3.3. AULAGNIER.

P. Aulagnier est le dernier auteur de ce parcours historique, ses travaux issus de sa longue expérience de l'écoute des patients psychotiques, organisent un modèle métapsychologique global. Pour elle, les problématiques psychotiques permettent, ou plutôt, contraignent à une "réinterrogation" du modèle métapsychologique freudien basé sur la dialectique des processus primaire et secondaire. Cette réinterrogation touche aussi le modèle lacanien de la psychose dont ces travaux se dégagent et s'inspirent en étudiant les conditions non langagières des processus psychotiques ancrés dans le corporel et l'affect. Proche de J. Lacan, son premier analyste, elle jouera un rôle important dans le développement des institutions psychanalytiques françaises puisqu'elle suivra J. Lacan dans plusieurs scissions institutionnelles avant de participer à la fondation du "Quatrième Groupe" et de la revue "Topique".

Dès l'introduction de son premier ouvrage, P. Aulagnier précise son point de vue qui fonde la nécessité de remettre en chantier la métapsychologie du processus représentatif. "Ce "transfert" le psychotique va aussi l'opérer et paradoxalement c'est là que réside la cause fondamentale de ce qui fait échec au projet analytique. En effet, il va transférer dans la situation analytique ce qu'il continue à répéter de sa relation au discours de l'Autre, et donc à notre discours. Cette relation, qu'on l'entende comme conséquence d'une non-progression ou d'une régression, peu importe ici, ne confronte l'analyste à aucune transparence de l'inconscient, à aucune simple répétition de ce qui serait le fonctionnement normal d'une première phase de l'activité psychique: c'est là un mythe aussi faux que résistant. Ce sont des élaborations psychiques hautement élaborées qui sont proposées à notre écoute, mais ces productions ont un autre point de départ que chez le névrosé, répondent à d'autres exigences, visent un but différent." 322 Son approche ne repose donc pas sur une vision déficitaire, à un niveau ou un autre, perte de la réalité ou forclusion du Nom du Père, de l'élaboration des productions psychiques dans la psychose. Elle cherche à déterminer une logique spécifique à la psychose débouchant sur une production psychique "hautement élaborée". Elle affirme que vouloir interpréter des énoncés implique qu'on leur reconnaissent pleinement le statut de pensée.

Sa "réinterrogation" du modèle métapsychologique freudien débouche sur la conceptualisation d'un registre représentatif spécifique, différent des registres primaire et secondaire qu'elle nomme "originaire". Ce registre originaire organise le "fond représentatif" de la psyché. Le postulat qui régit l'originaire est l'engendrement par la psyché elle-même de tout ce qui lui advient. Ce fonctionnement basé sur une forme d'auto-engendrement produit une automutilation de l'appareil psychique quand le représentant originaire, le pictogramme, tente de rejeter hors de l'espace psychique un objet source de souffrance. "… ainsi le mauvais sein emporte avec lui la mauvaise bouche." 323 Pour l'originaire, le rejet d'un objet, d'une expérience, induit le désir de détruire la zone corporelle qui lui correspond provoquant ainsi un auto-anéantissement psychique confrontant à des affects d'effroi ou d'effraction. Ce registre originaire fait appel à un mode de représentation que P. Aulagnier appelle "pictogramme" que nous étudierons plus spécifiquement dans un autre chapitre.

Notes
322.

AULAGNIER P., 1975, La violence de l'interprétation, PUF, p. 16-17.

323.

DAYAN M., 1986, "Préface", in AULAGNIER P., 1986, Un interprète en quête de sens, Payot, p. 33.