1.1.1. L’histoire de Guido.

Guido est né au début des années soixante. Il est le quatrième enfant de la famille, son père est entrepreneur en bâtiments et sa mère sans profession restera au foyer pour élever ses enfants. Mais à la naissance de Guido le troisième enfant est déjà mort. Il est décédé à l’âge de quelques mois, cette perte restera longtemps non dite, je ne l’apprendrai qu’après plusieurs années d’entretiens, les parents n’en ayant jamais fait mention dans leurs contacts avec les équipes soignantes. Guido, après une scolarité sans problème, fera des études de génie civil restant ainsi sur les traces de son père, tout comme son frère, l’aîné de la famille, qui travaille dans la maçonnerie. La sœur s’établira à l’étranger suivant son époux cadre dans une multinationale. Guido est le parrain du fils de sa sœur.

L’enfance de Guido est marquée par un événement important qu’il appelle son "traumatisme". Au début de nos entretiens, il me révélera que lors d’un réveillon, alors qu’il était âgé d’environ cinq ans, son père menacera de le défenestrer et, joignant l’acte à la parole, le tiendra un instant suspendu au-dessus du vide par la fenêtre de leur logement.

Son premier contact avec la psychiatrie a lieu quand il est âgé de 27 ans. Il travaille alors comme technicien supérieur dans les travaux publics. Il est hospitalisé, contre son gré, sur décision préfectorale (en "placement volontaire") suite à un voyage pathologique à Monaco où, délirant, il a essayé de s’introduire dans les appartements princiers à la recherche de la princesse Stéphanie, censée l'attendre, afin de l’épouser et de régner ensemble sur la principauté. Mais surtout, il est animé par la conviction délirante que de cette union doivent naître quatre enfants, le quatrième enfant sera appelé à régner sur le monde. Ses parents signaleront que cet épisode délirant fait suite à une rupture sentimentale. Il avait depuis quatre ans une amie (étudiante en psychologie) qui lui proposait de se marier et de partir vivre avec elle à Nice. Guido soulignera, qu’à cette époque, il sortait d’une période d’activité intense durant laquelle il avait travaillé à la construction d’autoroutes dans des régions de montagne nécessitant des ouvrages d’art novateurs pour l’époque. Il envisageait alors de partir sur d’autres chantiers importants à l’étranger, en Amérique Latine. C’est aussi la période où l’entreprise de son père est liquidée suite à une faillite, celui-ci prendra sa retraite contraint et forcé, déprimé il aura des problèmes d’alcoolisme.

Guido sera ré-hospitalisé à plusieurs reprises (8 fois en 10 ans) pour les mêmes motifs (épisode délirant associé à un voyage pathologique à Monaco), seule l’hospitalisation précédant le début de la psychothérapie sera d’une autre nature. Lors des entretiens, il me déclarera avoir été en fait une douzaine de fois à Monaco, les autorités monégasques se contentant une fois sur deux d’une "simple" reconduite aux frontières de la principauté sans recourir à l'hospitalisation.

La première hospitalisation sera suivie d’une tentative de suicide.

Guido ne reprendra jamais d’activité professionnelle malgré les pressions de son entourage, et il ne quittera pas le domicile de ses parents. Pendant un temps, il participera aux activités d’une association confessionnelle. En fait il consacre l'essentiel de ses journées à la lecture de textes religieux et à une activité d’écriture. Il ne reste pas coupé du monde, il fréquente régulièrement les salles de cinéma, il lit des revues de génie civil suivant ainsi l’évolution des constructions de travaux publics, il partira même en voyage organisé en Palestine dans le cadre de son association. Cette existence est émaillée de périodes de réclusion dans sa chambre lors de crises d’angoisse.

Guido souffre également de crises d’épilepsie que les traitements médicamenteux n’arrivent pas à éliminer totalement.

Durant la psychothérapie, une nouvelle hospitalisation aura lieu après une période d'isolement dans sa chambre. Insomniaque et agressif, il rompt les soins. Les parents demanderont une hospitalisation brève que Guido acceptera. À l’issue de cette hospitalisation nous apprendrons que le père de Guido souffre d’un cancer au poumon. Le père sera hospitalisé dans un service de chirurgie peu de temps après la fin du séjour hospitalier de son fils. À l’occasion de cette opération chirurgicale, Guido évoquera un souvenir dont il ne m’avait jamais fait part. Il y a trente ans, son père a été victime d’un grave accident de la circulation. Au dernier moment, Guido, qui devait être avec lui, a changé de véhicule. Quand il est passé sur les lieux de l’accident alors que son père se trouvait dans l’ambulance, il se rappelle avoir été choqué par le décalage entre le sourire entraperçu de son père et l’état de la voiture qu’il ne découvrira que plus tard. Et c’est lors de l’opération du poumon, en discutant avec le chirurgien, qu’il comprendra que son père a été quasiment miraculé lors de cet accident. Guido, toujours au domicile de ses parents, s’investira dans les soins de son père diminué par la maladie.