distribution résidentielle des élèves

Selon l'origine non maghrébine ou maghrébine des élèves, la distribution de leurs domiciles dans les trois grandes aires de recrutement — Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, les communes du département — est différenciée. Pendant la période de référence, respectivement 68% des élèves non maghrébins et 37% des maghrébins résidaient à Villeurbanne, 19% et 40% à Vaulx-en-Velin, 13% et 23% dans d'autres communes du Rhône 172 .

La présence de domiciles dispersés dans de multiples communes du département — sept arrondissements de Lyon, quatorze communes de la Communauté urbaine (COURLY), dont la dénomination est devenue «le grand Lyon», et plusieurs communes hors COURLY — et la proportion différenciée d'élèves domiciliés dans ces communes selon l'origine non maghrébine ou maghrébine sont corrélés à plusieurs facteurs qui se sont succédé ou ont interféré, la grande étendue du secteur de recrutement du lycée avant la construction des lycées de Décines et de Bron; le recrutement, dans des secteurs d'extension variables selon les dates, d'élèves dont les scolarités s'écartent du schéma modal : choix de LV arabe, orientation dans les sections tertiaires G2 et G3, admission sur dossier à une 1eG d'adaptation après un cursus de 2d cycle «court».

Le secteur de recrutement «normal» chevauche la commune de Villeurbanne, où le lycée est situé, et celle de Vaulx-en-Velin. L'histoire des deux communes, que sépare le canal de Jonage, est différente. Villeurbanne a été jusqu'aux années 1970 une commune majoritairement peuplée d'ouvriers, dont l'industrialisation a commencé à la fin du XIXe siècle. Sa désindustrialisation brutale, corrélée aux réorganisations et aux fermetures des entreprises du site à partir des années 1960, s'est accompagnée d'une baisse globale de la population — 119 879 habitants en 1968, 115 960 en en 1982 —, d'une baisse du poids proportionnel des ouvriers et de la mise en chantier de multiples opérations immobilières visant une clientèle de classes moyennes provenant de l'agglomération lyonnaise. Ces opérations sont restées circonscrites à des emplacements bien délimités libérés notamment par le départ des entreprises, et ont laissé subsister ailleurs le cadre bâti d'une ancienne commune rurale, devenue industrielle avant l'ère de la grande industrie. Ont survécu d'ex-cités ouvrières, des logements patronaux, des quartiers pavillonnaires, des ensembles de HBM et de HLM construits à des dates diverses, la réalisation du dernier programme important (470 logements) datant du début des années 1960.

A Vaulx-en Velin au contraire, qui était encore au début des années 1960 une commune rurale, bien qu'une grande cité d'industrie textile close sur elle-même (la TASE) fût implantée sur son territoire depuis l'entre-deux-guerres, la multiplication des habitants est directement liée à l'aménagement de la ZAC — 20 726 habitants en 1968, 44 160 en 1982 —, en particulier à l'offre abondante de logements HLM neufs dans la commune : plus de 5000, dont 1313 dans le quartier du Mas-du-Taureau, qui fait partie du secteur de recrutement de l'établissement.

Les variations de la proportion d'élèves du lycée résidant dans chaque commune de Temps1 à Temps2 sont vraisemblablement en rapport avec ces transformations. Si les données de l'échantillon sont fiables, le poids proportionnel de l'ensemble des élèves domiciliés à Villeurbanne a baissé (de 56% à 41%) et celui des élèves domiciliés à Vaulx-en-Velin a augmenté légèrement (de 30% à 35%). La diminution proportionnelle des résidents de Villeurbanne, relativement modérée quand il s'agit des non maghrébins (de 71% à 64%, soit 7 points), est beaucoup plus forte quand il s'agit des maghrébins (de 46% à 32%, soit 14 points). Le contingent d'élèves non maghrébins domiciliés dans des communes «autres» diminue légèrement, le contingent d'élèves maghrébins est en nette croissance (de 15% à 18%). En revanche, la proportion d'élèves maghrébins résidant à Vaulx- en Velin reste stable, tandis qu'aumente celle des élèves non maghrébins (de 16% à 23%). Ces variations se combinent avec une constante, l'importance du recrutement hors secteur.

Observons la distribution des domiciles des élèves de l'échantillon dans les deux communes de recrutement «normal», Villeurbanne et Vaulx-en Velin, pendant l"ensemble de la période. Pour les localiser approximativement, on s'est appuyé sur le découpage des deux communes en quartiers INSEE, réalisé pour le recensement de 1982. On en a trouvé dans les dix-huit quartiers de Villeurbanne et dans neuf des onze de Vaulx-en-Velin.

