2.7.1. La communication traumatique.

H. Searles met en évidence l'importance technique et théorique des réactions affectives du thérapeute. Pour lui, la psychothérapie des psychotiques est avant tout une mise à l'épreuve des défenses du thérapeute, de son intégrité personnelle. Il développe l'idée que le patient tente de rendre l'analyste fou. Cet "effort pour rendre l'autre fou", n'est pas une simple formule rendant compte de la difficulté du travail psychothérapique confronté aux processus psychiques qui animent les états psychotiques. Ce que met à jour ce type de relation, entre le patient et son thérapeute, représente à la fois une étape importante de la dynamique du traitement psychothérapique, et une hypothèse étiologique.

Les progrès thérapeutiques du patient passent par la tentative de dissocier l'analyste, de l'amener à douter de ses pensées, de ses perceptions et de ses affects et ainsi de l'assigner à la place qu'il a occupé lui-même par rapport à ses parents. C'est cette forme d'identification projective massive où le patient fait vivre à son thérapeute le processus dissociatif qui fonde un mouvement transférentiel déterminant pour la suite du traitement. Selon H. Searles, le thérapeute est sommé par son patient d'éprouver un état psychotique, d'être atteint dans son identité: "…dans notre tentative pour diagnostiquer les difficultés de nos malades, nous devons considérer ce qui affecte notre sentiment d'identité dans notre réaction au malade non comme des intrusions indésirables et non scientifiques de phénomènes contre-transférentiels, mais plutôt comme des données virtuellement précieuses et hautement scientifiques sur ce qui se passe à un niveau inconscient chez le malade." 257 Le thérapeute a un rôle de miroir qui permet au patient de se réapproprier ce qui lui appartient en propre. Un tel enjeu suscite bien évidemment des défenses massives du côté du thérapeute. H. Searles en fait même un élément diagnostic. Se sentir devenir soi-même "inhumain", "dur" ou "sadique" dans sa rencontre avec un patient est un critère sûr de la présence d'une schizophrénie. Il faut noter qu'au-delà des aspects techniques du traitement psychanalytique des psychoses, H. Searles rappelle et défend l'humanité des sujets atteints de schizophrénie, cause qui n'est peut-être jamais complètement acquise.

Cet "effort pour rendre l'autre fou" comporte une dimension étiologique car il est porteur de l'histoire relationnelle précoce du schizophrène. "D'après mon expérience clinique, l'individu devient schizophrène, en partie, à cause d'un effort continu – largement ou totalement inconscient – de la ou les personnes importantes de son entourage, pour le rendre fou." 258 Pour H. Searles ce mode de communication fait partie des facteurs étiologiques de la schizophrénie. Il définit ainsi les modalités d'une communication traumatique qui se rapproche des travaux de G. Bateson 259 . "Selon moi, on peut dire de manière générale que l'instauration de toute interaction interpersonnelle qui tend à favoriser un conflit affectif chez l'autre – qui tend à faire agir les unes contre les autres différentes aires de sa personnalité – tend à rendre l'autre fou (c'est-à-dire schizophrène)." 260 Selon lui, l'enfant est pris dans un type de communication en permanence énigmatique et contradictoire entretenu par son environnement où interfère différents registres. Le discours parental est imprévisible, instable et sans aucune fiabilité, il produit un effet de sape dans la confiance que l'enfant peut avoir dans ses propres réactions affectives et sa propre perception de la réalité extérieure. Un des effets de ce type de discours est, par exemple de laisser croire à celui qui est le destinataire d'un message qu'il a lui-même imaginé ce message. H. Searles dresse une liste des motifs qui engendrent de telles relations interpersonnelles. Ces motifs couvrent différents registres qui peuvent s'organiser autour d'une forme particulière de souhait de destruction psychique de l'autre, un "souhait de psychose"; "L'effort pour rendre l'autre fou peut consister avant toute chose, en l'équivalent psychologique du meurtre…" 261 , mais aussi s'appuyer sur le désir de maintenir une relation symbiotique ou l'externalisation d'une pathologie mentale menaçante pour un parent. H. Searles attribue une importance étiologique à une sorte d'économie intersubjective familiale de la folie, ce qui le situe dans le courant dit "intersubjectiviste" de la psychanalyse nord américaine.

Notes
257.

SEARLES H., 1959, "L'effort pour rendre l'autre fou", in L'effort pour rendre l'autre fou, Gallimard, 1977, p. 177.

258.

SEARLES H., 1959, op. cit. P. 155.

259.

BATESON G., 1969, "La double contrainte", in Vers une écologie de l'esprit, Le Seuil, 1980.

260.

SEARLES H., 1959, op. cit. P. 157.

261.

SEARLES H., 1959, op. cit. P. 163.