3.2.5. L'échelle des symbolisations.

Dans un bref article, datant de 1989, intitulé "Note pour introduire l'échelle des symbolisations", D. Anzieu reprend la question du travail de représentation en proposant une classification de différents registres de la symbolisation selon leurs configurations, leurs niveaux logiques. Il fait l'hypothèse que le travail de représentation est une défense contre l'angoisse d'un vide interne, permettant à la pensée de se construire à partir de ses premières représentations. La pensée ne comble pas ce vide, pas plus qu'elle ne le représente, "… c'est le fond impensable du penser." 630 Le "penser" concerne la douleur suscitée par cette rencontre avec le vide. D. Anzieu propose d'articuler différents modes de symbolisation à partir d'un système d'emboîtement de niveaux logiques en cinq paliers inspiré des travaux de C. Lévi-strauss à propos des mythes.

Le premier niveau concerne les oppositions entre des qualités sensibles "… doux et rugueux, solide et inconsistant, chaud et froid, clair et obscur." 631 Cet échelon est basé sur la logique des sensations, avec une prédominance du tactile qui servira de toile de fond aux autres qualités sensibles. Les oppositions s'organisent en fonction d'un organe des sens ou entre différents organes des sens. Ces oppositions sont rattachées à un même objet, l'objet primaire perçu comme unitaire.

Le deuxième niveau concerne la logique des formes: "… vide et plein, contenant et contenu, interne et externe…" 632 . Ces oppositions s'appuient sur des représentations que D. Anzieu théorise sous le terme de "signifiants formels". Elles ne sont pas comme les précédentes basées sur des états constants mais ce sont des formes pouvant se transformer, changer, évoluer ou se détruire.

Le troisième niveau représente un degré supplémentaire de complexité. Il concerne la manière dont s'opposent différents termes: conjonction et disjonction, semblable et différent, fermé et ouvert … Il s'agit ici de la logique qui régit le passage d'un état à un autre. Dans ce troisième niveau sont représentés des opérateurs articulant les liens entre des représentations.

Dans le quatrième niveau, la temporalité vient compléter le domaine des représentations spatiales pour produire des transformations qui demandent du temps et rentrent dans les logiques du mouvement. Ce niveau produit des classifications ternaires (avant, pendant, après…) et des processus dialectiques (thèse, antithèse, synthèse).

Enfin, le cinquième niveau relève de la pensée logique, il comporte deux formes: une forme iconique et une forme abstraite permettant d'accéder à un niveau d'abstraction élevé que l'on trouve dans la recherche scientifique.

Ces cinq niveaux forment une sorte de graduation du processus de symbolisation repérant des "organisateurs" produits par le travail de pensée, ordonnés selon des niveaux de complexité croissante. Cette architecture interne du processus de symbolisation retrace l'histoire de celui-ci et permet un travail de reprise entre les différents niveaux. Elle ne s'appuie pas directement sur la différenciation entre représentation de chose et représentation de mot, elle s'étaye essentiellement sur des couples d'opposés articulant des mouvements d'union et de séparation et instaurant une hiérarchisation qui va du registre sensoriel à une conceptualisation abstraite. Nous sommes dans une logique où s'emboîtent des enveloppes différenciatrices représentant des transformations psychiques. De plus, cette échelle souligne la dimension plurielle des représentations étayant les processus de symbolisation.

C. Guérin 633 souligne la perspective intersubjective que contient cette échelle dès lors qu'il y a échange, à un niveau symbolique, entre deux personnes. Les niveaux de symbolisations peuvent en effet être identiques ou comporter une différence. Il fait l'hypothèse que c'est l'existence d'un différentiel de symbolisation avec l'objet qui soutient le développement de la symbolisation chez le sujet. Le travail psychothérapique est alors alimenté par des échanges mutuels de niveaux de symbolisation.

Notes
630.

ANZIEU D., 1993, "Une approche psychanalytique du penser", in Le journal de la psychanalyse d'enfant, 14, p. 146-168.

631.

ANZIEU D., 1989, "Note pour introduire l'échelle des symbolisations", in Matière à symbolisation, Delachaud et Niestlé, p. 14.

632.

ANZIEU D., 1989, op. cit., p. 14.

633.

GUERIN C., 1998, "Perspective intersubjective dans "L'échelle des symbolisations", in Matière à symbolisation, CHOUVIER B. et coll., Delachaux et Niestlé.