préférences pour les disciplines

Dans les milieux d'où viennent les enquêtées, la vie quotidienne n'est pas imprégnée par l'ordre du scriptural. Il n'est pas surprenant qu'elles élisent dans leur majorité des disciplines scolaires dans lesquelles elles se sentent d'emblée «chez elles», parce qu'il est possible — non sans malentendus — de pénétrer dans le nouveau monde à partir de savoir-faire mobilisés dans la vie ordinaire 308 . Les «goûts» déclarés qu'elles manifestent pour certaines disciplines — et les «aversions» corollaires pour d'autres 309 — sont corrélés à des régularités facilement repérables.

Trois «goûts» tournés respectivement vers les Langues, les Maths, et le Calcul correspondent chacun à des conditions distinctives de socialisation familiale enfantine. Dans les conditions antérieures à la réforme Haby (n=27), l'ensemble formé par les langues — l'anglais et le français, parfois l'italien —, est la discipline qui recueille le plus grand nombre de suffrages (n=17). Cette orientation, indépendante de la place occupée dans la famille, concorde avec une socialisation à base de régulations personnelles 310 , elle concorde avec la répugnance pour l'activité intellectuelle décontextualisée qu'emblématisent les maths. Le choix des maths est corrélé à deux contextes hétérogènes, tantôt à une socialisation de bonne élève (Inès, Nadine, Céline), tantôt à une socialisation maternelle et paternelle laissant aux enfants la liberté de se livrer à "l'agitation immédiate et désordonnée" que Caillois nomme paidia, et qui débouche sur des jeux agonistiques obéissant à des règles (Assia, Manuela, Esma, Carole). Le goût des maths concordant avec ce second mode de socialisation, autorisé plus souvent aux garçons qu'aux filles 311 , a pour corollaire l'aversion pour tout travail impliquant l'assujettissement à une discipline, tel l'apprentissage des règles orthographiques du français. Enfin, la préférence pour le calcul, qui se repère dans les conditions de Temps2 et de la réforme Haby, est en rupture avec les deux précédentes. Elle est liée à la transformation qu'on a repérée plus haut, la prise en charge par la mère de la vie familiale dans son ensemble, et la rationalisation des tâches domestiques qui s'ensuit. L'extension de la rationalité instrumentale au domaine scolaire porte à élire le calcul et la comptabilité et à proscrire le français. Apprentissage rationalisé de procédures parfaitement fiables d'un côté, apprentissage gros mangeur de temps et sans résultats probants de l'autre.

Observons de plus près. La prédilection pour l'anglais s'appuie sur la facilité de l'apprentissage des langues chez les bilingues, habitués depuis l'enfance à passer d'une langue à l'autre 312 . Plus largement, une prédilection englobant toute les langues étudiées a pour support les interactions langagières de la vie ordinaire. Ces interactions peuvent même se configurer en schème apte à appréhender l'ensemble des apprentissages scolaires, comme l'indique la place de pivot occupée par les rapports entre personnes dans l'énonciation de Gabrielle («équilibrages archéomodernes»). Non seulement elle affirme que ses préférences vont vers le français et l'anglais, mais elle use de formulations interchangeables pour évoquer les relations avec une matière scolaire et les relations interpersonnelles. Le manque d'intérêt pour une discipline scolaire est décrit comme un sentiment d'hostilité à l'égard d'une personne 313 , et inversement l'intérêt pour une autre peut être déclenché par un sentiment de sympathie à l'égard d'une enseignante. On peut rapprocher ce discours de l'observation de l'institutrice, notant que Warda réclamait qu'on "s'intéresse particulièrement à elle", mais on aurait tort de le réduire à une demande affective. Dans le cas de figure où les difficultés de l'élève sont proportionnelles à l'autonomisation d'un corps de savoir quel qu'il soit — maths, économie etc. —, ce savoir demeure un bloc compact, impénétrable, s'il manque un intermédiaire vivant pour le découper en multiples objets d'interaction langagière. Nadia s'est heurtée elle aussi à cet obstacle.

