4.2. SCHIZOPHRENIE ET NEUROSCIENCES COGNITIVES.

C'est dans ce contexte que la psychopathologie prend une place importante dans le domaine des neurosciences. Elle permet de mettre au travail les différentes hypothèses rendant compte du fonctionnement de l'esprit. À ce titre, la schizophrénie occupe une place particulière par l'importance des troubles du fonctionnement mental qu'elle exprime. Les troubles de la conscience, de la différenciation entre soi et autrui, de l'intersubjectivité, permettent de mettre à l'épreuve les modèles du fonctionnent "normal" de l'activité psychique. L'objectif n'est donc pas directement thérapeutique, il s'agit plutôt d'une observation comparative visant à corréler les symptômes avec des anomalies élémentaires du fonctionnement cognitif dans la perspective de les relier à des dysfonctionnements neurobiologiques. Bien que traitant de psychopathologie, la méthode reste une méthode expérimentale classique ayant pour but une recherche fondamentale. La schizophrénie n'est pas modélisable expérimentalement, par contre il est possible de mener des études expérimentales avec des schizophrènes.

La schizophrénie représente un paradigme pour mettre à l'épreuve les hypothèses essentielles issues des neurosciences cognitives décrivant les mécanismes et les propriétés de l'esprit. L'approche cognitive opère un renversement de perspective par rapport à l'approche psychiatrique classique qui considère les troubles cognitifs comme des effets des troubles de l'affectivité, on parle alors de troubles "associés". Pour les chercheurs en neurosciences cognitives, se sont les troubles de la cognition qui sont à l'origine des mécanismes de production des symptômes. Le terme de cognition utilisé dans les neurosciences dépasse largement la notion de fonctionnement intellectuel. Il désigne "… des états mentaux fondés sur des représentations sur lesquelles portent des processus de traitement (computations)." 688 Selon cette logique, l'activité mentale repose sur une série d'opération de "traitement de l'information" dont le modèle latent est inspiré de l'informatique. Ces opérations sont des processus de production, de transformation ou de liaison des représentations.

C'est à ce titre que ces recherches interrogent la notion de "représentation" dans leur confrontation aux questions posées par le fonctionnement psychique des sujets souffrant de schizophrénie. Si le terme de "représentation" permet de se dégager de la notion de "connaissance" contenue dans le terme de "cognition", il ne recouvre pas pour autant les mêmes dimensions que dans le vocabulaire des concepts psychanalytiques. Ces "représentations" cognitives ne renvoient pas à des formations symboliques porteuses de sens, mais désignent des modes d'activité mentale telles que la planification d'une activité motrice, une représentation motrice. L'analogie entre des termes utilisés dans des cadres conceptuels relevant de points de vue différents n'est pas directement possible, mais les modèles qui rendent compte des faits étudiés et des problématiques rencontrées peuvent enrichir et stimuler la pensée psychanalytique.

Notes
688.

GEOGIEFF N., 1995, "Recherches cognitives et schizophrénie", in DALERY J. et D'AMATO T. La schizophrénie. Recherches actuelles et perspectives, Masson, p. 203.