1.2.2. Premières rencontres.

Nos premiers contacts ont donc lieu durant l’été de son arrivée dans la région annecienne. Fosco est conduit au CMP par sa mère chez qui il vit dans un studio. Assez grand et maigre, le teint pâle et l'œil noir, il semble très angoissé, il n'a pas de demande précise si ce n'est de trouver le moyen de faire cesser le conflit avec sa mère qui est insupportable. Sa mère n'a pas plus de demande précise, elle ne le supporte plus. Celle-ci est extrêmement envahissante, dans un flot de paroles, elle passe de préoccupations pour des détails matériels de leur vie quotidienne, dont j'ai du mal à saisir l'importance, à une critique radicale de son fils. Il refuse de revoir un médecin et de reprendre un traitement comme dans le département d'où il vient. Les discussions en présence de sa mère sont extrêmement houleuses, il passe de l’apathie à la colère rapidement, je dois être très autoritaire dans la régulation des débats pour que chacun puisse s’exprimer et arriver à calmer les échanges. D’emblée, il est difficile de se faire entendre, d’exister, autrement qu’en parlant plus fort que l’autre. Sa mère lui reproche son "manque d’ambition" et lui dit qu'il n'a jamais été "normal", sans pour autant le considérer comme porteur d'une maladie. Il lui répond en disant qu'elle ne comprend jamais rien qu’il cherche juste à "survivre". Elle semble bien loin en effet des problèmes de son fils, elle voudrait le normaliser sans prendre en compte sa pathologie déjà pourtant bien installée.

Fosco se déclare être toujours sous l’influence des traitements prescrits dans l’Ain et qu’il ne prend plus depuis plusieurs mois, il n’arrive pas à les éliminer dit-il. Il garde les "molécules" des neuroleptiques dans son organisme. Ces traitements l'assomment et lui donnent envie de se tuer. Il dénie toute maladie, parle d’une vague dépression. Pour lui le motif de la consultation est qu’il gêne sa mère, ce qu’il admet. Quand je lui demande pourquoi il a rejoint sa mère plutôt que son père, il me répond; “Parce qu’elle est seule”. En fait, il dit rêver de vivre de manière autarcique et de subvenir à ses besoins tel un ermite, il exprime aussi le regret d'avoir dû quitter la maison familiale. Il semble très nerveux, parasité, il décroche dans la conversation pour être à nouveau très présent, les expressions de son visage sont très labiles, il semble aux prises avec un vécu hallucinatoire harcelant dont il ne dit pas un mot. Mais quand je le questionne sur sa manière de s'exprimer, il répond que pour lui ce sont les molécules des neuroleptiques qu’il n’arrive pas à évacuer qui perturbent son attention. Après quelques entretiens, je le convaincs de prendre rendez-vous avec un des psychiatres et l’assistante sociale de la consultation.

Le relais est passé avec le médecin, mais les soins ambulatoires ne suffisent pas, Fosco est hospitalisé dans le service, nos entretiens en restent là, il ne souhaite pas particulièrement me revoir.

Une première étape du travail psychothérapique débute l'année suivante. Fosco est alors persécuté et dissocié. Je le reçois à l'occasion du départ de son médecin et sur les conseils de son infirmière référente. Ce départ est vécu de manière catastrophique; "Je n'ai plus de médecin, je n'ai plus rien". Fosco a aussi peur de l'hiver qui approche, s'il n'a pas de travail, il va retourner à une vie quasi animale. Il dit perdre la notion du temps. Il dit venir pour avoir des repères et semble menacé par une confusion généralisée.

Mais en fait, durant les quatre premières années, nos entretiens resteront sans réelle régularité, émaillés par des absences importantes et des ré-hospitalisations difficiles. À partir de cette époque, il sera au contraire très régulier à nos rendez-vous. Même lorsque au retour de sa longue errance de six mois, il devra changer d'équipe soignante pour des raisons administratives, il demandera que je continue à le recevoir afin de poursuivre la psychothérapie, alors qu'il se montre assez indifférent au changement de médecin et d'infirmiers.