‘— "le français j'aimais bien les dictées les récitations les rédactions et ça s'est toujours bien passé (...) l'anglais j'ai bien aimé aussi".’ ‘— "l'économie je pouvais pas voir ça, les maths je peux te dire que je me suis jamais accordée avec ça".’ ‘— "Comme elle était sympa je me suis intéressée à l'économie". (Gabrielle)’ ‘— "Ben de toutes manières jusqu'en cinquième j'étais très très bonne élève, c'est-à-dire que j'étais bonne de partout, j'avais félicitations etc, et puis à partir de la cinquième par contre j'étais très mauvaise en maths, c'était ma matière... à partir de la quatrième pardon , là j'ai commencé vraiment... et puis après en troisième j'ai eu un prof en maths qui m'a... enfin bon ça n'a pas été... j'étais vraiment meilleure en français en anglais, mais pas les matières techniques." (Nadia)’

La référence au schème pratique de l'interaction langagière n'est corrélée automatiquement ni à l'opposition organisation «acéphale» vs «autocéphale», ni à l'opposition régulations «personnelles» vs «impersonnelles», mais, semble-t-il, à l'expérience d'échanges langagiers dans des situations où les rapports de force sont neutralisés. On en a un indice dans la parenté des énonciations de Hacina et d'Anna avec celle de Gabrielle.

‘— "Oui c'était essentiellement en français, en rédaction j'avais pas mal d'imagination, donc ça me permettait de m'épancher un peu (...) en anglais aussi j'aimais beaucoup; alors les maths j'ai jamais été vraiment très acharnée, pour moi c'était vraiment une langue étrangère je comprenais pas (Hacina).’ ‘— "Ce que j'aime pas dans les maths c'est les démonstrations, j'ai un esprit un peu contestataire et je vois pas pourquoi 2 + 2 ça fait 4 ça ça m'a toujours ... , alors ça j'aime pas dans les maths, le rigorisme ça ça me plaît pas, et ce que j'aime dans des matières comme l'histoire comme le français la philo c'est l'ouverture vers l'extérieur, c'est ouvert au dialogue pas les maths. (Anna) 314 . ’

Dans cette logique, un apprentissage des langues tourné vers la communication est l'antidote des savoirs autonomisés en systèmes cohérents. Mais il y a plusieurs façons de l'aborder. L'énumération par Gabrielle de tous les exercices canoniques de français à l'école élémentaire — dictées, récitations, rédactions — indique qu'elle avait pris acte de l'autonomisation de plusieurs types d'exercices, soumis à des règles différenciées. Dans un tel cas, il y a un pont entre les pratiques de la vie ordinaire et l'apprentissage scolaire du français. Au contraire, dans le cas de Nora, collégienne bilingue dont le choix préférentiel s'oriente vers l'apprentissage d'une nouvelle langue, l'anglais, tout porte à penser qu'elle cale l'apprentissage de l'anglais à l'école sur son apprentissage antérieur du français, apprentissage informel au cours des interactions avec ses frères et sœurs et les filles du quartier. D'une part, les débuts en anglais au collège consistent surtout à encoder et à décoder des messages oraux dont le contenu est homologue à celui des échanges de la vie courante. D'autre part, la posture énonciative adoptée par Nora fusionne les préférences et les compétences en une seule hypostase. Gommant le processus d'apprentissage, elle tend à transmuer des acquis fragiles en qualité intrinsèque de la personne 315 .

‘— "J'ai fait le choix de A parce que j'adorais l'anglais, il se trouvait que j'étais quand même très bonne en anglais parce que j'avais fait de l'anglais renforcé pendant deux ans." (Nora)’ ‘— "On avait redoublé donc notre terminale bon c'est vrai qu'on s'ennuyait à mourir, on était plus souvent à l'extérieur qu'à l'intérieur (...). Au moment de la lecture des bulletins, c'était mon tour, on avait énuméré les notes qu'on m'avait mises et en anglais j'avais eu B+ ou A par rapport à l'oral à l'écrit C'est vrai que j'avais toujours des bonnes notes et il se trouvait que j'allais en cours une fois sur quatre. [Une redoublante assidue au cours] a pas été contente, a pris la parole et a dit "Je comprends pas, il y a des élèves qui ont des notes des bonnes notes alors qu'ils sont jamais là", et la prof donc qui avait compris qu'il s'agissait de moi lui a dit "Mais de toutes façons, même si elle est jamais là elle est bonne, je suis obligée de lui mettre une bonne note". Enfin elle n'avait pas dit comme ça mais c'était... et ça m'avait... j'avais dit "Elle est sympa quand même hein parce qu'elle reconnaît en fait les compétences de quelqu'un." (Nora)’

