1.1. FREUD.

On a souvent fait remarquer que la théorisation freudienne des problématiques psychotiques s'est faite à l'ombre de celle des névroses. Excepté avec la publication en 1911 des "Remarques psychanalytiques sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa: le Président Schreber" 53 , les réflexions de S. Freud sur la psychose sont intriquées aux différents thèmes qu'il aborde sans qu'émergent réellement d'écrits de synthèse, ce qui rend toute modélisation délicate et partielle. De plus, une des spécificités de la théorisation freudienne des psychoses est qu'elle ne s'appuie pas sur une clinique au long cours. De nombreux travaux s'appuient sur des écrits produits par des personnes souffrant de psychose ou des consultations brèves, et non sur le traitement psychanalytique suivi de cas reconnus de psychoses. S. Freud justifie cette particularité dès les premières lignes des "Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa: le Président Schreber" en notant la difficulté à suivre de tels patients en dehors d'une institution, mais surtout en remarquant une particularité clinique paradoxale: "Etant donné que les paranoïaques ne peuvent être contraints à surmonter leurs résistances internes et d'ailleurs ne disent que ce qu'ils veulent dire, c'est à bon droit que, justement dans cette affection, le rapport écrit ou l'histoire de malade imprimée interviennent comme substitut de la connaissance personnelle du malade." 54 La difficulté à rencontrer durablement des patients souffrant de psychose est contournée par le recours à leurs écrits. Le texte rédigé par le malade est le substitut d'une rencontre personnelle, car il n'y a pas de réelle rencontre. Ces personnes "ne disent que ce qu'elles veulent dire", même en présence d'un tiers, elles ne parlent qu'à elles-mêmes. Ce raccourci est emblématique des difficultés méthodologiques rencontrées par les premières tentatives de traitement psychanalytique des psychoses.

L'appareillage méthodologique psychanalytique qui lie la théorisation au traitement des affections psychiques se désarticule, un temps, dans sa confrontation à la question du transfert dans les problématiques psychotiques, dans sa confrontation à la résistance qu'opposent les problématiques psychotiques au traitement psychanalytique. Au-delà de la nature même des processus psychotiques, T. Vincent, dans "La psychose freudienne" 55 , voit dans cette spécificité l'effet de la volonté de S. Freud de ne pas renoncer à concevoir la psychose à la lumière des pathologies névrotiques et ainsi de conserver une continuité dans la compréhension de l'organisation de la vie psychique.

Faute de textes de synthèse directement rédigés par S. Freud, nous avons choisi de dégager six points de repères disséminés dans les écrits de S Freud à propos des problématiques psychotiques afin de baliser un chemin qui part de l'étude de la paranoïa et débouche sur l'impact des processus psychotiques sur le fonctionnement psychique: la recherche d'un mécanisme psychique à l'œuvre dans la psychose ayant un rôle équivalent à celui du refoulement dans la névrose, la projection; la détermination d'une problématique libidinale, l'homosexualité et le repli libidinal; la distinction entre la réalité interne et la réalité externe, le conflit structural de la psychose entre le Moi et la réalité; une psychopathologie des symptômes psychotiques; la question du transfert dans les problématiques psychotiques; l'impact sur le processus de représentation.

Notes
53.

FREUD S., 1911, "Remarques psychanalytiques sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa", in Cinq psychanalyses, PUF, 1966.

54.

FREUD S., 1911, op. cit., p. 264.

55.

VINCENT T., 1995, La psychose freudienne, Arcanes.