INTRODUCTION GéNéRALE

Constat

Le Gabon, bien plus que tous les autres pays d’Afrique, plus précisément d’Afrique centrale, souffre du peu d’intérêt manifesté par les recherches historiques à l’époque actuelle dans le domaine de l’Histoire religieuse. À l’exception des religions traditionnelles comme « le Bwiti » qui ont fait l’objet de quelques publications 1 , un domaine de recherche comme les relations entre « religion et politique », après l’indépendance, reste assez mal connu même par les gabonais eux mêmes. Cela est d’autant plus vrai que l’Histoire du Gabon est souvent abordée sous les aspects purement politiques, économiques et sociaux.

« Religion et politique » un couple contre nature ? Dans la société traditionnelle gabonaise, la religion revêtait un caractère eminemment politique et vice-versa. La frontière entre les deux était bien maigre et ils se confondaient même. Il était quasi impossible de concevoir la politique sans l’intervention de la religion car le sacré guidait le temporel. Le chef politique et le chef religieux étaient généralement liés quand ce n’était pas la même personne dans certains cas. Un acte comme la fondation d’un village était un acte politico religieux même s’il obeissait à des mobiles d’ordre géographique économique et stratégique 2 .

Depuis l’arrivée des Européens au XVè siècle, et davantage avec la colonisation au XXè siècle, la situation a évolué vers une séparation des deux domaines. La rencontre des peuples du Gabon avec « les blancs » a introduit une nouvelle vision religieuse et politique favorisée par la colonisation et l’évangélisation et leurs corollaires. Les deux domaines se sont littéralement transformés et ils reposent désormais sur une vision occidentale.

Depuis 1945, la politique occupe une place prépondérante dans la vie des Gabonais. Elle fait l’objet des débats et discussions, parfois passionnés, dans toutes les couches de la population même dans les masses populaires. Les Gabonais s’intéressent de près à l’actualité politique de leur pays. Malgré les angoisses et les joies, les espoirs et les déceptions, l’engouement est quasiment le même. Un sondage d’opinion pourrait révéler que les Gabonais connaissent mieux les débats de la vie politique que ceux de la vie économique, sociale ou religieuse.

« Depuis toujours », en ce qui concerne les religions traditionnelles et depuis 1842-1844 en ce qui concerne les religions modernes, le sentiment religieux occupe aussi une place prépondérante dans la vie des Gabonais. Un sondage pourrait aussi révéler qu’ils sont foncièrement croyants. Mais, l’activité ou le débat religieux sont de l’ordre du secret ou du privé dans l’un ou l’autre des cas. Rares sont ceux qui établissent directement un rapport entre la politique et la religion.

Le constat général est le suivant : « la politique est publique et la religion est privée. » Les religions traditionnelles donnent l’impression de se limiter à la formation spirituelle. Tandis que le discours des religions modernes ne semble pas être assimilé.

Peut-on envisager un rapprochement entre la politique et la religion au Gabon ? Si la vie politique est assez clairement organisée autour des institutions, de la vie électorale, des partis politiques et des acteurs, en revanche la vie religieuse pose le problème de la représentativité des religions. Au Gabon, en effet, il y en a une mosaïque mais on ne pourrait toutes les placer au même niveau. Les religions modernes remplissent mieux les critères de représentativité, d’organisation et de présence effective sur le terrain, par rapport aux religions traditionnelles qui demeurent organisées au stade clanique ou ethnique.

Parmi les religions modernes, les Eglises chrétiennes sont biens installées au Gabon. Elles constituent les principales forces religieuses capables d’actions dans la société. L’Eglise catholique est l’Eglise chrétienne la plus représentative par rapport aux Eglises protestantes, évangéliques et indépendantes. Le choix de cette Eglise engage l’orientation du sujet, son angle d’attaque et la possibilité d’avoir les sources nécessaires à l’élaboration d’un travail de recherche. Opter pour toutes les religions ou toutes les Eglises chrétiennes c’est inévitablement entrer dans la voie d’une étude fragmentée très certainement limitée.

L’Eglise catholique au Gabon nous parrait répondre mieux à la volonté d’embrasser « le fait religieux » dans sa globalité depuis plus de 150 ans. Elle répond aussi à l’hypothèse selon laquelle : à travers les particularités de tous ordres, dogmatiques, institutionnelles et disciplinaires qui différencient les religions et les Eglises au Gabon, elle est à l’œuvre d’un phénomène social unique qui pose dans la société gabonaise des problèmes communs.

Pour établir un rapprochement entre politique et religion au Gabon avant et après l’indépendance nous nous appuyons sur cette confession. Mais son histoire reste assez mal connue. Elle a rarement fait l’objet de publications à l’époque actuelle. A l’exception des travaux de Jacques Hubert et de Gérard Morel qui ont publié, lors de la célébration du 150ème anniversaire de cette Eglise, deux fascicules intitulés : Naissance d’une Eglise au XIXè siècle et Album souvenir du 150 ème anniversaire. Il existe Cependant quelques travaux universitaires au Gabon et en France sur l’histoire de cette Eglise, notamment sur ses rapports avec la société. Dans l’ensemble, ils restent difficiles d’accès et mal conservés, surtout ceux publiés avant les années 1990.

Très peu d’études se sont aussi proposées de mesurer le degré d’adhésion des Gabonais, à la foi enseignée par l’Eglise catholique, à l’observation des prescriptions cultuelles, encore moins la conformité aux préceptes concernant la morale individuelle. Malgré les distinctions, faites par la hiérarchie catholique gabonaise, ces dernières années, entre « foi et religion », entre l’intériorité des choix personnels et l’obéissance aux impératifs de la vie sociale ou politique force est de constater que les Gabonais séparent encore  l’acte de foi et le fait social ou politique.

Un regard attentif de l’Histoire du Gabon depuis l’arrivée des missionnaires catholiques en 1844 et davantage depuis 1945 permet toutefois de constater qu’il y a quelques événements qui lient le fait religieux et la vie politique. En effet, certains faits historiques montrent que la conviction religieuse de leurs acteurs a eu une dimension sociale et politique. Cela nous semble suffisant pour qu’on en fasse une approche historique de cette réalité. Dans tous les cas, la légitimité d’une expression publique du fait religieux et de sa présence dans la vie politique et sociale est un fait historique. Aucun Gabonais, à moins d’être de mauvaise foi, ne peut contester aujourd’hui que l’Eglise catholique a une dimension collective et que sa Parole directive, implicite ou ordinaire a des conséquences (positives ou négatives) sur la vie politique ou sociale. Ses diverses œuvres également entretiennent des relations avec toute la société.

La conviction religieuse (l’acte de foi) dans la vie publique (sociale et politique) au Gabon est elle même un élément de discussion et un enjeu de controverses, dans un environnement de « laïcité ambiguë » car c’est un héritage colonial. Pour les uns, la laicité est parfaitement légitime, elle est rejetée par les autres comme une prétention indue. La question n’étant pas au cœur des débats intellectuels elle ne suscite pas de discussions et ne trouve pas pour l’instant une solution. Toute l’attention est portée sur le fait politique lui-même, sur le fait économique, sur le fait social. C’est le règne de l’explication du fait politique par la politique et la situation économique. Nul ou presque personne ne tente d’expliquer la situation politique par le fait religieux.

Notes
1.

Voir bibliographie

2.

Les différentes lectures que nous avons faites sur l’histoire du peuplement à travers les monographies villageaoises présentés par les étudiants du département d’Histoire de l’Université Omar Bongo. Cf aussi Nguema Obam Paulin, Fang du Gabon, karthala, 2005, Op. Cit. pp. 12, 13, 15.