Problématique

L'une des «questions majeures» qui se pose aujourd'hui à l'avenir de l'Eglise catholique en Afrique a trait au rapport entre « la foi et la politique, entre l'Eglise et l’Etat, au-delà entre l’Eglise et la société».

Longtemps négligée ou mise en marge depuis la période missionnaire, cette problématique a été au cœur de l’actualité au début des années 1990. En ces années, plus d'un évêque africain, s’est vu confier la direction de la « Conférence Nationale », de son pays d’origine. D’autres ont même été désignés pour gérer la période dite de transition 9 . Cette problématique trouve surtout son origine dans les exigences de « la foi chrétienne » qui s’enracine de plus en plus au Gabon et dans la finalité objective de la politique.

Au Gabon, c’est Mgr Basile Mvé Engone, évêque du diocèse d’Oyem, Président de la Conférence Episcopale, qui fut désigné, en Mars 1990, pour diriger « la Conférence Nationale sur la démocratie ». Cette nomination a marqué officiellement l’engagement de l’Eglise dans la vie politique et la démocratisation du pays. Elle a suscité des interrogations personnelles sur la nature et les fondements des relations entre « politique et religion » au Gabon depuis la naissance d’une vie politique moderne en 1945.

« Eglise catholique, vie politique et démocratisation » semblent d'emblée incompatibles. Dans l'inconscient collectif des croyants gabonais, les deux termes s'excluent spontanément mais s'accordent parfois dans la réalité car ce sont les mêmes personnes qui s’engagent et qui s’affrontent. On entend parfois dire par des chrétiens et des non chrétiens: « Les hommes d'Eglise ne doivent pas faire de politique et pourtant ils en font ». Que dire lorsqu’un abbé est emprisonné pour avoir participé à l’élaboration d’un texte politique en 1981 ?

Que faut-il-penser lorsqu’un prêtre se retrouve à la direction d’un parti politique et sommé par ses supérieurs, il refuse de la quitter ? On entend aussi répéter « A Dieu ce qui est à Dieu et César ce qui est à César » mais parfois Dieu se mêle des affaires de César et réciproquement. Les établissements confessionnels reçoivent l’appui de l’Etat, et le chef de l’Etat demande au Président de la conférence épiscopale de présider la conférence nationale. Mais il arrive aussi que l’Archevêque de Libreville interpelle directement le Président de la République pour une amélioration des conditions de vie des Gabonais et un assainissement de la vie politique, lorsque le clergé participe aux activités des institutions de l’Etat. C’est pourquoil'engagement politique de l’Eglise nous apparaît comme la toile de fond sans laquelle on ne pourrait ni écrire ni comprendre l'histoire mouvementée, ces cinquante dernières années, d’une part, de l’Eglise catholique au Gabon et d’autre part de la vie politique dans ce pays.

Depuis 1844, arrivée des missionnaires, l'Eglise catholique est profondément marquée par ses relations avec la marine, l’administration coloniale puis l’Etat. Elle a le souci de participer, à sa manière, à la construction de la société. Dans la société traditionnelle gabonaise, le sacré et le religieux exerçent le rôle de conscience critique à l'égard du pouvoir politique. Au nom de sa « mission», l'Eglise catholique exerce aussi ce rôle.

La naissance d’une vie politique moderne, en 1945, l’accession du pays à l’indépendance, en 1960, l’emprise croissante du parti unique dans les années 1970 et 1980, et le retour au multipartisme en 1990, ont provoqué des changements politiques et socioculturel considérables qui ont gêné l'organisation et la vie ecclésiale, elle-même confrontée aux mutations internes liées à la fin institutionnelle de la Mission depuis 1958.

Dans un premier temps les vicissitudes historiques n’ont pas influencé les autorités ecclésiastiques, encore moins les chrétiens. A la fin de la Mission, l’Eglise catholique se tient à l’écart de la vie politique, après quelques années de remous entre 1945 et 1960. Cette attitude est liée aux conditions de mutations internes qui ne permettent pas à un épiscopat insuffisant et à un clergé peu formé, et à un laicat inexistant de s’adapter véritablement à l’évolution de la vie politique. Cette trêve conduit à un silence de la hiérarchie catholique occupée à l’affermissement des institutions ecclésiales. Il y a même une collaboration avec l’Etat similaire à celle de l’époque missionnaire. Le clergé dans son ensemble soutient l’idée de la création du parti unique qui coïncide avec le changement de Président de la République. L’arrivée au pouvoir d’Albert Bernard Bongo, en 1967, est un signe d’espoir et de rupture avec les pratiques de Léon Mba peu favorable aux points de vues de l’Eglise catholique dans les événements de la vie politique.