Le décalage entre les énoncés de Gabrielle et de Nora concorde avec l'écart précédemment repéré entre un mode de socialisation qui intègre l'assujettissement à des règles impersonnelles, et un autre qui adapte les conduites aux statuts différenciés des personnes. Si on l'envisage dans ses rapports avec la logique des apprentissages scolaires, le décalage prend valeur de clivage. Une posture distanciée comme celle de Gabrielle rend pensable une progressivité des acquisitions de savoirs au cours du temps, une posture globalisante comme celle de Nora va à son encontre 316 .

La prédilection pour les maths, lorsqu'elle s'accroche aux pratiques de la vie ordinaire, est liée aux jeux réglés de plein air notamment aux jeux de ballon. Dans les cas rencontrés (n=3), elle concorde soit avec des pratiques habituelles de jeux avec des partenaires garçons pendant l'enfance, éventuellement prolongées par la pratique de sports collectifs (hand-ball, basket) 317 . La comparaison des énoncés d'Assia et de Manuela suggère des postures différenciées. Les maths procurent à la première un moment de stimulation intellectuelle et de jouissance solitaire, elles évoquent pour la seconde un jeu réglé qu'on interrompt quand on est las de jouer, la joueuse étant d'autant plus encline à importer cette posture à l'école qu'elle est acceptée à la maison. Au delà de ces variations, la prédilection pour les maths, c'est-à-dire le plaisir pris à une activité mentale dépensée pour résoudre des problèmes sans portée pratique immédiate, implique la possibilité de n'être pas pris dans l'urgence. Il n'est pas anodin qu'elle coïncide avec une place de «représentant» ou d'héritier — une place statutaire — et non avec une place de «fille». La propension à adopter une posture autocentrée s'accompagne tantôt du refus d'apprendre par cœur, qu'il s'agisse des récitations, de l'orthographe ou des verbes irréguliers anglais, tantôt de la répugnance à rédiger; par exemple, s'il s'agit d'un texte argumentatif, à objectiver les paliers d'une démarche hypothético-déductive pour les communiquer à autrui. Plus généralement, elle illustre l'hétérogénéité entre la posture de jeu sérieux consistant à résoudre un problème, et la posture scolaire, consistant à se plier à des consignes précises pour rédiger des exercices de formes diverses. On peut dire aussi bien que ce détour passe par la docilité, ou qu'il contraint à un décentrement.

‘— "Ce que j'aimais faire c'était les maths mais je les faisais jamais chez moi. En rentrant je m'arrêtais dehors je rentrais dans une allée, et je sais pas pourquoi hein j'allumais la lumière de l'allée je coinçais avec une allumette, j'étais assise par terre je sortais mon classeur de Maths, et c'était mon moment à moi pour faire des maths, j'adorais vraiment ça hein."(Assia).’ ‘— "Ce que j'aimais dans les maths c'était qu'on apprenait les règles comme si on apprenait à jouer aux échecs ou à des trucs, on apprenait les règles pour jouer à quelque chose, à quoi je savais pas encore à quoi mais enfin..." (Manuela)’ ‘— "[l'anglais] je me suis aperçue que c'était aussi illogique que le français, quand j'ai vu la liste des verbes irréguliers j'ai pas voulu l'apprendre." (Manuela)’

