5.1. scolarités de second cycle

Prenant pour point d'appui l'analyse des préférences pour les disciplines scolaires, on distinguera deux types de rapport aux matières enseignées. L'un porte à privilégier les apprentissages calés sur ceux de la vie ordinaire et inscrits d'emblée dans des interactions sociales : on apprend une nouvelle langue en communiquant et pour communiquer avec autrui, on apprend les règles des maths comme on apprend à jouer aux échecs, en jouant. L'autre, en concordance avec la logique scolaire, subordonne les apprentissages à l'objectif final, à l'appropriation individuelle soit de corps de savoir constitués, clos sur eux-mêmes, soit de savoir-faire pratiques. Ce clivage sert de fondement à un premier tri scolaire. Les élèves, qui prennent plaisir à s'exercer à de nouvelles activités parce qu'elles élargissent le champ de leurs références mais répugnent à l'ascèse des apprentissages méthodiques, sont refoulés. Ceux qui acceptent l'autonomisation des matières scolaires et s'appliquent à assimiler progressivement l'ensemble du programme dans chacune d'elles, sont acceptés. Ce premier tri est surdéterminé par un second, qui reste caché. En simplifiant, il tient à l'impossibilité pratique, pour la plupart des élèves, de franchir le fossé qui sépare l'ordre linguistique de l'oral de l'ordre du scriptural. Des travaux ont mis en évidence la solution de continuité entre la phase d'élaboration orale du savoir en classe et sa réification en énoncés scripturaux de grande généralité, dans la leçon que les écoliers doivent apprendre à la maison. La construction de passerelles langagières entre les deux passe par une chaîne de reformulations, elle présuppose donc, lors de cette seconde étape, un dialogue entre l'écolier et un adulte instruit 327 . Or l'école ignore cette phase stratégique d'apprentissages à la fois cognitifs et linguistiques, tout en faisant des compétences complexes de lecteur et de scripteur un critère caché de réussite aux examens et concours. Ces compétences sont évidemment d'autant plus décisives dans la réussite ou l'échec que le nombre et/ou le coefficient des épreuves écrites est important.

On commencera par situer les scolarités de second cycle des enquêtées dans le processus d'évolution du système scolaire français 328 .

Notes
327.

On a choisi l'exemple de la «reformulation», parce qu'elle joue un rôle stratégique dès les premiers apprentissages. Marceline Laparra souligne que les enfants de tous les milieux sociaux ont beau être entraînés aujourd'hui à décoder des échanges langagiers où les variations linguistiques sont très grandes, y compris au cours d'une même situation de communication, ils sont démunis au moment de l'appropriation personnelle du savoir, hors temps scolaire. " (...) Si l'élève a alors sa disposition un adulte médiateur capable de reconstruire avec lui en sens inverse la chaîne des reformulations, il a une chance de maîtriser les formulations définitives correspondant au savoir achevé et qui sont les seules auxquelles il se trouve alors confronté. S'il n'a pas dans son entourage un adulte de ce type il se retrouve face à des formulations qu'il ne comprend plus, faute d'avoir en mémoire les énoncés qui lui avaient permis de construire dans l'instant et de proche en proche la signification de ces verbalisations ultimes. Il est dans l'incapacité de se les approprier : au pire il les néglige, se contentant de formulations approximatives, au mieux il les récite sans les comprendre.", "Réflexions sur une didactique de la langue maternelle au niveau des premiers apprentissages", “Le français et les réformes”, Pratiques, n° 71, sept. 1991, pp. 22-23. Sur la question des apprentissages langagiers et de la didactique du français, on s'est appuyé principalement sur ce n° 71 ainsi que sur le n° 68 “La dissertation” de la revue Pratiques publiée par le CRESEF (collectif de recherche et d'expérimentation sur l'enseignement du français).

328.

Citons quelques travaux bien connus, qui se rapportent grosso modo à la période. Ils fournissent entre autres des cadres d'intelligibilité des effets sociaux corrélés à la croissance scolaire, et du rapport aux études de populations novices dans l'usage de l'institution scolaire. F. Œuvrard, "Démocratisation ou élimination différée", Actes de la recherche en sciences sociales, n° 30, novembre 1979. P. Bourdieu, "L'espace social et ses transformations" in La distinction, Ed. de Minuit, Paris, 1979; C. Baudelot, R. Benoliel, H. Cukrowicz, R. Establet, Les étudiants, l'emploi, la crise, François Maspero, Paris, 1981; L. Tanguy, "Savoirs et rapports sociaux dans l'enseignement secondaire en France", Revue française de sociologie, XXIV, 1983; J.P. Terrail, "Familles ouvrières, école, destin social (1880-1980)", Revue française de sociologie, XXV, 1984; Z. Zéroulou, "Mobilisation familiale et réussite scolaire", Revue Européenne des Migrations Internationales, volume I n° 2, décembre 1985; "La réussite scolaire des enfants d'immigrés", Revue française de sociologie, XXIX, 1988. A. Prost, L'enseignement s'est-il démocratisé? PUF, Paris, 1e éd. 1986, 2e éd 1992. A. Léger, M. Tripier, Fuir ou construire l'école populaire?, Méridiens Klincksieck, Paris, 2e tirage 1988; C. Baudelot, R. Establet, Allez les filles, Seuil, Paris, 1992.