Les élèves non maghrébins résident à 73% ou à 67% dans le secteur de recrutement selon qu'ils sont domiciliés à Villeurbanne ou Vaulx-en-Velin; les maghrébins, à 75% ou à 54% selon qu'ils sont domiciliés à Vaulx-en-Velin ou à Villeurbanne. Selon l'origine non maghrébine ou maghrébine, il y a donc à la fois dissymétrie et homologie : dans les deux populations, 25% d'élèves au moins sont domiciliés hors secteur. Il y a bien un déficit potentiel d'élèves. Est-ce parce que la «clientèle» de classes moyennes se dérobe ou parce qu'elle est absente? Pour tenter de le déceler, on a regroupé les quartiers de chaque commune dans quatre zones, les zones 1 et 2 correspondant grosso modo au secteur de recrutement. On constate que les élèves d'origine populaire sont majoritaires dans les deux zones du secteur de recrutement à Villeurbanne, dans les quatre zonesà Vaulx-en-Velin. Seules les zones 3 et 4 de Villeurbanne envoient un petit peu plus d'élèves issus de classes moyennes

Comparons les zones 1 et 2 en partant de l'emplacement du lycée. Il a été construit Cours Emile Zola, artère qui traverse la commune de Villeurbanne d'est en ouest, depuis le quartier rural originel de Cusset jusqu'au 6e arrondissement de Lyon, à l'endroit où elle croise, en direction du sud, l'avenue bordée par les immeubles des Gratte-Ciel, qui mène jusqu'à l'édifice massif de la Mairie. Une sculpture marque l'entrée de cet ensemble architectural imposant, groupant centre administratif et logements sociaux, conçu en 1935 par la municipalité socialiste à la fois comme un projet humaniste et comme le signe matériel de l'autonomie de la commune par rapport à Lyon. Dans la zone2 173 , on a regroupé trois quartiers : les «Gratte-Ciel» (quartier INSEE 12), espace tout d'abord fréquenté quasi-exclusivement par les occupants des logements sociaux qui s'est transformé en quartier urbain après 1945; le quartier limitrophe devenu partiellement un quartier résidentiel pour couches moyennes dans les années 1970, notamment avec l'opération immobilière de La Perralière, évoquée précédemment (quartier 15); enfin, un quartier hors secteur, le quartier 16 adjacent au précédent, où était implantée la cité Simon 174 peuplée de familles d'origine algérienne, jusqu'à sa destruction au tournant des années 1980. En 1982, parmi les 30 000 habitants de cette zone, 89% étaient de nationalité française et 6% maghrébins, 54% de catégories populaires et 45% de catégories moyennes, 51% et 16% locataires du parc privé ou social. Le caractère urbain de la zone2 est absent dans la zone1. C'est un vaste espace semi-rural de près de 15 000 habitants. On y pénètre depuis le lycée en tournant le dos aux quartiers centraux epour aller vers le nord. Il est coupé en deux par le canal de Jonage et par le périphérique qui le longe. Le premier morceau, d'un seul tenant, est resté une banlieue tout droit sortie de l'entre-deux-guerres : maisonnettes avec bouts de jardin ou villas plus cossues, vieilles maisons rurales, restes de cités ouvrières, immeubles qui ne dépassent pas cinq étages et trottoirs étroits. Le second morceau, le quartier 05, bordé d'un côté par le canal, est limitrophe de Vaulx-en-Velin. C'est là qu'a été construit au début des années 1960 l'ensemble HLM le plus important de la commune. Les résidents de la zone1 — de nationalité française à 82%, maghrébins à 18% — font partie des catégories «populaires» à 62%. 33% des élèves non maghrébins et 22% des élèves maghrébins domiciliés dans les deux communes proviennent de cette zone semi-rurale, alors que seulement 24% et 4% en proviennent de la zone2 urbaine.

