène pour qu'on le considère comme une seule population de 239 familles, différenciable par les CS. Comparons la structure des emplois dans les deux populations non maghrébine et maghrébine.

Selon qu'on focalise sur la dimension verticale des positions ou sur la dimension horizontale des grands secteurs, on mettra l'accent sur l'hétérogénéité socio-professionnelle des deux populations ou sur la partielle homogénéité de leur distribution entre les trois secteurs. Commençons par la dimension verticale. Pour catégoriser les emplois, on a pris en compte celui du conjoint-homme quand il en avait un, celui de la femme dans le cas contraire. Dans la population non maghrébine, ils se répartissent en 46% de commerçants, intermédiaires et cadres, en 50% d'ouvriers et d'employés et en 3% d'absents et inactifs. Dans la population maghrébine en 7% de commerçants, intermédiaires et cadres, en 80% d'ouvrers et d'employés et en 14% d'absents et inactifs. La dissymétrie apparaît d'elle-même. L'écart entre la proportion de boursiers dans les populations maghrébine et non maghrébine la confirme : 85% dans la première, 16% dans la seconde (en supposant que les non-réponses correspondent à la situation de non-boursier).

‘En gros, la distribution de la population maghrébine du lycée est homologue à la population algérienne du Rhône de 1962 où l'on comptait 2% de patrons et cadres moyens et supérieurs, 2% d'employés, et 96% d'ouvriers. Celle de la population non maghrébine fait apparaître une surévaluation d'au moins 10% des effectifs correspondant aux PCS commerçant, cadre, intermédiaire, par rapport aux résultats des deux enquêtes statistiques faites dans l'établissement en 1976-77 et 1983-84, dans le cadre des enquêtes nationales du MEN, et portant sur l'origine socio-professionnelle de la totalité des élèves de 2de. Décalage entre la population de 2de et la population globale restructurée par le jeu des départs, des redoublements et des entrées en cours de cycle? Décalage en partie imputable à l'intégration des élèves maghrébins dans la population comptabilisée dans l'enquête? Fausses manœuvres dans la confection de l'échantillon? Sans doute les trois phénomènes concourent à la distorsion.’

Dissymétrie dans l'axe vertical des positions, mais homologie et concurrence dans l'axe horizontal des trois secteurs. Pour faciliter la mise en perspective, on a omis les absents et inactifs des deux populations. Respectivement 21% et 18% travaillent dans le secteur public ou parapublic, 36% et 26% dans celui de l'artisanat, des transports et de la vente, 40% et 42% dans celui de l'industrie. La concurrence implicite porte sur les emplois du secteur 2, qui n'exigent pas de qualifications techniques nécessitant un long apprentissage. Dans le contexte de généralisation de la certification scolaire comme condition d'accès à toute activité professionnelle qualifiée, la présence dans un établissement scolaire de 2d cycle long, au début des années 1980, d'élèves issus des trois secteurs, n'est pas surprenante.

La présence des jeunes maghrébins dans l'établissement est l'indice d'une mobilisation familiale importante 169 . En 1979-80 comme en 1986-87 en effet, dans le département du Rhône, environ 30% des élèves maghrébins sont scolarisés en lycée (LEGT) et 70% en LEP (LP). Les proportions presque inversées de 60% et 40% concernant les élèves de nationalité française ne sont pas pertinentes, entre autres parce que la catégorisation par l'origine écrase les différences entre les catégories sociales 170 . Dans les familles non maghrébines aussi, la mobilisation a dû être forte. Certes les parents, du moins d'origine française, avaient tous fréquenté l'école primaire, mais ils n'avaient pas dû aller au-delà.

On se rappelle que l'établissement étudié est polyvalent, qu'il offre à la fois un enseignement général et un enseignement technologique tertiaire dans les trois sections de la filière. Observe-t-on des corrélations entre le secteur professionnel du père, éventuellement de la mère, et l'orientation prédominante des enfants dans l'enseignement général ou dans l'enseignement technologique? Commençons à passer en revue les sous-population d'origine non maghrébine 171 .

Celle du secteur 1 se compose d'hommes et de femmes travaillant dans les secteurs de la fonction publique, de l'enseignement et de la santé. Ceux et celles qui ont un grade correspondant aux CS cadre ou intermédiaire, 26 couples sur 50, doivent leur position à l'école. L'un sinon les deux conjoints occupant cette position ont dû faire au moins des études secondaires. L'hypothèse qu'ils incitent leurs enfants à suivre le même chemin qu'eux, et qu'ils ont une plus ou moins bonne connaissance du fonctionnement du système scolaire est plausible. La population du secteur 2 au contraire — employé(e)s de commerce et commerçants, ouvriers artisanaux et contremaîtres —, fait partie d'un milieu où la promotion sociale s'est longtemps faite sans aucun rapport avec l'école, en devenant chef au lieu d'exécutant, patron au lieu de salarié. Sur 87 couples, les 2 médecins ont à coup sûr fait des études longues, les commerçants on ne sait. Quant aux 95 couples de salariés d'entreprises du secteur 3, il est probable qu'ils sont peu familiers avec les études longues, générales ou techniques. A l'exception au plus d'une quinzaine de cadres, ils se partagent presque également en personnel d'exécution et en personnel d'encadrement de niveau intermédiaire, ayant vraisemblablement commencé la vie professionnelle sans autres titres scolaires qu'un CAP et obtenu une promotion en cours de carrière. Bref, si la proximité des parents aux études générales est un élément décisif dans l'orientation des enfants vers ces études, une forte proportion d'orientation dans les sections générales devrait correspondre aux familles du premier milieu.

Or, on constate que les orientations vers l'enseignement général prédominent dans les trois milieux. Nettement chez les salariés du public, puis par ordre décroissant chez les salariés du privé, et chez les indépendants potentiels, les effectifs étant trop minces pour que les pourcentages soient représentatifs. . Maghrébins comme non maghrébins, bien que les élèves non maghrébins aient été plus souvent orienté vers les sections tertiaires. Choix des familles ou couplage des résultats scolaires et de la politique de l'établissement? On note la préadaptation à la discipline du travail scolaire des filles et des garçons dont les parents non maghrébins travaillaient dans la fonction publique. Aucun n'a interrompu sa scolarité en cours de route, alors que les abandons représentent plus de 5% des élèves non maghrébins, et plus de 10% des élèves maghrébins.

Notes
167.

Cf. annexes, p. 58. Sur la lutte et l'exil forcé des citadins algériens à partir de 1830, M. Lacheraf, L'Algérie : nation et société, François Maspero, Paris, 1965, pp. 157-180.

168.

Cf. annexes, p. 59.

169.

Cf. annexes, p. 60. Z. Zéroulou, "Mobilisation familiale et réussite scolaire", Revue Européenne des Migrations Internationales, volume I n°2, décembre 1985.

170.

Cf annexes pp. 23. S. Boulot, D. Boyzon-Fradet, Les immigrés et l'école : une course d'obstacles, Lecture de chiffres (1973-1987), L'Harmattan-Ciemi, Paris, 1988, p.124 : "A structure démographique équivalente, les enfants étrangers sont proportionnellement 2,5 fois plus nombreux dans le spécial que dans le 1e cycle général et 2,5 fois plus nombreux également dans l'enseignement professionnel court que dans le second cycle long. Plus que d'une ségrégation ethnique, il s'agit, comme le démontrent toutes les études de panel, d'une ségrégation sociale. A CSP équivalentes, les différences s'effacent."

171.

Cf. annexes, p. 61.