L'affirmation d'une préférence pour la discipline Histoire dans les conditions d'«équilibrages archéomodernes» concorde dans les deux cas (Leïla, Manuela) avec la qualité de représentant ou d'héritier. La mise en perspective des deux commentaires avec celui d'Assia qui n'est pas corrélé à cette préférence, met en évidence le fossé entre un engagement affectif momentané et l'implication dans une démarche d'objectivation du savoir, admettant et réclamant la critique et la discussion. Si Assia, à la différence de Leïla et de Manuela dont les énoncés identifient l'histoire à une narration orale, a pu parvenir dans cette matière à un stade où elle n'est pas parvenue dans les autres, c'est à cause du savoir-faire pédagogique d'un prof, articulant travail solitaire, échanges interpersonnels dans la classe et progrès intellectuels. Une élève comme elle ne se met pas au travail sans la construction d'une mise en scène. Dans le cas évoqué, l'enseignant s'est montré habile à constituer les élèves en communauté active, prête à applaudir celui ou celle de leurs pairs qui paye de sa personne; qui a préparé seul(e) un bon exposé, et qui le produit publiquement.

‘— "Ma mère elle nous racontait, on faisait des veillées aussi moi j'aimais bien les histoires j'ai toujours aimé l'histoire la géo non, la philo parce que ça m'apprenait des trucs et puis bon à comprendre certaines choses... le français j'aimais bien mais je trouvais ça... bon c'était apprendre quoi il fallait apprendre le français les dissertations bon... L'histoire j'allais dire finalement c'est tout... une histoire on raconte etc que le français t'es obligé d'apprendre bon machin à travailler dessus etc. (Leïla)’ ‘— "L'histoire c'était comme si on racontait des choses, je parlais tout à l'heure de contes de fées pour moi c'était la même chose." (Manuela)’ ‘— "Par contre le travail personnel que je faisais bien... d'ailleurs j'adorais ce prof d'histoire géo je crois qu'il est encore à Brosso c'est S. Il est génial; avec lui non seulement on participait mais c'étaient des devoirs qu'on devait préparer. On préparait bien on avait plaisir à travailler donc il y a quand même aussi la façon d'enseigner qui est importante. Avec S. moi je me rappelle je faisais bien mes devoirs hein parce que j'avais envie que ce soit bien. Quand on faisait des exposés là aussi je m'acharnais dessus. Fallait que ce soit un truc bien fait un bon exposé, parce qu'il fallait le présenter à toute la classe et tout. Là c'était vraiment du boulot hypersérieux. (Assia)’

Les préférences pour les langues, pour l'histoire et pour les maths, qu'on vient d'explorer, concordent avec une socialisation régulée par les rapports interpersonnels, elles prolongent une civilisation de l'oralité, de la narration et de la dépense improductive. Dans les conditions de Temps2 et de la réforme Haby, on a vu que ces structurations deviennent minoritaires. Elles cèdent la place à des structurations en phase avec le salariat. Cette mutation civilisationnelle comporte entre autres une transformation du rapport aux études, qui se marque dans l'évolution des préférences. Elle se manifeste de façon éclatante dans la redéfinition de l'opposition binaire penchant pour les Langues vs pour les Maths. Le choix des langues, français ou anglais, va avec l'hysteresis de dispositions corrélées à la famille-communauté, (Aïcha, Lidia, Saba). Le choix des maths-calcul, couplé dans deux cas sur quatre avec celui de l'économie (Zina, Joëlle) est lié à l'émergence de dispositions accordées à la famille-association et au salariat dans le secteur marchand.

La préférence de Zina, de Joëlle et de Souad pour les maths-calcul est sous-tendue par la rentabilité des apprentissages scolaires dans cette discipline 318 . La propension à planifier les tâches scolaires en bannissant tout excursus tourne vers les maths-calcul et détourne du français et de la philosophie. Il est peu probable qu'on fasse des progrès dans les dernières disciplines si les conditions sociales ne portent pas à acquérir des compétences à la fois langagières et intellectuelles, à l'école et en dehors. On citera Joëlle.

