3.1.3. Processus primaire et processus secondaire.

Le dédoublement de la notion de représentation entre représentation de chose et représentation de mot va aussi se retrouver dès les premiers textes freudiens dans la dichotomie entre processus primaires et processus secondaires. Ces deux processus forment la pierre angulaire de la conception psychanalytique du processus représentatif. D'un point de vue tiré de la première topique, le processus primaire est caractéristique de l'inconscient, tandis que le processus secondaire correspond aux registres préconscient et conscient. Ces deux processus représentent deux modes de fonctionnement psychique radicalement différents, opposables terme à terme, dont la dialectique supporte le fonctionnement de l'appareil psychique. Ces termes ont une implication génétique, le primaire devant précéder le secondaire, que S. Freud pondère dès 1900 dans une remarque: "Sans doute, nous ne connaissons pas d'appareil psychique qui ne présente que des processus primaires , et de ce point de vue c'est une fiction théorique" 600 . L'essentiel de la théorie freudienne pense donc les processus primaires au regard des processus secondaires. Dans cette dialectique, l'existence des processus primaires sans le contre point des processus secondaires produit une organisation processuelle différente qui ne serait pas réductible aux seuls processus primaires. L'existence des processus primaires seuls est donc une "fiction théorique".

Nous pouvons reprendre rapidement les caractéristiques principales de ces deux types de processus tels qu'ils apparaissent au fil des écrits de S. Freud, notamment en 1900 dans "l'interprétation des rêves" 601 et en 1915 dans l'article sur "l'inconscient" 602 . La première caractéristique de cette opposition est économique. Au sein des processus primaires, l'écoulement de l'énergie psychique est libre, c'est-à-dire qu'elle peut passer sans entrave d'une représentation à l'autre. Ce passage d'une représentation à l'autre obéit quand même à quelques règles représentées par des mécanismes psychiques particuliers comme la condensation ou le déplacement. Dans les processus secondaires, l'énergie est "liée" et s'écoule de façon contrôlée. L'investissement des représentations est de ce fait plus stable.

Une autre opposition structure le rapport entre processus primaire et processus secondaire, elle est fondée sur le couple identité de perception et identité de pensée. Le processus primaire est guidé par l'identité de perception qui vise à retrouver une perception identique à l'image de l'objet résultant d'une expérience de satisfaction. Le deuxième type d'identité concerne les pensées entre elles et appartient au registre des processus secondaires. Par l'identité de pensée, les processus secondaires "corrigent" les processus primaires en évitant les pièges tendus par la condensation et le déplacement ou des surinvestissements anarchiques. "La pensée doit s'intéresser aux voies de communication entre les représentations sans se laisser détourner par leur intensité." 603 Cette seconde opposition s'adresse donc plus directement aux liens entre les représentations.

Un troisième élément différenciateur entre ces deux processus est présent dès 1900 dans l'interprétation des rêves, il concerne la négation. Dans les processus primaires, les pensées contradictoires peuvent coexister, se juxtaposer ou bien se condenser. Alors que dans le domaine des processus secondaires la contradiction n'est pas tolérable. C'est un principe qui est à l'origine du refoulement.

La temporalité est aussi un élément différenciateur entre processus primaire et processus secondaire. Le processus primaire ne connaît pas le temps chronologique, pour lui le temps ne passe pas. Enfin les deux types de représentations déjà évoquées, représentation de chose et représentation de mot, parachèvent la dichotomie entre les deux types de processus.

Ces oppositions sont aussi reprises par la dialectique entre principe de plaisir et principe de réalité. Le principe de plaisir anime les processus primaires alors que le principe de réalité sous-tend les processus secondaires. La clinique et l'évolution de la pensée psychanalytique conduisent à moduler les termes de cette opposition générale. La question du destin des expériences échappant à la logique du principe de plaisir vient modifier cette opposition. Les travaux de R. Roussillon sur la métapsychologie des processus 604 démontrent que l'opposition entre processus primaire et secondaire, élaborée par S. Freud, en 1900, peut être considérée comme une forme aboutie d'un cas particulier appartenant à un modèle plus général d'opposition structurale pouvant produire différentes formes d'opposition primaire/secondaire. D'où deux conséquences: d'une part, les formes de l'opposition entre les processus primaires et les processus secondaires varient avec le temps et les problématiques psychiques, d'autre part, le processus primaire serait l'héritier d'un fonctionnement plus primitif qui l'aurait précédé.

Notes
600.

FREUD S., 1900, L'interprétation des rêves, PUF, 1967, p. 513.

601.

FREUD S., 1900, op. cit.

602.

 FREUD S., 1915, "L'inconscient", in Métapsychologie, Gallimard, 1976.

603.

FREUD S., 1900, L'interprétation des rêves, PUF, 1967, p. 512.

604.

ROUSSILLON R., 2001, Le plaisir et la répétition, Dunod.