1.5.1. Le persécuteur n'est plus seulement comme dans la théorie freudienne, un objet homosexuel.

V. Tausk affine et discute la position de S. Freud concernant la genèse de la paranoïa. La projection et le retournement du sentiment homosexuel dans la paranoïa n'est qu'une figure de la dialectique entre narcissisme et relation d'objet dans un registre psychotique. Pour V. Tausk, ce qui est projeté est essentiellement, le "corps propre" et ce qui persécute est le désir. D'où aussi la difficulté à établir une relation transférentielle, qui n'est plus alors pensée comme absente. La relation transférentielle devient elle aussi persécutrice.

Le persécuteur n'est plus seulement, comme dans la théorie freudienne, un objet homosexuel. Derrière cet objet se dissimule le corps propre du sujet persécuté par ses désirs libidinaux, et qu'il tente désespérément de projeter dans le monde extérieur sous la représentation hallucinée d'une machine qui lui serait étrangère. "Que cependant à l'encontre de la théorie de Freud - qui attribuait à la paranoïa une genèse exclusivement homosexuelle - on puisse voir apparaître des persécuteurs hétérosexuels, peut s'expliquer sans pour autant contredire cet auteur. La machine à influencer peut correspondre à un stade psychique régressif, au cours duquel ce qui importe ici, ce n'est plus l'opposition entre les sexes, non plus que la crainte d'émasculation liée à l'homosexualité passive: l'opposition fondamentale est celle qui existe entre libido objectale et libido narcissique . Tout objet exigeant un transfert, toute pulsion venant perturber le Moi devient un persécuteur." 157

La "machine à influencer" qui fait souffrir Natalia est l'œuvre d'une projection spécifique, la projection du corps propre. Pour V. Tausk, le délire de ses patientes s'origine dans une forme d'hypocondrie et non, comme pour le Président Schreber, dans une forme d'érotomanie. Mais ce corps propre projeté est un corps érotisé, l'hypocondrie est un trouble de l'érogénéité du corps dont la machine à influencer représente une forme particulière et achevée.

Une autre caractéristique de la "machine à influencer", décrite par V. Tausk, est sa dimension construite, dynamique. Cette "machine" s'enracine dans le sentiment d'étrangeté à soi-même, de perte ou de transformation de ses pensées, d'aliénation. V. Tausk précise que ces sentiments sont typiques des phases de début de la "démence précoce". Sa conception de la "machine à influencer" représente un destin possible dans l'évolution de ces symptômes inauguraux. "Dans bon nombre de cas, il paraît certain, et dans d'autres très vraisemblable, qu'à partir de sentiments de transformation qui apparaissent sous le signe de l'étrangeté et sans être attribués à un responsable, se forment des sentiments de persécution dans lesquels le sentiment de transformation est attribué à l'action d'une personne étrangère, "suggestion" ou "influence télépathique". Dans d'autres cas, on voit l'idée de persécution et d'influence déboucher dans la construction d'un appareil à influencer . Partant de là, nous serions sur le point d'admettre que l'appareil à influencer est le terme final de l'évolution du symptôme, qui a débuté par de simples sentiments de transformation." 158 En prolongeant la pensée de V. Tausk, il est possible de voir dans cet "appareil à influencer", au-delà de la projection du corps propre, une métaphore de l'appareil psychique en tant qu'appareil de transformation de la pulsion qui échapperait au sujet, qui ne serait plus appropriable subjectivement.

Notes
157.

TAUSK V., 1919, op. cit., p. 213-214.

158.

TAUSK V., 1919, op. cit., p. 181.