Par cohésion conjugale, on désigne le complexe fonctionnel articulant les relations entre les conjoints, la répartition des tâches et des responsabilités dans le couple, éventuellement les relations entre la cellule conjugale et des groupes plus larges, composant ou construisant un nous.
En étudiant les modes de décohabitation, on a repéré que certaines des associations conjugales se sont révélées durables tandis que d'autres se sont rompues, parfois peu de temps après la formation du couple. Les séparations avec ou sans divorce, qui se sont échelonnées entre 1988 et 2000, ont un poids proportionnel important — 10 sur 26, soit plus de 38%. Leur proportion correspond à peu près à celle des mariages suivis de divorce à l'échelle nationale, qui a crû régulièrement de 30,4% à 38,9% dans la période allant de 1985 à 1999 pour décroître légèrement en 2000 et 2001 416 . Une hypothèse plausible de l'ampleur du phénomène dans l'enquête est l'incompatibilité structurelle entre l'équilibrage de la famille-association et celui de la famille-communauté. Les deux piliers de la famille-communauté, la hiérarchisation des places et la prédéfinition des rôles selon le rang de naissance et selon la sexuation se reconduisent sans difficulté quand les existences masculines et les existences féminines s'inscrivent dans des espaces-temps séparés, comme c'est le cas dans les sociétés maghrébines. Dans l'équilibrage de la «société salariale» au contraire, les conjoints se trouvent implicitement affectés à des rôles jumeaux. Tous deux sont salariés et travaillent à l'extérieur de l'espace domestique; tous deux deviennent des parents, appelés à coopérer pour gérer l'entreprise conjugale et pour élever leurs enfants. La transformation est considérable. Un équilibrage de type égalitaire est censé se substituer à l'équilibrage fondé sur la valence différentielle des sexes. Il n'est pas surprenant que les dispositions intériorisées par les conjoints-hommes et par les conjoints-femmes ne soient pas au diapason, surtout quand les femmes ont occupé une place statutaire dans leur famille et/ou qu'elles ont eu le pouvoir de s'individuer au cours de leur socialisation. A condition de ne pas scotomiser"la dépendance objective qui caractérise la situation des femmes dans le couple" 417 , l'hypothèse n'est pas en contradiction avec l'évolution historique en trois étapes conceptualisée par Jean Kellerhals et les co-auteurs de Mariages au quotidien 418 :
‘"Le mouvement général qu'indiquent les historiens est celui d'un «repli» des individus de la communauté vers la famille. Ce procès d'individuation oppose initialement deux ensembles : les collectivités de voisinage et la famille nucléaire, c'est-à-dire un groupe stable, dont la finalité est la prospérité économique et la procréation. ’ ‘Ce premier repli se prolonge (ou plutôt se dépasse) dans un deuxième mouvement d'individualisme, quand la valeur «couple» prend plus d'importance que celle de «famille» après lui avoir pourtant été associée. Le sentiment de fusion interpersonnelle est à son maximum, alors même que se développe la scission entre famille et conjugalité.’ ‘Une troisième étape se manifeste lorsque cette «passion» du couple subit à nouveau l'assaut renouvelé des aspirations individualistes, la personne désirant à la fois se réaliser dans le couple et se soustraire à ses contraintes. Cette contestation voit sa virulence accentuée lorsque les acteurs disposent, comme aujourd'hui, d'importants atouts économiques et culturels «monnayables» à l'extérieur du couple. C'est en effet dans cette conjoncture que s'exacerbe la tension latente entre deux modes d'échange avec autrui : celui qui veut que l'on soumette ses «biens» au couple et celui qui affirme le primat de l'autonomie du «je»."’Les conditions de l'enquête ne permettent pas, et c'est dommage, d'analyser les représentations des conjoints-hommes. Pour mettre l'hypothèse à l'épreuve, on s'appuiera donc sur les différenciations entre les pratiques et les représentations des partenaires-femmes. On comparera leurs logiques de choix à l'orée de la première vie de couple, puis on complétera l'étude en analysant les représentations qui sous-tendent les réponses à un ensemble de trois questions posées à toutes les enquêtées.
Source : INSEE, Situation démographique. Dernière mise à jour, janvier 2005.
F. de Singly, "Théorie critique de l'homogamie", L'année sociologique, 37, 1987 (2), p. 197-198. Le sociologue notait le décalage qui pointait entre les représentations masculines et féminines du rôle de la femmes dans le couple : " (...) Les attentes des unes et les espoirs des autres ne s'harmonisent pas toujours parfaitement, en particulier à propos de la dimension professionnelle de la femme, indicateur de sa relative indépendance. Si les femmes qui se présentent sur le Chasseur français [il s'agit de leur présentation dans les petites annonces matrimoniales] obéissent à la logique dominante d'attribution des rôles conjugaux, elles s'y soumettent moins fortement que les hommes. Les femmes revendiquent plus pour elles-mêmes une définition par une position professionnelle que ne le demandent les hommes pour leurs futures épouses. Le capital professionnel est l'enjeu d'une lutte entre les sexes au niveau des représentations matrimoniales, les femmes cherchant à l'inclure dans leur identité sociale et donc, en quelque sorte à le désexualiser.",
J. Kellerhals, JF. Perrin, G. Steinauer-Cresson, L. Vonèche, G. Wirth, Mariages au quotidien, Ed.P. M Favre, Lausanne, 1982, p. 29. Pour des définitions idéaltypiques du lien entre mariage et divorce et des types d'organisation familiale, cf. J. Kellerhals et P.Y. Troutot, "Divorce et modèles matrimonaiux", Revue française de sociologie, XXIII, 1982; J. Kellerhals, "Les types d'interaction dans la famille", L'Année sociologique, 1987.