Selon le Père Gérard Morel 36 , qui s'appuie sur les écrits de l' abbé Raponda Walker, les premières tentatives d'introduction du christianisme au Gabon remontent au XVIIIè siècle. En 1777, des Capucins italiens dépendant de la mission de Sao-Tomé fondèrent un établissement catholique au Gabon, en pays Mpongwè, sur la côte dans l'actuel zone de Libreville. Mais ce premier contact n'a pas tenu pour des raisons diverses, notamment la pratique du honteux commerce des esclaves, même par les missionnaires. En ce temps, la religion chrétienne apparaissait aux yeux des indigènes comme un instrument de commerce pour les Européens 37 .
Tout cela suscita un mécontentement des peuples côtiers du Gabon et une méfiance vis-à-vis des missionnaires européens. Finalement aucune relation durable ne fut établie. Les indigènes ne retinrent rien de ce premier contact qui toutefois leur avait permis de savoir que l'homme blanc a une religion. Sur les côtes d'Afrique noire, par exemple au Congo, pays voisin du Gabon, au XVIè siècle, il y avait aussi eu des tentatives d'installation du christianisme par les Portugais mais sans grand succès car le commerce prenait le dessus et les tentatives de christianisation s'arrêtaient uniquement sur les côtes.
Il fallut attendre le XIXè, en 1842, pour les protestants, et 1844 pour les catholiques, pour que les missionnaires entrent, de nouveau, en contact avec les indigènes du Gabon 38 . Les premiers missionnaires protestants du Gabon étaient des Américains. Ils s'étaient installés dans la zone d'influence anglaise, sur la rive gauche de l'Estuaire du Como, derrière le village du Roi Glass, à Baraka.
Les premiers missionnaires catholiques arrivée au Gabon en 1844 étaient des Français 39 . Ils faisaient partie d'une troupe qui avait embarqué à Bordeaux, un an plutôt, le 13 septembre 1843. Au départ ils étaient dix: « Bessieux , de Régnier, Maurice, Audebert, Roussel, Bouchet, Paul Laval » et trois jeunes « André, Jean et Grégoire », mais à l'arrivée au Gabon le 28 septembre 1844, ils n'étaient plus que deux : Jean Rémi Bessieux et le Jeune Grégoire Sey 40 .
Les péripéties, les discussions, les nombreuses escales et les épreuves du long voyage avaient décimé la troupe. En effet, avant de descendre au Gabon les missionnaires avaient fait escale à Gorée au Sénégal, au Cap des Palmes au Libéria, à Grand Bassam et Assinie en Côte d'Ivoire 41 .
Source: Naissance d'une Eglise
Le Gabon n'était pas la destination des missionnaires Français au départ de Bordeaux. Ils étaient envoyés vers d'autres territoires de l’immense « Vicariat des Deux Guinées » dirigé par Mgr Barron. C'est seulement lorsque Libermann eut visité le Ministère français de la Marine afin d'obtenir des laissez-passer pour ses missionnaires que son attention fut attirée sur le Gabon 42 .
Plusieurs causes sont attribuées à cette seconde arrivée des missionnaires au Gabon au XIXè siècle. Pour le moment nous nous contentons de préciser les causes religieuses. Nous reviendrons sur les causes stratégiques et politico-économiques lorsque nous parlerons des relations entre les missionnaires et les marins. Le Père Gérard Morel parle des missionnaires « conduits par la providence sur le chemin de la foi 43 ». Il s’agit là d’une explication théologique qui ne peut totalement nous satisfaire car l’historien doit s’appuyer sur des raisons plus concrètes.
Premièrement le dynamisme de l'arrivée des missionnaires, au Gabon, fut d'abord soutenu par des facteurs internes à l'Eglise. D'une part l'occasion avait été donnée de contrer les efforts des protestants arrivés avant les catholiques au Libéria, au Sierra-Leone et au Gabon. D'autre part, le Gabon comme comme d'autres pays africains, venait d'être ruiné par le commerce des esclaves.
Pour les missionnaires, il convenait « d'arracher à Satan la race méprisée » et de poser sur le sol gabonais les fondements du bonheur et de la civilisation: la paix et l'amour du prochain. Ce dynamisme fut aussi soutenu par des raisons externes à l'Eglise mais générales à toute la société européenne. Les missionnaires venaient au Gabon pour transformer les sociétés et les mentalités des populations, pour le plus grand bien de l'Europe et surtout de la France 44 .
