3.1.2. L'affect.

La notion d'affect apparaît dans la théorie freudienne avec le passage des travaux "neurologiques" aux travaux "psychanalytiques". L'affect qui n'existait pas en tant que tel dans l'étude des aphasies, est présent dès le début de la théorisation du traitement de l'hystérie où il prend une grande importance. Ce terme dépasse l'aspect descriptif qualifiant la vie émotionnelle pour représenter un concept métapsychologique majeur qui forme une des composantes de la représentation psychique de la pulsion: "… quelque chose d'autre qui représente la pulsion" 593 . Il forme avec les représentations de mot et les représentations de chose "un complexe psychique intelligible" 594 qui est à l'origine du décodage du symptôme hystérique. L'affect est aussi directement impliqué dans le traitement de l'hystérie. La remémoration de l'événement traumatique, à l'origine de la névrose hystérique, n'est efficace qu'à condition qu'elle soit associée à la reviviscence de l'affect qui lui était lié à l'origine.

C'est en 1894, dans son article sur "Les psychonévroses de défense", que S. Freud donne une première définition de l'affect, appelé alors "quantum d'affect": "Dans les fonctions psychiques, il y a lieu de différencier quelque chose (quantum d'affect , somme d'excitation) qui possède toutes les propriétés d'une quantité – même si nous ne sommes pas à même de la mesurer – quelque chose qui peut être augmenté, diminué, déplacé, déchargé et s'étale sur les traces mnésiques des représentations un peu comme une charge à la surface des corps." 595 L'affect est l'héritier de la notion d'excitation présente dès les premiers écrits sur l'hystérie. Il présente une série de caractéristiques importantes pour le fonctionnement psychique. Il possède une valeur quantitative susceptible de varier, une capacité de mouvement et de décharge.

La notion d'affect est donc liée aux premières explorations psychanalytiques de l'hystérie, mais S. Freud lui donne d'emblée un rôle dans les différents tableaux de la psychopathologie. La conversion de l'affect est typique de l'hystérie, le déplacement de l'affect concerne l'obsession, l'affect peut être aussi "transformé" dans la névrose d'angoisse et la mélancolie. L'affect rentre également dans un tableau comparatif permettant de distinguer l'hystérie, la névrose obsessionnelle, la confusion hallucinatoire, la paranoïa et la psychose hallucinatoire 596 . Dans la névrose, l'affect est "transposé" et la représentation en est "affaiblie" mais reste accessible à la conscience. Dans la psychose: "… le moi rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se comporte comme si la représentation n'était jamais parvenue jusqu'au moi. Mais au moment où ceci est accompli, la personne se trouve dans une psychose que l'on peut classifier que comme "confusion hallucinatoire". 597

Dans ce même texte, en présentant un cas de psychose hallucinatoire, S. Freud remarque une particularité de ce mode de fonctionnement rejetant affect et représentation: "J'attire l'attention sur le fait que le contenu d'une psychose hallucinatoire de ce genre consiste précisément en la mise au premier plan de cette représentation qui était menacée par l'occasion déclenchante de la maladie. On est en droit de dire que le moi s'est défendu contre la représentation insupportable par la fuite dans la psychose; le processus aboutissant à ce résultat échappe, lui encore, à l'autoperception aussi bien qu'à l'analyse psychologico-clinique." 598 Dans cette remarque concernant la psychose se dessine un aspect important pour la compréhension des processus psychotiques. L'affect ne se différencie pas de la représentation, leur destin est le même: le rejet. La représentation se retrouve au premier plan associée à une conviction délirante qui lui fait perdre ce que l'on peut appeler aujourd'hui toute sa réflexivité, elle n'est plus accessible ni à "l'autoperception" ni à "l'analyse psychologico-clinique".

Les premières théorisations de l'affect portent essentiellement sur son aspect quantitatif. En fait, de ce point de vue, quantité et qualité sont liées, les états de plaisir et de déplaisir dépendent des facteurs économiques de détente et de tension. Avec la deuxième topique, la prise en compte de la diversité de l'aspect qualitatif de l'affect permet de théoriser le destin des "perceptions internes". L'affect est lui aussi de nature composite, il est le siège d'un travail qui concerne ses formes les plus brutes comme les plus nuancées. Ses qualités subjectives peuvent s'associer, s'opposer, se cliver, se transformer ou se retourner en leur contraire.

Avec la constatation de l'existence d'un inconscient non refoulé, S. Freud sépare le destin de l'affect de celui de la représentation. "Nous venons donc de parler de façon condensée, et pas tout à fait correcte, de "sentiments inconscients", en conservant une analogie avec des idées inconscientes, qui n'est pas aussi justifiée. En réalité, la différence est que, tandis que les idées ICs des liens de connexion doivent être créés avant qu'ils ne puissent être amenés dans le Cs, pour les sentiments qui sont eux-mêmes transmis directement ceci ne se produit pas. En d'autres termes, la distinction entre Cs et PCs n'a pas de sens là où les affects sont en cause, le PCs tombe et les sentiments sont conscients ou inconscients. Même quand ils sont attachés aux représentations de mot, le fait de devenir conscient n'est pas dû à cette circonstance, ils le font directement." 599 L'affect court-circuite la première topique. Même s'il est verbalisé l'affect n'est pas lié au langage comme une idée. Il peut être réveillé par une perception ou une représentation. Cependant, il possède ses propres logiques pour se manifester à la conscience, il se situe sur une voie directe qui relie l'inconscient au conscient.

Aux côtés des représentations de chose et des représentations de mot, l'affect occupe donc une place majeure dans la dynamique représentative de la vie psychique. À la fois quantité et qualité, il forme lui aussi un ensemble complexe et composite obéissant à des processus spécifiques portant sur des perceptions internes.

Notes
593.

FREUD S., 1915, "Refoulement", in Métapsychologie, Gallimard, 1968, p.54.

594.

GREEN A., 1973, Le discours vivant, PUF, p. 14.

595.

FREUD S., 1894, "Les psychonévroses de défense", in Névrose, psychose et perversion, PUF, 1973, p. 14.

596.

FREUD S., 1895, "Manuscrit H", in Naissance de la psychanalyse, PUF, 1986.

597.

FREUD S., 1894, op. cit., p. 12.

598.

FREUD S., 1894, op. cit., p. 13.

599.

FREUD S., 1923, "Le moi et le ça", in Essais de psychanalyse, Payot, 1981, p. 234-235.