Les premières décisions du nouveau régime de la Rénovation en 1968 sont vite perçues par les évêques, le clergé et mêmes les chrétiens comme le début d’une ère nouvelle. Toutefois, l’engagement de l’Eglise n’est pas direct, il se fait par le biais des chrétiens et quelques membres du clergé qui, adhèrent au parti unique. Dans un second temps, l’Eglise se rend compte des difficultés de relation avec la vie politique. Elle se contente du silence à cause du manque d’un cadre de référence pour intervenir. Les décisions du concile Vatican II ne sont pas encore bien adaptées par la hiérarchie catholique gabonaise.

Mais les dérives du parti unique amènent certains chrétiens et certains membres du clergé à les dénoncer au nom de la « Vérité et la liberté ». Le combat et l’engagement de l’Eglise sont perceptibles dans l’action de nombreux prêtres dont les plus remarquables sont l’abbé Noël Ngwa Nguema et le Père Paul Mba Abessole. Mais aussi par les dénonciations de Mgr François Ndong et Mgr Raponda Walker. Bien que désavoués par la hiérarchie et certains colllègues, ils marquent la vie politique gabonaise en soutenant l’opposition face au parti unique et en dénonçant les actes de Léon Mba premier président du Gabon.

La période du parti unique constitue un tournant important dans les relations entre l’Eglise et la vie politique. C’est la période de mutations dans la vie économique, sociale, culturelle, idéologique. L’Eglise elle-même en est touchée.

Malgré une augmentation numérique du nombre de baptisés on observe un recul de la pratique religieuse. L’Eglise est concurrencée par le retour des sociétés rituelles et initiatiques traditionnelles que soutiennent les intellectuels à la recherche de l’authenticité comme dans les pays voisins, au Congo Brazzaville et au Congo Démocratique ex Zaïre. La conversion du Président de la République à l’islam, la montée du Bwiti -une religion traditionnelle- le mirage du développement économique et social, la détérioration des conditions de vie, la baisse de la pratique religieuse et le recul de la morale chrétienne dans la société, constituent des sources d’inquiétude. Celles-ci, ajoutées aux difficultés politiques engendrées par le parti unique et la suppression de certaines libertés fondamentales, conduisent aux événements de 1990.

Le retour au multipartisme au Gabon intervient à l’issue de la Conférence nationale que préside Mgr Basile Mvé. Cet acte marque le début ou le retour de l’ère démocratique et de la présence de l’Eglise dans la vie politique du moins à un niveau hiérarchique. Le rôle joué par l’Eglise à partir de 1990 est indéniable dans le processus de démocratisation. L'Eglise s'engage plus fermement à promouvoir un ordre social plus juste, plus équitable et à défendre les faibles. Stimulé par la visite du souverain pontife Jean Paul II en 1982 et ayant comblé le retard acquis dans l’application des principes du concile Vatican II, elle prolonge cette mission sur la vie politique du pays. Les nouvelles interventions de l’Eglise, en faveur de la démocratie au Gabon, sont le reflet de son combat pour l'instauration d'une nouvelle société où l'homme, créé à l'image de Dieu, ne serait plus exploité par l'homme.

Les déclarations des évêques, cohérentes et unanimes, se font dans le cadre de la Conférence épiscopale, une structure qui sort de l’ombre. La Parole des évêques est un véritable discours pour l’amélioration des conditions sociales, économiques et politiques. Pour éviter tout amalgame ils définissent, pour la première fois au Gabon, le cadre de leur intervention dans la vie politique, au-delà dans toute la société. Ce discours de l’Eglise n’est ni tapageur ni abusif, il fixe le cadre de sa vision de la société gabonaise. Depuis 1990, le discours de l’Eglise constitue un corpus intéressant qui pourrait, par ailleurs, faire l’objet d’une étude particulière.

Ce travail veut répondre à deux préoccupations principales. Une, générale, qui pose le problème de l’histoire de l’Eglise catholique et de l’histoire de la vie politique au Gabon. Elle concerne, surtout, l’aspect théorique et pratique des rapports, en d’autres termes les causes et la manière d’intervenir de l’Eglise. Une autre, particulière, qui pose le problème du rôle joué par l’Eglise et de son impact.

Notes
9.

Au Bénin, et au Congo Brazzaville