Au cours des dernières décennies, les modes d'entrée dans la vie adulte se sont transformés. L'émergence d'une nouvelle phase de la vie, la jeunesse, a brisé une configuration des cours de vie qui épousait jusqu'alors étroitement, dans la masse de la population, la ligne des changements biologiques corrélés aux âges de la vie. On se réfère ici aux travaux d'Olivier Galland, et tout particulièrement à la synthèse qu'il a publiée dans un court article 397 . Comparer la position relative de quatre seuils sur la trajectoire de vie, soit la fin des études et la stabilisation professionnelle d'une part, la décohabitation et la formation du couple d'autre part, objectivise les transformations. Dans l'ancien modèle, du moins dans sa version masculine, la synchronie approximative de quatre seuils définit la décohabitation comme l'«établissement» dans la vie adulte. Décohabiter, c'est franchir une étape décisive dans les âges de la vie. Le retour en arrière n'est pas pensable. Dans le nouveau au contraire, une phase de vie solitaire — d'autonomie résidentielle —, qui peut s'étendre sur plusieurs années, s'intercale entre la phase de la scolarité concordant avec la cohabitation avec les parents, et la phase de la vie professionnelle et de la cohabitation conjugale. Le chercheur a interprété l'acte même d'autonomisation résidentielle comme une transformation structurelle du processus de socialisation. Les filles qui s'autonomisent seraient les initiatrices, en milieu ouvrier, de modes de vie d'abord réservés aux milieux sociaux plus élevés. Le phénomène de diffusion d'un modèle homologue au modèle de dilettantisme dont les fils de bourgeois avaient seuls le privilège au XIXe siècle, constituerait la jeunesse en "nouvel âge de la vie", propice à l'expérimentation.
Autrement dit, le clivage entre les deux modes de décohabitation serait significatif parce qu'il indiquerait un clivage probable entre deux configurations hétérogènes d'existence sociale. La décohabitation-«établissement» marquerait le début d'un itinéraire de vie prédéfini par la socialisation primaire; en revanche, la décohabitation-«autonomisation personnelle» ouvrirait la possibilité de construire l'itinéraire au fil d'un processus, les apprentissages de la socialisation secondaire favorisant un remaniement des premières structurations de la socialisation primaire. Adoptons l'interprétation à titre d'hypothèse de travail. Pour la mettre à l'épreuve, on commencera par examiner systématiquement les différenciations qui se révèlent au moment clé de l'entrée dans la vie adulte. On analysera tout d'abord les modes de décohabitation, puis les rapports entre modes d'élection du conjoint et cohésion conjugale dans la durée.
O. Galland, "La jeunesse en France, un nouvel âge de la vie" in A. Cavalli et O. Galland (dir.), L'allongement de la jeunesse, Observatoire du Changement social en Europe occidentale — Poitiers, Actes Sud, 1993, pp. 19-39.