1.1.2. Premières rencontres.

Je ne rencontre Émétério qu'après un long parcours dans le dispositif de soin de la psychiatrie de secteur, sa première hospitalisation a eu lieu, il y a huit ans. Il a été suivi durant toutes ces années essentiellement dans le cadre de soins ambulatoires par une de mes collègues psychologues dans un service de psychiatrie indépendant du mien. Son médecin traitant était le psychiatre chef de ce service, il le recevait périodiquement pour renouveler son ordonnance. Au bout de huit ans, Émétério a remis progressivement en question son suivi psychologique, il espace ses rendez-vous, les suspend puis demande à nouveau à voir ma collègue. A l'occasion d'un re-découpage administratif des secteurs, celle-ci lui propose de s'adresser à son nouveau secteur de référence, sachant qu'il sera suivi par un homme. Après quelques hésitations, il prendra contact avec le Centre Médico-Psychologique où j'exerce.

Émétério est très hésitant lors de nos premiers contacts. Il justifie son souhait d'arrêter les entretiens avec ma collègue par l'existence de deux malentendus entre eux. Le premier concerne le travail, il ne souhaite pas renoncer au "rêve" de "retravailler" dans un emploi qui lui plaise, et il a le sentiment que les échanges avec ma collègue vont dans le sens inverse, dans le sens d'un interdit. Le deuxième malentendu concerne "l'affectivité". Il n'arrive pas à évoquer avec elle ses "sentiments", une homosexualité dont il me parle à demi mots, mais qui serait selon lui à l'origine de sa décompensation.

Il rumine cette séparation d'avec ma collègue psychologue, évoquant les angoisses qui l'habitent sans pouvoir les nommer. Je lui conseille de reprendre contact avec ma collègue afin de lever les malentendus et d'élaborer avec elle l'éventuelle fin de cette psychothérapie.

Émétério rencontre encore une fois ma collègue, puis je le reçois à nouveau. Lors de la prise de rendez-vous, il me semble décidé à poursuivre un travail psychothérapique avec moi. Mais alors, face à moi il se montre ambigu et agressif. Il ne sait pas de quoi parler et quand je fais référence aux propos tenus durant de nos premiers rendez-vous, notamment ses angoisses, il me répond furieux: "Pourquoi voulez-vous que je m'angoisse". Il a des angoisses, mais n'en a plus, il n'est pas là pour parler du passé. Il remet en cause l'aspect psychanalytique de la psychothérapie, il veut simplement contrôler ce qui lui arrive sans plus se poser de questions. Quand je lui dis qu'il a le choix de s'orienter vers d'autres thérapeutes et d'autres méthodes thérapeutiques, notamment cognitivo-comportementales, il s'offusque à nouveau: "C'est un peu léger, c'est pas des petites angoisses". Il reste insaisissable faisant l'économie d'une demande univoque, mais le ton est donné, tout lien fera l'objet d'une attaque, tout mouvement sera l'objet d'un retournement (sa pensée me semble alors fonctionner en anneau de Mœbius, dans une sorte de retournement permanent).

Au cours des premiers entretiens, il se décrit d'emblée comme étant en désaccord avec son existence: "Ma vie ne me plait pas". Il ne supporte pas les séparations d'avec sa famille et ses amis. Il se sent rejeté, mais il dit aussi se mettre des "barrières" qui l'isolent des contacts avec les autres. Il dit que ses parents lui renvoient cette image: "Quand on parle avec toi tu nous rembarres". Plus qu'un lien fusionnel, il vit un lien chaotique qui rend toute séparation impossible.

La question qu'Émétério se pose est: "Comment maîtriser la solitude?". Cette interrogation à peine formulée, il évoque le décès de sa grand-mère maternelle, un an auparavant, des suites d'une démence de type Alzheimer. Elle est tombée malade en même temps que lui. Elle représentait une deuxième mère chez qui il se réfugiait quand le climat familial lui semblait trop lourd.

Quand je souligne ce sentiment de solitude qu'il porte en lui, il me déclare: "Je n'ai pas eu de vie affective". Il évoque rapidement un désir homosexuel pour un professeur de lycée, puis conclut en disant qu'il n'a jamais aimé quelqu'un.

Durant une première période, nos entretiens fonctionnent souvent par à-coups. Il dépose une déclaration générale, une sorte de thème, en début d'entretien, avec demi-sourire, puis dans une sorte de coq-à-l'âne, il semble s'absenter et il évoque alors un être cher, une figure importante de son "histoire affective". Il y a toujours quelque chose d'une rencontre ratée dans son récit: la grand-mère qui devient démente alors qu'il est en crise, le professeur qui ignore l'élève amoureux, les copains de lycée qui deviennent "gays" et se détournent de lui, des études supérieures qui le coupent du milieu familial.

Parallèlement, il lui faudra plusieurs mois pour changer de médecin. Il hésite à consulter le médecin du Centre Médico-Psychologique où je travaille. Le chef de service de son secteur d'origine lui donne aussi quelques adresses de psychiatres installés en libéral. Après quelques essais, il trouve ses interlocuteurs soit trop distants soit trop proches, il se décide pour un suivi médical dans le cadre du Centre Médico-Psychologique.