3. PENSER LA PSYCHOSE: SYMBOLIQUE ET SYMBOLISATION.

Une troisième étape reste à explorer dans ce parcours historique qui lie psychanalyse et psychose. Cette étape recouvre chronologiquement en partie la précédente, il s'agit des apports des psychanalystes français à la compréhension des psychoses. Ces travaux prennent pleinement leur essor dans les années d'après guerre. Ces contributions restent spécifiques et originales même si elles bénéficient relativement rapidement de la traduction des travaux de M. Klein qui s'associent aux traductions plus tardives des travaux de S. Freud. En effet, les premières traductions françaises des écrits de M. Klein sont publiées dans les années trente en même temps que les traductions françaises des travaux de S. Freud concernant la psychose, comme son étude du texte rédigé par le "Président Schreber", ou son article intitulé "Communication d'un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique".

Les théorisations françaises du fonctionnement psychique des problématiques psychotiques s'originent, elles aussi, dans un débat dont la spécificité est de rassembler psychanalyse et psychiatrie. Ce débat se déploie au sein du groupe dit de "l'Évolution Psychiatrique", fondé au milieu des années vingt, à la même époque que la Société Psychanalytique de Paris. Le groupe de "l'Évolution Psychiatrique" se placera à la fin de la seconde guerre mondiale, sous l'égide de H. Ey. La revue éponyme se fera l'écho de ces échanges et de ces controverses. Elle regroupera dans ses colonnes les signatures de psychanalystes qui viennent y confronter leurs points de vue et qui ont marqué la psychanalyse française comme J. Lacan, P.C. Racamier, D. Lagache, S. Leclaire ou A. Green… L'hétérogénéité de ce groupe ne portait pas seulement sur des options théoriques au sein de la psychanalyse. Ce groupe représentait aussi les deux autres grands courants de pensée de la psychiatrie française, la phénoménologie et l'organo-dynamisme.

Le débat des psychanalystes français autour de la compréhension des psychoses est porté par la tradition psychiatrique française. L'étude de la singularité de chaque "cas" est essentielle, à l'image des "présentations" de malades dont les propos font partie de l'enseignement de la psychiatrie. Le discours du patient fait partie intégrante de la formation du futur psychiatre développant ainsi une culture de l'observation clinique où le psychiatre se doit d'être, pour un temps, le "secrétaire" du patient. À cette époque, c'est la psychanalyse qui est interpellée par la psychiatrie française issue de l'aliénisme à la recherche de nouveaux modèles. Un des destins de ces échanges entre psychiatrie et psychanalyse, dans la période tumultueuse de l'après-guerre, sera la naissance d'un abord psychiatrique original à l'écoute de ce qui se dit dans le quotidien de la souffrance psychique: la psychothérapie institutionnelle.

Mais ce débat fructueux donnera une production conceptuelle très disparate et se traduira au sein du mouvement psychanalytique français par des conflits majeurs, des ruptures et des recompositions au sein des associations psychanalytiques. Pour notre exposé de l'histoire des concepts, parmi les nombreuses contributions des analystes français, nous ne retiendrons comme jalons principaux de cette approche historique, que les travaux de trois psychanalystes pour lesquels la psychose a été l'élément organisateur de leur théorisation de la vie psychique: les travaux de J. Lacan, P.C. Racamier et ceux, plus récents, de P. Aulagnier.