3.1. LACAN.

J. Lacan est une figure marquante du mouvement psychanalytique français. Ce personnage complexe a soulevé des polémiques passionnées, à l'on peut considérer que les différentes structures institutionnelles françaises de la psychanalyse portent la marque des débats qu'il a engendré. Ses travaux ont reçu un écho auprès des milieux intellectuels qui dépasse largement le domaine purement psychanalytique ou psychiatrique. Sa thèse de médecine, fondée en partie sur la psychanalyse, ne sera pas commentée dans la "Revue Française de Psychanalyse", seul H. Ey en fera un compte-rendu dans une revue psychiatrique, "l'Encéphale", alors qu'il aura pour commentateurs Paul Nizan, René Crevel ou Salvador Dali.

Dans le contexte français, qui lie psychiatrie et psychanalyse, il n'est pas surprenant de souligner qu'un des premiers écrits de J. Lacan est une thèse de doctorat en médecine traitant de la psychose 273 qui se fonde sur l'étude d'une monographie, le "cas Aimée". Cette thèse ne s'appuie pas sur une pratique psychanalytique, mais sur une référence à la théorie psychanalytique (J. Lacan n'entreprendra sa propre analyse qu'après la rédaction de sa thèse). Parmi d'autres références, il utilisera les travaux de S. Freud sur la deuxième topique. Son objectif d'alors est de refonder la psychiatrie grâce à une ouverture sur la psychanalyse. Il affirme le caractère subjectif et non déficitaire du délire et postule un déterminisme "psychogénique" au développement des psychoses paranoïaques, positions qui évolueront au cours du développement de ses théorisations. Il s'oppose en cela à la vision organiciste traditionnelle de la psychiatrie portée par G.G. de Clérambault. Sa vision de la psychose paranoïaque est basée sur une dynamique qui repose sur trois axes qui fondent la personnalité: "un développement biographique", "une conception de soi-même", "une tension des relations sociales". Sa compréhension du délire "d'Aimée" s'appuie sur une interprétation freudienne du travail du rêve. Il cherche aussi à identifier un mécanisme psychique précis à l'origine du délire en supposant que c'est un trouble mnésique qui est à l'origine des interprétations délirantes: "une illusion de la mémoire". "Ces troubles consistent donc uniquement en une insuffisance de la remémoration, qui permet à une image-fantasme (évoquée elle-même par les associations d'une perception, d'un rêve ou d'un complexe délirant) de se transformer en image-souvenir." 274 Dans cette thèse, l'attention de J. Lacan sera aussi attirée par les "productions littéraires" "d'Aimée". Il cherchera à saisir une empreinte, une signature, de la psychose dans l'écriture de sa patiente initiant ainsi son recours à la linguistique. Si la thèse de J. Lacan démontrait l'intelligibilité du délire "d'Aimée" au regard de la psychanalyse, il concluait cependant sur l'impuissance des psychanalystes à traiter la paranoïa et appelait à la constitution "…d'une nouvelle technique psychanalytique, dont nous attendons pour la psychose une psychothérapie dirigée." 275 Au fil des années, les réflexions de J. Lacan vont s'éloigner des théorisations contenues dans sa thèse et déboucher sur bien autre chose qu'une "psychothérapie dirigée". Il se consacrera à une véritable transformation de la théorie psychanalytique des psychoses que T. Vincent résume ainsi: "Il y a désormais une conception lacanienne et psychanalytique de la psychose." 276 Mais J. Lacan restera un observateur de la psychose plutôt qu'un praticien de leur psychothérapie, ses réflexions s'appuient sur des présentations cliniques et la réinterprétation des études cliniques de ses prédécesseurs comme les écrits de M. Klein à propos de Dick ou de S. Freud à propos du Président Schreber. Pour les besoins de ce chapitre historique, nous nous limiterons à cette conception "lacanienne et psychanalytique de la psychose", le Lacan des années quarante et cinquante, mais bien sûr, l'œuvre de J. Lacan ne se limite pas là.

Notes
273.

LACAN J., 1932, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil 1975.

274.

LACAN J., 1932 op. cit., p. 213.

275.

LACAN J., 1932 op. cit., p. 349.

276.

VINCENT T., 1996, Pendant que Rome brûle, Arcanes, p. 157.