3.3.4. La production pulsionnelle des représentants psychiques.

Quelle que soit la nature de la représentation, d'un point de vue psychanalytique la représentation psychique est "pulsionnelle". La représentation représente la pulsion, elle-même représentant des excitations corporelles sollicitant le psychisme, "exigeant" un travail psychique. Classiquement, d'un point de vue économique, c'est la pression pulsionnelle qui engendre l'activité représentative. Les excitations pulsionnelles sollicitent des représentations et s'y associent. Dans cette association, la pulsion se transforme et se recompose. Ce schéma représente un appareil psychique arrivé à maturité. Les travaux que nous avons exposés montrent qu'avant de pouvoir se saisir d'un monde représentatif, l'activité pulsionnelle participe à sa construction; la trace mnésique perceptive, ou le réseau somatique, sont travaillés par la pulsion pour accéder au rang de représentant potentiellement investissable. L'origine de la représentation reste fondamentalement insaisissable, elle ne peut se formuler que de façon paradoxale sur le mode des phénomènes en trouvé-créé.

La notion de symbolisation primaire et de symbolisation secondaire permet de reprendre le foisonnement des travaux sur la représentation concernant la clinique des problématiques psychotiques et des états limites de ces dernières décennies. Ces problématiques ont permis de définir toutes sortes de concepts permettant de se représenter les matériaux qui donneront formes aux représentations élaborées par l'appareil psychique. Elles permettent de faire passer l'éclairage conceptuel, issu de la clinique des névroses, de la définition de processus qui ont pour objet des représentations à une définition des processus de production des représentations. En mettant l'accent sur les processus qui travaillent la matière psychique, la notion de représentation évolue par contrecoup. Elle n'est plus une donne de l'appareil psychique, elle prend un relief qui dévoile la complexité de sa composition. La diversité et la complexité de ses matériaux constitutifs rendent compte du travail de composition des représentations psychiques. La représentation de chose n'est pas "une et indivisible", elle est faite du destin des préconceptions, des pictogrammes, des signifiants formels, des signifiants de démarcation… Le travail de transposition et de transformation est aussi un travail de composition, de décomposition et de recomposition.

Un des éléments essentiels de la composition des différents représentants de la vie psychique est l'établissement de propriétés émergentes comme par exemple les enveloppes psychiques et les contenants de pensées. La propriété émergente essentielle à l'activité représentative reste la mise en place d'une boucle réflexive qui permet à ces représentants de se saisir de leur dimension représentative. C'est cette propriété majeure qui permet le travail de différenciation. C'est cette part de la représentation qui est intimement liée à l'environnement, à l'objet, avant même qu'il soit lui-même représenté au sein de la psyché. Il s'agit bien d'une boucle réflexive car aucune solution n'existe dans une logique qui n'attribuerait de facteurs prépondérants que dans la réalité psychique ou que dans la réalité extérieure. La réflexivité émerge d'une boucle, d'un mode paradoxal d'articulation entre la psyché et l'environnement. La boucle réflexive est une figure de la boucle récursive proposée par E. Morin 676 comme instrument de la pensée complexe. C'est cette boucle, ce mode paradoxal d'articulation qui doit être rencontré, toléré et intériorisé pour que la fonction symbolisante permette le déploiement des conflits psychiques, la formation de compromis.

À ce point de notre cheminement théorique concernant le point de vue offert par la psychanalyse sur le processus représentatif, nous souhaitons faire un détour par les travaux développés au sein d'une épistémologie différente, les "neurosciences cognitives" ou les "sciences de l'esprit". Nous utilisons ces termes de "neurosciences cognitives" ou de "sciences de l'esprit" dans un sens large qui couvre un domaine pluridisciplinaire regroupant des chercheurs venus d'horizons divers comme la biologie, la psychologie, la linguistique, les mathématiques… qui se proposent d'analyser, selon des modèles issus des sciences expérimentales, le fonctionnement de l'esprit et de la connaissance. Cette mouvance scientifique se confronte ces dernières années à la notion de représentation qui est au centre de ce travail de recherche et produit différents modèles pour rendre compte de l'articulation entre "esprit" et représentation. Notre objectif n'est pas de tenter une assimilation entre les travaux issus des neurosciences et ceux issus de la psychanalyse, ni de rechercher une validation mutuelle, mais de participer à un dialogue entre ces deux approches afin de confronter leurs modèles respectifs.

Notes
676.

MORIN E., 2001, La méthode. L'humanité de l'humanité, Seuil.