1. DE LA NÉVROSE NARCISSIQUE À LA PSYCHOSE: L'ÉLABORATION PSYCHANALYTIQUE DU DIALOGUE AVEC L'INSENSÉ.

Il est difficile d'entamer ce chapitre sans le faire précéder d'une réflexion sur la dimension nosographique, même si, selon Green, "La nosographie n'a pas la faveur des psychanalystes" 52 . En fait, dans ce travail, il s'agit plus d'une "nosologie" que d'une nosographie. C'est-à-dire que nous nous contenterons de références à des formes-types révélatrices d'une dynamique psychique permettant une modélisation dialectique fonctionnant sur des oppositions, plutôt que de dégager des organisations marquées par leur fréquence d'apparition et la stabilité de leurs symptômes. C'est cette approche qui permet de suivre les différentes étapes de l'établissement d'une nosographie des psychoses au fil de l'œuvre de Freud.

La première étape des réflexions freudiennes concernant le rôle du deuil dans la mélancolie, de la projection dans la paranoïa et du détachement de la réalité dans la confusion hallucinatoire, au regard des travaux sur l'hystérie, permet une première distinction entre les "névroses actuelles" et les "psycho-névroses de transfert". Ces deux catégories ont pour étiologie la sexualité, mais la première renvoie à des difficultés ayant leurs origines dans le présent et sont associées à une dimension somatique tandis que la seconde renvoie à des événements de la vie passée dont l'expression symptomatique a une valeur symbolique. La deuxième étape fait suite à l'étude du narcissisme débouchant sur la publication en 1914 du texte intitulé "Pour introduire le narcissisme". Le groupe des "psycho-névroses de transfert" se divise alors en deux catégories. Les "névroses de transfert" s'opposent aux "névroses narcissiques", soulignant ainsi le rôle de la transformation de la libido d'objet en libido du Moi associé au détournement de l'investissement de la réalité. Dans cette classification, "narcissique" s'oppose à "transfert", faisant planer la menace d'une inaccessibilité des états "narcissiques" au traitement psychanalytique fondé sur l'interprétation des mouvements transférentiels. En 1924, avec la différenciation structurale entre névrose et psychose, seule la mélancolie reste "névrose narcissique", se démarquant de la schizophrénie et de la paranoïa, regroupées désormais sous le vocable de psychose. Cette dernière division se retrouvera dans l'œuvre de M. Klein avec l'opposition entre structure schizo-paranoïde et structure maniaco-dépressive.

Une dernière remarque sur l'aspect "polyphonique" des premiers travaux des psychanalystes dans leur confrontation aux problématiques psychotiques. L'œuvre centrale de S. Freud concernant la psychose s'inscrit dans un dialogue, parfois houleux, avec ses disciples. C'est le thème de la psychose qui sera le support des trois grandes "correspondances" de S. Freud. C.G. Jung, K. Abraham, S. Ferenczi seront les grands interlocuteurs épistolaires des réflexions freudiennes qu'ils alimenteront par leurs critiques ou leurs développements originaux. Il faut aussi citer V. Tausk dont la relation avec S. Freud fut différente, mais dont l'apport est incontestable, ainsi que P. Federn dont l'engagement dans le traitement des psychoses fut important, mais dont la place auprès de S. Freud fut plus discrète. La résistance qu'opposent les problématiques psychotiques à la compréhension psychanalytique a mobilisé les psychanalystes de la première heure dans un débat qui en fait une œuvre collective, ou plus précisément une œuvre à plusieurs voix. La dimension collective marquée de la réflexion concernant la psychose est une des caractéristiques de ces premiers travaux. C'est pour cela qu'après un rapide parcours des travaux de S. Freud nous évoquerons les écrits de ces différents auteurs.

Notes
52.

GREEN A., 1971, "La nosographie psychanalytique des psychoses", in DOUCET P. et LAURIN C., Problem of psychosis, Ed. Experta Médica, p. 80.