1.4.2. Le sens de la réalité.

Pour S. Ferenczi, c'est cette projection primitive qui vient fonder la première différenciation entre le dedans et le dehors où s'origine le Moi : ". . . lorsque pour la première fois il distingue le perçu objectif du vécu subjectif." 148 Selon cette approche, le monde extérieur est d'abord une création subjective née de la contrainte d'un mouvement d'expulsion. La réalité se constitue alors sur les sédiments de ce qui ne peut pas être accepté par le Moi et qui le menace de l'intérieur. "Si plus tard il (l'enfant) désire se débarrasser d'affects désagréables sur le mode paranoïaque, il n'a pas besoin d'une méthode foncièrement nouvelle: de la même façon dont il a objectivé autrefois une partie de sa sensorialité, il expulsera une plus grande part du moi dans le monde extérieur, transformant encore plus d'affects subjectifs en sensations." 149

Ce premier temps, ce premier mouvement, en appelle un second: "l'introjection primitive". C'est le retour au sein du Moi des objets investis. Ces deux opérations vont régir les relations de l'enfant avec le monde extérieur et par voie de conséquence lui permettre de développer son Moi. Nous trouvons là un précurseur important des théories développées ultérieurement par M. Klein. S. Ferenczi va progressivement élaborer une théorie génétique du développement du Moi marquée par six étapes venant ponctuer le passage d'une position solipsiste, où règne la "toute puissance inconditionnelle", à la reconnaissance de l'altérité. De déceptions en déceptions, le sujet constitue un "sens de la réalité", il crée un monde différent de lui. De ce renoncement progressif à la mégalomanie naît une tentative de corriger l'écart entre monde interne et monde externe, entre perception et représentation : un système symbolique. "Ainsi s'établissent ces relations profondes, persistant toute la vie entre le corps humain et le monde des objets, que nous appelons relations symboliques." 150

Selon S. Ferenczi, la connaissance du monde est d'abord paranoïaque et le système symbolique le dernier refuge d'une toute puissance infantile déchue. Le sens de la réalité ne naît pas d'une confrontation perceptive brutale avec une extériorité radicale, mais de la construction d'une altérité répondant au négatif de soi. L'équilibre des mouvements de projection et d'introjection tisse une trame qui tente de contenir l'écart entre "intérieur" et "extérieur" donnant naissance à un système symbolique.

Notes
148.

FERENCZI S., 1909,"Transfert et introjection", Psychanalyse, t. 1, Payot, 1975, p. 101.

149.

FERENCZI S., 1909, op. cit., p. 101.

150.

FERENCZI S., 1913, "Le développement du sens de la réalité et ses stades.", Psychanalyse t. 2, Payot, 1978, p. 59.