2e partie.
différenciation des modes de socialisation;

On n'ignore pas la suspicion qui pèse sur le matériau biographique organisé par le temps. Le pouvoir d'intelligibilité immédiate inhérent au code sémiotique du «récit biographique» risque de conduire le chercheur à jeter aux oubliettes la spécificité de la démarche scientifique 176 . C'est pourquoi on a entrepris d'articuler une analyse comparative ordonnée des énoncés produits par les enquêtées et une analyse séquentielle des parcours de vie, s'inspirant du concept de «carrière» de H. Becker 177 . Cette seconde partie prolonge la première. Dans une première étape, on a identifié un certain nombre de variables descriptives distinctives, à partir desquelles on a dressé une «carte» de la population. Il s'agit maintenant de mettre à l'épreuve leur caractère significatif, en repérant si elles sont ou non corrélées à des traits distinctifs dans les modes de socialisation primaire, puis secondaire. L'étude des processus de socialisation 178 conjoint deux propos. Celui de décrire le champ des schèmes de pratiques et de représentations possiblesdans les trois mondes de la famille, du groupe d'âge et de l'école, pendant la période de l'enfance et de l'adolescence, en corrélation avec des lignes structurelles de clivage repérées dans la première partie. Et celui de repérer sous quelles conditions la socialisation secondaire, corrélée notamment au statut d'étudiante, a pour effet soit d'inscrire de nouveaux apprentissages dans le pattern qui s'est structuré dans l'enfance soit de complexifier cette première matrice en une unité intégrant le conflit. Les références minutieuses aux énoncés produits par les enquêtées en situation d'entretien, approche qui risque d'être fastidieuse pour le lecteur sont le matériau concret sur lequel se construit l'analyse.

Notes
176.

Cf J.C. Passeron, "Biographies, flux, itinéraires, trajectoires", Revue française de sociologie, XXXI, janvier-mars 1990, notamment : "L'intelligibilité d'une biographie s'impose en effet d'emblée, en concentrant la transparence fonctionnelle de la «pré-notion», l'évidence existentielle du vécu et l'efficacité dramatique du scénario.", p. 3. Sur cette question également F. de Coninck F. Godard, "Les formes temporelles de la causalité", Revue française de sociologie, XXX1, 1990. F. Battagliola, I. Bertaux-Wiame, M. Ferrand, F., Imbert, "A propos des biographies : regards croisés sur questionnaires et entretiens", Population, n° 2,1993. D. Bertaux, "Du récit de vie, Les récits de vie, Nathan-Université, Paris, 1997.

177.

Rappelons la définition que H. Becker donne de la carrière. "Un concept utile pour construire des modèles séquentiels de divers types est celui de carrière. (...) Cette notion désigne les facteurs dont dépend la mobilité d'une position à une autre, c'est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les changements de perspectives, les motivations et les désirs de l'individu. Les études consacrées aux professions utilisent généralement le concept de carrière pour distinguer ceux qui «réussissent» de ceux qui ne réussissent pas (quelle que soit la définition de la réussite professionnelle que l'on adopte). Mais on peut aussi l'utiliser pour distinguer divers types d'aboutissement des carrières, indépendamment de la question de la «réussite»." H. Becker, Outsiders, trad. franç., A.M. Métailié, Paris, 1985, p. 47.

178.

On prendra appui sur la définition de Y. Grafmeyer, "Politique scientifique : évolution et bilan résumé", Cahiers de recherche , GRS ("Groupe de recherche sur la socialisation"), 1998. " Rappelons que la socialisation telle qu'on l'entend ici ne se réduit pas à la transmission d'attitudes, de savoirs ou de normes, et qu'elle met en jeu beaucoup plus largement tous les processus à l'occasion desquels le lien social se construit ou se redéfinit. Il est dès lors nécessaire, pour mieux comprendre ces processus, de les mettre en rapport avec les divers changements de position (sociale, professionnelle, familiale, relationnelle, résidentielle, etc.) qui jalonnent les biographies". Cf. également P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, trad. franç., Méridiens Klincksieck, Paris, 1989.