2.2.4. Signifiants, schèmes et représentants.

D. Anzieu poursuit la théorisation des relations entre contenus et contenants en proposant une notion venant articuler sa "métaphore théorique", le Moi-peau, et le concept de contenant de pensée. À la suite de ses écrits sur le Moi-peau, il décrit ce qu'il nomme les "signifiants formels" ⁴³⁴ , reprenant pour partie les travaux de B. Gibello sur les "représentants de transformation" ⁴³⁵ , ainsi que ceux de G. Rosolato sur les "signifiants de démarcation" ⁴³⁶ . Les signifiants formels appartiennent à un registre antérieur au fantasme à la croisée des chemins entre éprouvé corporel, possibilité de communication de l'enfant et réponse de l'environnement primaire. "… les signifiants formels sont principalement des représentations des contenants psychiques. Mais ils possèdent chacun une propriété, une opérativité qui génère en eux une transformation, dont les ratées produisent des déformations." ⁴³⁷

Ces "signifiants", ou ces "représentants", définissent une catégorie d'éléments psychiques qui représentent des opérations, des transformations de contenus psychiques que l'on peut situer dans un registre de symbolisation primaire tel que le définit R. Roussillon ⁴³⁸ (notion que nous développerons dans le chapitre suivant). À ces concepts, il convient d'ajouter la notion de "schème" ("schèmes d'enveloppe" et "schèmes de transformation") telle que S. Tisseron la définit dans son écrit de 1993. "Nous devons supposer que les schèmes psychiques existent avant toute mise en jeu des relations. Il me paraît satisfaisant d'envisager qu'ils correspondent à ce que P. Aulagnier a dénommé les "pictogrammes ", en les rapportant à un fonctionnement psychique distinct du primaire qu'elle appelle "originaire ". Ces schèmes seraient ensuite élaborés au fur et à mesure de la mise en jeu opératoire des "schèmes d'interaction" à travers lesquels les sensations, les actions et les émotions du nouveau-né prennent sens des réponses en miroir que leur donne la mère. Le plaisir éprouvé avec la mère dans la réalisation des schèmes relationnels interactifs permettrait, par introjection , l'installation dans le moi des schèmes psychiques correspondants en tant que structures de comportements susceptibles de combinaisons infinies?" ⁴³⁹ Les interactions précoces et le plaisir pris dans la relation mère-bébé permettent l'installation, par introjection, de schèmes psychiques, de structures de comportement, dans le Moi. Les schèmes de transformation correspondent aux opérations mentales d'union et de désunion, alors que les schèmes d'enveloppe correspondent aux opérations de contenance. Les schèmes de transformation permettent de figurer les mouvements de réunion et de séparation d'avec la mère et ouvrant ainsi la possibilité de constituer une limite, une enveloppe.

S. Tisseron critique l'usage du terme signifiant en dehors du champ du langage, auquel il préfère le terme de schème qui renvoie à une organisation potentielle, à une structure d'ensemble organisant des processus, qui préexiste à la mise en jeu des relations primaires. D. Anzieu et G. Rosolato situent par contre ces signifiants dans un registre antérieur à l'acquisition du langage. Pour ces auteurs, ces signifiants ne sont pas linguistiques, ils sont assimilés aux éléments alpha que décrit W.R. Bion, et font référence à la distinction sémiotique entre sens et signification. Ces signifiants, formels ou de démarcation, seront repris, dans le travail analytique, par des signifiants linguistiques. Au-delà de ces différences les auteurs s'accordent pour faire référence à des registres précoces, sensori-moteurs et interactifs, où affect et image sont liés par une problématique que l'on peut qualifier d'archaïque même si l'organisation générale de la personnalité est d'un autre registre. Dans son commentaire sur les signifiants de démarcation D. Anzieu ⁴⁴⁰ donne une dimension plus archaïque aux signifiants formels, il considère même qu'ils sont une première étape dans la symbolisation des pictogrammes que P. Aulagnier ⁴⁴¹ considère comme typique du registre originaire de la psyché.

Signifiants, contenants et schèmes, auxquels nous venons de faire référence, appartiennent à un autre registre que le fantasme. Les différents auteurs se retrouvent à ce sujet. D. Anzieu insiste sur les différences de structure entre signifiant formel et fantasme, alors que pour S. Tisseron les schèmes d'enveloppe et de transformation sont des précurseurs du fantasme, ces schèmes laissent progressivement place aux fantasmes. L'autre point de convergence des différents auteurs est la dimension auto-représentative de ces contenants de pensée archaïques. Pour D. Anzieu les angoisses violentes qui accompagnent les signifiants formels soulignent la lutte pour la survie psychique dont ils sont le témoin. Pour S. Tisseron, c'est la défaillance des schèmes d'enveloppe et de transformation en tant que structure encadrante qui provoque leur émergence dans les représentations mentales du sujet. Cette dimension spécifique d'auto-représentation d'un processus des contenants de pensée, que B. Gibello qualifie d'archaïques et de narcissiques, est à rapprocher du "phénomène de Silberer" que S. Freud décrit dans "L'interprétation des rêves" auquel nous faisions référence au début de ce chapitre. La psyché menacée de débordement tend alors à s'auto-représenter, à auto-figurer les processus psychiques, les opérations psychiques qui échouent dans leur travail représentatif. C'est la psychopathologie des contenants de pensée qui permet l'approche des troubles de la pensée elle-même.