‘"— [J'aimais] les maths l'économie l'espagnol... mais la philo et le français c'était pas...’ ‘— Vous avez une idée de ce qui vous plaisait?’ ‘— Ben résoudre un problème il fallait chercher la petite bête, et puis c'était une question de logique de réflexion... alors que tout ce qui était littéraire j'arrivais pas du tout, c'était pas clair et net ce que je faisais." (Joëlle)’

Pour s'initier à un savoir-faire nouveau, à plus forte raison quand il n'est pas enseigné méthodiquement, il faut du temps et du travail. Le refus d'un tel effort, coextensif à l'identification implicite des apprentissages scolaires aux apprentissages enfantins, devient délibéré quand il est corrélé au calcul du rapport coûts/avantages. Sylvie et Christine choisisssent comme matière de prédilection l'italien, dont l'apprentissage leur est facilité par la maîtrise du dialecte acquise dans la famille, Sylvie choisissant en outre une technique professionnellement utile, la dactylo 319 .

Résumons, Les préférences scolaires des enquêtées, issues de milieux peu familiers de l'école, prennent appui sur les pratiques de la vie ordinaire. Elles s'orientent de façon différentielle selon que la socialisation primaire a eu lieu dans le contexte de Temps1 ou de Temps2, ce qui concorde avec une scolarité de 2d cycle antérieure ou postérieure à la réforme Haby. Dans le premier contexte, corrélé à une socialisation familiale à base de régulations personnelles, elles se bipolarisent tendanciellement vers les langues ou vers les maths, réaménageant une opposition corrélée à la sexuation féminine vs masculine, bien connue dans un état antérieur de l'enseignement français. Dans le second, spécifié par l'hégémonie des régulations impersonnelles et de la rationalité utilitaire dans le mode de socialisation maternelle, apparaît la prédilection pour les maths-calcul.

Dans le premier contexte, la difficulté majeure est de prolonger le moment des interactions orales et/ou de la recherche intellectuelle par celui de l'objectivation de la pensée et/ou de la démarche suivie, qui seule rend le travail effectué communicable in absentia. Le saut des codes linguistiques oraux aux codes linguistiques scripturaux est problématique. Dans le second, on constate une régression en deça de ces codes. Les compétences linguistiques discursives font défaut. Les usages réduits de la langue faits dans la vie ordinaire mettent les locuteurs en possession d'un système de signaux commun, qu'ils savent reconnaître mais qu'ils ne comprennent pas, et dont ils ne savent pas jouer. Tout se passe comme si l'institution familiale et l'institution scolaire étaient inaptes à familiariser les jeunes avec la langue en tant qu'énonciation 320 .

Notes
308.

Cf. B. Charlot, E. Bautier et J.Y. Rochex (1992), pp. 138-139. Les réponses des enquêtées concordent avec celles des élèves de milieux «populaires», dans l'enquête menée de 1988 à 1991 par B. Charlot et alii, dans un collège populaire de la ZUP de Saint-Denis, dont la moitié des élèves environ étaient nés en France de parents étrangers, et dans un collège socialement hétérogène de Massy-Palaiseau. D'une part, les élèves du premier collège, issus de milieux populaires — c'est-à-dire de milieux dont le quotidien n'est pas infiltré par l'ordre des énoncés scripturaux—, sont beaucoup plus nombreux à attacher de l'importance aux apprentissages de la vie quotidienne que ceux du second - 44% contre 10% en 6e et 16% contre 4,5% en 3e. D'autre part, les filles de 6e du premier collège évoquent davantage les tâches familiales que ne le font les garçons, qui se réfèrent généralement à des savoir-faire spécifiques et à des activités ludiques.

309.

Une seule enquêtée, Saïda, catégorisée Temps2, affiche une indifférence à l'égard de toutes les disciplines scolaires. Dans tous les autres cas, la question déclenche immédiatement une réponse.

310.

On note qu'aucune des trois enquêtées d'origine française ne choisit les langues.

311.

Citons Esma "Pourquoi j'ai été forte en maths? Parce que je me suis donnée à fond pour moi c'était un jeu parce que j'aimais ça et puis parce que il n'y avait pas de bases à savoir comme en français, j'avais pas perdu mon temps. Bon alors je disais que j'étais un garçon manqué je jouais qu'avec les garçons d'ailleurs, j'avais été en colonie j'étais tout le temps avec les garçons tout le temps avec les garçons... il m'énerve cet enregistrement... donc j'étais douée pour faire des sports de garçon." (Esma). A l'expérience de liberté d'Esma s'oppose l'expérience des limites faite par Nora et ses copines. Cf. supra, pp. 238-239.

