3.2.6. Diversité des théorisations et hétérogénéité de la matière première psychique.

Ces différents travaux reprennent les réflexions de S. Freud concernant la symbolisation de deux façons complémentaires. Il s'agit d'une part d'en saisir le point d'origine, par essence indécidable, en théorisant un "en deçà" de la représentation de chose présent dans la notion de représentant psychique la pulsion. J. Bleger, W.R. Bion et P. Aulagnier illustrent cette approche en enrichissant l'appareillage théorique de nouveaux concepts, de nouveaux "représentants" de la vie psychique qui émergent de façon caractéristique dans la psychopathologie des psychoses. Leurs travaux ne sont évidemment pas superposables. J. Bleger cherche à décrire des états indifférenciés de la vie psychique, alors que W.R. Bion articule perception, pensée et fonction de l'environnement précoce à l'aube de la vie psychique, tout en introduisant la notion d'un état potentiel de la représentation, P. Aulagnier fait émerger un fond représentatif métabolisant sensorialité, action, rencontre du monde et mouvement spéculaire. À ces auteurs, il est bien sûr possible d'associer d'autres noms cités dans la précédente partie de ce travail concernant les contenants de pensée. La multiplicité des notions utilisées souligne une spécificité du registre qu'elles essayent de cerner, l'aspect peu saisissable de ces représentants psychiques et la labilité de leur forme, ou plutôt de leur composition changeante. Ces représentants de la vie psychique possèdent au moins deux caractéristiques communes, ils échappent à une logique de refoulement et se présentent à la psyché sous une forme hallucinatoire.

D'autre part la symbolisation apparaît plurielle, hétérogène et multifactorielle, comportant différentes modalités. Dès les premiers écrits de S. Freud, la symbolisation paraît comme le fruit d'inscriptions multiples, les travaux de A. Green sur les processus tertiaires mettent l'accent sur le travail de liaison entre ces inscriptions multiples dans des registres hétérogènes. L'inscription multiple représente, par essence, le risque de déchirure interne couru par le sujet et la nécessité d'un processus tiers assurant une liaison dynamique. L'échelle des symbolisations de D. Anzieu illustre la variété des modalités de la symbolisation formant des strates en interaction tant dans le rapport du sujet à lui-même que dans son rapport aux objets. L'échelle des symbolisations permet de représenter des étapes dans un processus de symbolisation continu bien qu'il s'étaye sur des représentants psychiques de différentes natures allant du pictogramme à la représentation de mot en passant par des signifiants formels ou des signifiants de démarcation. Chaque étape est porteuse d'un organisateur particulier marquant le passage à un degré d'abstraction supérieur. Cette échelle correspond, entre autres, à une nécessité d'organiser les différents registres représentatifs dans un processus global.

Chaque auteur articule les éléments hétérogènes de l'expérience subjective en fonction d'un point de vue différent (étape psychogénétique, métapsychologie des processus de représentation, constitution d'un appareil de pensée…) aboutissant à la création de concepts originaux et rendant intelligible les premières étapes du processus de symbolisation, mais cette démarche comporte aussi le risque de fragmenter à l'infini le corpus théorique psychanalytique. Les travaux de R. Roussillon 634 concernant une métapsychologie des processus apportent une clarification conceptuelle. Ils évitent une babelisation des concepts théorisant les premiers registres de l'activité représentative. Ces travaux représentent aussi un nouveau degré de complexité dans la modélisation du travail représentatif en faisant interagir différents registres au sein de logiques paradoxales, et engagent une redéfinition de la notion de représentation.

Notes
634.

ROUSSILLON R., 2001, Le plaisir et la répétition, Dunod.