5.1.1. sélection scolaire et sélection sociale

Les enquêtées admises en 2de (n=33) y sont entrées entre 1965 et 1987. La majorité d'entre elles ont été scolarisées entre 1975 et 1987 dans le même établissement. Avant de comparer leur distribution dans les différentes filières ou sections au lycée B., dessinons le paysage. L'augmentation continue des taux de scolarisation s'est accompagnée d'une intensification de la sélection. Glissement lexical significatif, le terme de «démocratisation» qui émaillait jusqu'aux années 1980 les discours et les écrits consacrés à l'école a été peu à peu remplacé par celui de scolarisation «généralisée» ou «de masse».

Nul n'ignore le caractère unidimensionnel de la hiérarchie des filières dans le système scolaire français 329  : prééminence de l'enseignement général sur l'enseignement technique et professionnel; prééminence des sections scientifiques, en particulier de la section C sur toutes les autres sections dans l'enseignement général. Cette hiérarchisation s'est accrue de 1955 à 1985. La réforme Haby a conforté la double logique de croissance scolaire et de sélection. Dès 1979, Françoise Œuvrard repérait à partir de données statistiques que différents mécanismes d'élimination douce des jeunes démuni(e)s de capital culturel 330 avaient pris la relève des formes antérieures, plus brutales et plus franches. On se propose d'étudier le mode d'action d'un de ces mécanismes, qui reste en partie masqué.

Notes
329.

Les effets du caractère unidimensionnel de la hiérarchisation sont clairement mis au jour dans le rapport de Lucie Tanguy, chargée de mission auprès au secrétariat d'Etat de l'enseignement technique, "Quelle formation pour les employés et les ouvriers en France?" (mai 1991). Citons quelques extraits du résumé fait de ce rapport par Françoise Ropé. "«(...) La culture nationale française (qui) accorde la prévalence à l'enseignement général et (qui) sur cette base, hiérarchise les différentes formes d'enseignement. Cette hiérarchie, qui repose sur le postulat d'un ordre unidimensionnel des savoirs, selon lesquels les savoirs techniques seraient une application des savoirs scientifiques et les savoirs professionnels une application des savoirs techniques, se traduit dans les nomenclatures utilisées pour gérer l'évolution des formations à partir de celle des emplois. C'est alors en termes de niveau que sont énoncées les lignes de force d'une politique. L'objectif “80% d'une classe d'âge au niveau bac” en est une illustration éloquente.» (...) L. Tanguy concluait en affirmant (...) que «laisser faire les mouvements en cours, c'est jeter les fondations d'une société où la réussite d'une majorité de jeunes justifierait le rejet d'une fraction d'entre eux hors du développement culturel (dans l'école), du développement économique (par l'emploi) et politique (en tant que citoyen), pour les enfermer dans des conditions précaires.", F. Ropé, "Fonctions sociales de l'enseignement professionnel et enseignement du français", Pratiques, n° 71, sept. 1991.

330.

Selon la conceptualisation de P. Bourdieu. Cf. "Les trois états du capital culturel", Actes de la recherche en sciences sociales, n° 30, novembre 1979.