2.7.2. L'affect psychotique.

L'intérêt que porte H. Searles aux réactions affectives du thérapeute, dans le contre-transfert, lui a permis de théoriser l'émergence des affects au cours du processus psychothérapique. Il qualifie précisément les différents affects en les situant dans un processus évoluant au fil des mouvements transférentiels. L'affect est le moteur d'un mode de communication inconscient entre le psychanalyste et son patient schizophrène. Pour lui, l'affect est donc au cœur des échanges intersubjectifs. Mais au-delà de sa valeur de partage d'expérience émotionnelle, H. Searles théorise l'impact des affects dans le domaine structural et dans le domaine de la pensée. L'affect a alors un rôle organisateur, ou désorganisateur majeur, sur les processus psychiques.

Dans son étude sur la différenciation entre la pensée concrète et la pensée métaphorique chez le schizophrène, il relie directement l'accès à une pensée symbolique à la capacité à prendre conscience de ses émotions. Cette capacité à prendre conscience des émotions a aussi un impact direct sur l'organisation des frontières du Moi. " Ces frontières du moi ne peuvent s'établir que par degrés et à mesure que le patient devient capable d'affronter les émotions intenses et conflictuelles contre lesquelles le système de la maladie schizophrénique lui sert de rempart. Nous avons là en quelque sorte la preuve que les modes de pensée de l'adulte en bonne santé se construisent à partir de la prise de conscience de l'émotion." 262 Ce texte postule donc l'existence dans la schizophrénie d'affects inconscients, rejetons des communications traumatiques entre l'enfant et son milieu, dont l'effet est dévastateur sur le Moi et la pensée. Le travail thérapeutique doit permettre la nomination de ces affects éprouvés contre-transférentiellement ou de repérer les mouvements d'évitement maintenant les émotions hors du champ de la conscience. Par exemple, la perplexité, la confusion et la suspicion représentent pour H. Searles des efforts inconscients dynamiques pour maintenir hors de la conscience différents sentiments.

H. Searles étudie bien sûr les mouvements de haine et d'amour et les rapports qu'entretiennent ces deux sentiments dans la schizophrénie. L'amour et la haine sont intriqués, dans le processus schizophrénique il y a un mouvement de dédifférenciation entre ces deux sentiments. L'ambivalence est alors impossible, il est impossible d'affronter le fait d'éprouver à la fois de l'amour et de la haine.

H. Searles repère aussi l'expression chronologique d'affects différents dans le déroulement de la relation transférentielle. Le premier de ces affects est le mépris. Le mépris est une sorte d'affect "écran"…"qui protège contre toute une gamme de sentiments plus angoissants" 263 . Ce sentiment angoissant est lié au désillusionnement qui doit se développer dans la relation entre la mère et l'enfant. H. Searles emprunte cette notion aux travaux de D.W. Winnicott. Le désillusionnement suit le mépris et permet de pénétrer dans une couche psychique plus profonde. Enfin, l'acceptation de ces mouvements de désillusionnement conduit à une phase d'adoration mutuelle caractéristique de la toute première symbiose entre la mère et son enfant. Selon H. Searles, ce mouvement transférentiel permet au patient de rétablir le contact avec son histoire infantile. Pour H. Searles, les affects exprimés au cours du traitement psychothérapique des psychoses ne peuvent pas se résumer à l'expression d'une dualité pulsionnelle, il développe une attention particulière au repérage de la diversité des affects, et à leur double polarité, exprimés au cours du traitement psychothérapique des psychoses.

Notes
262.

SEARLES H. 1962, "Différenciation entre pensée concrète et pensée métaphorique chez le schizophrène en voie de guérison", in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1982, n° 25, p.333.

263.

SEARLES H. 1962, "Mépris, désillusionnement et adoration dans la psychothérapie de la schizophrénie", in L'effort pour rendre l'autre fou, Gallimard, 1977, p. 331.