312.

En 1980-81, un questionnaire élaboré dans le «Groupe de réflexion sur les Maghrébins de la deuxième génération» (cf. infra, note 369) avait été distribué aux élèves maghrébins du lycée, parmi lesquels quelques-unes des enquêtées. Sur les 37 répondants (24 filles, 13 garçons), aucun n'indique de difficultés à comprendre l'arabe (ou le kabyle), deux signalent la gêne à le parler, à cause de leur mauvaise prononciation.

313.

On relève des formulations analogues dans l'enquête de B. Charlot et alii (1992). Ainsi, "Je sais que je ne m'entendrai jamais avec les mathématiques et la physique", p. 97.

314.

La place prédominante des codes textuels dans l'enseignement du 2d cycle fait qu'il n'y a pas de corrélation manifeste entre les goûts et les résultats chiffrés. Dans les quatre matières français, LV1, LV2, maths, les notes du 3e trimestre de 2de sont respectivement, pour Hacina 10 (écrit 8, oral 12) -9-6-5, pour Anna 9-10-8-6.

315.

Dans le monde de références des ruraux non familiarisés avec l'économie monétaire, sujet et objet ne sont pas disjoints. On a vu qu'aux yeux des parents de Nora, le rang d'aîné communiquait au fils à la fois pouvoir et savoir : "pour mes parents c'était lui qui avait le pouvoir c'était lui le savant de la famille". Cf. supra, p. 207.

316.

Nora a mémorisé ses bons résultats en anglais, elle a oublié les médiocres. Un coup d'œil sur ses bulletins scolaires au lycée montre que la moyenne de 15, au 1e trimestre de 2de, est un coup d'éclat qui n'a jamais été renouvelé. Les moyennes des onze autres trimestres varient entre 13 et 9. Lors du redoublement en terminale, les trois moyennes sont 10, 12 et 11. Appréciation du 3e trimestre : "Niveau de langue correct. Est restée au-dessous de ses possibilités." La propension à magnifier ses propres succès est en accord avec la posture de «représentant» du groupe familial.

317.

"Quant aux deux constantes que retrouvent toutes les études consacrées à la question — les difficultés manifestées par les filles dans les épreuves impliquant la rotation mentale des figures et celles qui mettent en jeu les notions d'horizontalité et de verticalité —, on s'accorde aujourd'hui sur le fait que les formes de socialisation par le jeu réservées aux filles et aux garçons dès le plus jeune âge préparent davantage les garçons que les filles à s'orienter dans l'espace.", C. Baudelot, R. Establet, Allez les filles, Seuil, Paris, 1992, p. 117.

318.

Rentabilité toute relative. Les résultats de Joëlle en 2de ont été jugés trop moyens pour autoriser le passage en 1e S. Le champ lexical des maths dans ses énoncés — chiffre, mathématiques, résoudre, problème, logique, réflexion — est suffisamment varié pour qu'on ne puisse classer nettement son rapport aux maths ni du côté des filles ni du côté des garçons, ni du côté des forts ni de celui des faibles, si on le rapporte aux résultats de l'AFC figurant dans C. Baudelot, R. Establet (1992), p. 125.

319.

On a vu que les enquêtées d'origine algérienne qui choisissent une langue choisissent toutes l'anglais et/ou le français et non l'arabe. Leur maîtrise de l'arabe dialectal ne les aide vraisemblablement pas à maîtriser l'arabe classique.

320.

On se réfère ici à l'analyse de E. Benveniste sur la place singulière de la langue parmi les systèmes sémiotiques. La «langue» — qu'on se gardera de définir comme un «langage» parmi d'autres — est le seul système qui combine deux modes distincts de signifiance, la signifiance des signes et la signifiance de l'énonciation — le mode sémiotique et le mode sémantique, "Sémiologie de la langue" in Problèmes de linguistique générale, tome 2, Ed. Tel Gallimard, Paris, 1974, pp. 64-65. Cf. supra, note 25.