2. L'OBJET ET LE TRANSFERT PSYCHOTIQUE.

Créer un lien, entrer en contact, avec un patient aux prises avec une problématique psychotique va conduire de nombreux psychanalystes à développer des pratiques ou des conceptions rendant compatible l'existence d'un transfert "psychotique" avec les théorisations freudiennes. L'extension de la psychanalyse aux psychoses a pris son essor avec les travaux de M. Klein concernant les enfants. L'analyse des sujets souffrant de psychose, désignés par le terme diagnostic de schizophrène pris dans un sens très large, représente un des apports majeurs du groupe kleinien à la pratique psychanalytique en relançant le débat théorique à partir d'une pratique clinique étoffée.

Cette extension a engendré une modification des pratiques psychanalytiques suscitant un débat sur l'analysabilité de ces patients et les limites à respecter dans les aménagements du dispositif analytique ainsi que sur les indications de traitement. Des modifications dans la théorie psychanalytique vont répondre aux modifications de la pratique psychanalytique. Aménagements théoriques et aménagements du cadre des pratiques thérapeutiques vont se soutenir ou s'opposer suscitant un débat important auprès des analystes essentiellement de langue anglaise.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la Société Britannique de Psychanalyse a été un foyer particulièrement fécond dans la relance des travaux psychanalytiques concernant les psychoses. En 1946, M. Klein publie un article sur les "mécanismes schizoïdes" 190 qui jette les bases d'une compréhension spécifique des angoisses psychotiques à partir de sa théorisation des angoisses infantiles et introduit dans la théorie le concept d'identification projective. L'année suivante H.A. Rosenfeld 191 rédige un texte relatant une analyse d'un état schizophrénique qui constitue une application directe des idées de M. Klein. La même année Winnicott apporte une contribution importante et originale à la réflexion sur les mouvements transféro-contre-transférentiels avec son article sur la "haine dans le contre-transfert" 192 , puis, en 1948 dans "Pédiatrie et psychiatrie" 193 , il apporte sa contribution à l'articulation entre les soins du nourrisson et la psychiatrie "ordinaire" des adultes. Dans ce chapitre, nous retiendrons également les contributions de M. Balint et de W.R. Bion, membres eux aussi de la Société Britannique de Psychanalyse, ainsi que les travaux d'H. Searles qui, bien qu'exerçant aux États-Unis, a beaucoup contribué aux débats qui ont animé la Société Britannique de Psychanalyse.

Dans cette mise en perspective historique de la théorisation du transfert et des relations d'objet dans les problématiques psychotiques, nous ferons aussi référence à des travaux et des expériences plus radicales en ce qui concerne les aménagements de la pratique psychanalytique ou les transformations du corpus théorique légué par S. Freud. J.N. Rosen, aux États-Unis, avec "l'analyse directe" et de M. Sechehaye, en Suisse, avec "la communication symbolique", proposent des modifications importantes de la pratique analytique en appliquant directement certains concepts issus de la métapsychologie. La tentative de réduction de l'écart théorico-clinique dans le traitement des psychoses suscite des créations originales, mais qui resteront des expériences-limites en marge du mouvement psychanalytique général. Nous réservons l'étude des travaux de G. Pankow, en France, sur la "structuration dynamique de l'image du corps", pour un chapitre sur les contenants de pensée, car ces conceptions apportent un éclairage sur les modèles actuels de compréhension des problématiques psychotiques. Mais l'originalité de sa pratique et la période à laquelle elle a développé sa clinique pourrait la faire entrer dans ce chapitre concernant les "pionniers" du traitement psychanalytique des problématiques psychotiques. Enfin, nous ferons aussi référence aux travaux de W.R.D. Fairbairn, psychanalyste écossais membre de la Société Britannique de Psychanalyse, qui représente une tentative de transformation de la psychanalyse en rupture avec la métapsychologie freudienne sous l'impact des travaux concernant la psychose.

Dans le sillage des travaux sur le transfert, toute une réflexion sur "l'objet" en psychanalyse va remettre en question profondément le dogme de l'anobjectalité psychotique. Après avoir aiguillonné la théorisation du narcissisme, les travaux sur la psychose et son traitement vont induire une théorisation sur "la relation d'objet" au sein des différentes organisations psychiques et les affects qui s'y échangent.

Notes
190.

KLEIN M., 1946, "Notes sur quelques mécanismes schizoïdes", in Développements de la psychanalyse, PUF, 1966.

191.

ROSENFELD H.A., 1947, "Analyse d'un état schizophrénique accompagné de dépersonnalisation", in États psychotiques, PUF, 1976.

192.

WINNICOTT D.W., 1947, "La haine dans le contre-transfert", in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969.

193.

WINNICOTT D.W., 1948, "Pédiatrie et psychanalyse", in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969.