L'ensemble zone1 et zone2 de Vaulx-en-Velin ne comprend pas de quartiers de centre-ville. C'est une zone limitrophe de Villeurbanne depuis le nord de la commune (autoroute Ly5) jusqu'au pont de Cusset à l'est , qui relie les deux communes séparées par le canal de Jonage. Cette bande de terrain relativement étroite, bordée à l'est par une avenue, est presque totalement incluse dans la ZAC. La zone1 a 9 000 habitants. Elle est faite de quartiers à dominance HLM, 04 où est implanté un ensemble construit antérieurement à la ZAC, 05 et 06 qui correspondent aux bâtiments de la première livraison, le Mas du Taureau, auxquels on a ajouté ceux de la seconde (81 % de locataires HLM). Elle fournit la plus forte proportion d'élèves maghrébins et la plus faible d'élèves non maghrébins. La zone2 (6000 habitants) qui fait aussi partie de la ZAC diffère de la précédente. Elle compte surtout des copropriétés, on y a joint un vieux quartier partiellement dans le secteur et hors ZAC, qui borde le ruisseau de la Rize. Les résidents de l'ense sont propriétaires de leur logement à 71%, 23% étant locataires HLM. Seulement 11% des élèves non maghrébins et 6% des maghrébins y résident.

La ségrégation spatiale des élèves selon l'origine géo-culturelle, peu marquée dans la zone1 de Villeurbanne au caractère semi-rural, est particulièrement nette à la fois dans la zone2 centre-ville de la même commune et dans la zone1 de Vaulx-en-Velin composée surtout de barres de logements sociaux (24% et 4%, 4% et 36% selon l'origine non maghrébine ou maghrébine). Quant à la pénurie d'élèves, elle est en rapport avec la composition sociale des deux communes. Les classes populaires (CS ouvrier-employé) représentent plus de 50% de la population dans les zones 1 et 2 de Villeurbanne, plus de 70% dans les zones 1 et 2 de Vaulx-en-Velin. Les classes moyennes sont minoritaires. Voilà pourquoi le LEGT a dû recruter hors secteur pour remplir ses classes d'enseignement général, en dépit de l'offre d'enseignement arabe qui lui assurait un contingent régulier d'élèves 175 ,

Indirectement, la vie de l'établissement a été dynamisée par la contrainte de devoir résoudre empiriquement une chaîne de contradictions. Le déficit d'élèves de classes moyennes invitait à développer le recrutement d'élèves de classes populaires. Mais l'attachement à l'ex-enseignement «secondaire» désormais nommé «général», manifesté sur le mode de ce qui va de soi par les dirigeants et une partie du personnel, était en discordance avec l'attirance des élèves-filles potentielles, d'origine populaire, pour la filière tertiaire. En outre, la fréquentation du lycée par une minorité visible d'élèves d'origine maghrébine détournait vraisemblablement un certain nombre de familles de catégories moyennes et populaires d'y scolariser leurs enfants : dans le quartier et peut-être au-delà, l'établissement était surnommé «le lycée des Arabes».

On s'est éloigné, peut-être plus qu'il n'était nécessaire, des parcours de vie des enquêtées, mais ce faisant on a défini au fil même des analyses empiriques la démarche qui sera la nôtre. Elle consiste à inscrire ces parcours dans les transformations sociales qui en conditionnent le cours. Il s'agit d'articuler la ligne des différenciations des conduites individuelles avec les complexes de transformations macrostructurelles qui les rendent intelligibles.

répartition des domiciles Villeurbanne et Vaulx-en-Velin
répartition des domiciles Villeurbanne et Vaulx-en-Velin zones 1-2-3-4 et zones 1-2 élèves non maghrébins (n=194)
répartition des domiciles à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin
répartition des domiciles à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin zones 1-2-3-4 et zones 1-2 élèves maghrébins (n=326)

Notes
172.

Cf. annexes, pp. 62-66.

173.

Sur les propriétés des résidents des différentes zones, cf. annexes, p.65.

174.

Sur la cité Simon, cf. supra, p. 56.

175.

Le regroupement d'une proportion importante de maghrébins dans un des rares lycées de 2d cycle long offrant l'enseignement de l'arabe fait paraître la mobilisation autour de l'école beaucoup plus forte chez les maghrébins que chez les non maghrébins des mêmes PCS. Effet d'optique, comme le montrent les proportions à l'échelle du département : 27,7% des jeunes maghrébins fréquentent le 2d cycle long pour 72,3% le 2d cycle court en 1979-80, et 30% pour 70% en 1986-87. En consultant les statistiques produites par l'Académie de Lyon à partir des informations collectées dans les différents établissements sur les nationalités des élèves, on constate que le lycée Brossolette scolarisait à lui seul en 1979-80 14% des lycéens du département du Rhône se déclarant de nationalité algérienne, tunisienne ou marocaine et 17% en 1986-87. En changeant de point de vue, que les élèves maghrébins représentaient à la première date 7,8% de l'effectif du lycée et 2,6% de l'effectif global des lycées du département, et en 1986-87, respectivement 12,6% et 3,6%.