Deuxièmement, l’arrivée des missionnaires et la naissance de l’Eglise catholique au Gabon, au XIXè siècle apparaissent aussi comme une « discordante entente cordiale 45 » entre le Père Libermann (responsable de la congrégation du Saint Cœur de Marie) et Mgr Barron (responsable du Vicariat).
L’un, le Père Libermann, possédait des missionnaires et, l’autre, Mgr Barron, cherchait justement des missionnaires pour servir dans son vicariat. Les deux hommes, d’une parfaite loyauté l’un envers l’autre, parvinrent rapidement à se mettre d’accord, mais chacun continua ensuite à intervenir selon ses vues personnelles. Mgr Barron le fit sur le terrain avec des missionnaires qui échappaient partiellement à son autorité. Libermann, en France, prit contact avec les autorités françaises mais était parfois en rupture de nouvelles de ceux qui étaient sur le terrain, à cause des délais de transport de la correspondance. Ces délais d’échanges épistolaires atteignaient parfois cinq à six mois, lorsque les lettres ne se perdaient pas.
La divergence de vue entre Libermann et Barron a été à l’origine de la Mission du Gabon. Mgr Barron était britannique et anglophone. De 1842 à 1844, la Mission des noirs naissait sous son autorité. Elle était partie des Etats-Unis, pays anglophone, avec des sujets britanniques, accompagnant des « colonists » eux aussi parlant anglais. Avant la fondation de la Mission du Gabon, les premiers pas africains de la mission étaient en cours au Cap des Palmes 46 , colonie américaine. Les fonds de cette mission provenaient d’Irlande, de la fortune personnelle de Mgr Barron, auxquels s’ajoutaient des dollars récoltés dans l’Eglise d’ Amérique et les dons de la Propagation de la Foi lyonnaise. Malgré une bonne connaissance de la langue française, Mgr Barron était naturellement plus à l’aise et mieux accueilli dans les territoires anglophones du Vicariat. C’est l’une des raisons pour lesquelles il ne renonça jamais à son projet d’avoir des communautés au Libéria et en Sierra Léone.
En tant que responsable du Vicariat, il revenait à Mgr Barron de faire des projets d’implantation de communautés, mais ils étaient imprécis et improvisés, évoluant selon les dernières informations reçues. Il était apparemment inconscient des contradictions qui apparaissaient dans son abondante correspondance. Cependant, il y avait dans tous ces projets, une priorité constante : les territoires anglais et américains ; il y ajouta le Sénégal sous l’influence de la Propagande et, à contre cœur ; les comptoirs français d’Assinie, de Grand Bassam et du Gabon, objectifs en revanche voulus par Libermann.
Ce dernier savait que les missionnaires mis à la disposition de Barron étaient essentiellement des français. De plus, l’œuvre naissante avait de gros problèmes financiers pour assurer la subsistance de tous les sujets qui se présentaient à elle pour devenir missionnaires. Ce qui ne lui laissait que peu d’argent disponible pour le départ vers les missions lointaines. Ses premiers missionnaires étant partis, il parut urgent à Libermann de programmer la suite de la mission et d’en garantir le bon déroulement en prenant contact avec le ministère de la Marine afin d’obtenir des lettres de recommandations pour Mgr Barron et ses missionnaires. La conséquence de ce contact avec la Marine fut l’implantation d’une mission au Gabon, dans des conditions plus ou moins hasardeuses. Alors qu’on pensait que tout était perdu et que les derniers survivants devaient repartir en France, ils firent escale au Gabon. Une escale qui s’avéra définitive du fait de l’appui de la Marine française grâce à l’accord passé avec Libermann.
Au XIXè siècle, le Gabon a donc constitué la première porte ouverte au christianisme en Afrique noire Equatoriale, au sud du Sahara 47 . Ce deuxième contact des missionnaires avec les indigènes Gabonais fut décisif. Il resta parsemé d'embûches, d'incompréhensions mutuelles, des phases de collaboration, comme nous le verrons à propos de l'implantation des missions. Le catholicisme s'installait au Gabon pour ne plus jamais le quitter.
En arrivant le 28 septembre 1844, le Père Bessieux et Grégoire Sey fondèrent l'Eglise catholique au Gabon. Le nouveau poste missionnaire de Sainte Marie, qu’ils venaient de fonder, au Fort d'Aumale, appartenait au « Vicariat des Deux Guinées » qui allait se muer, en Vicariat du Gabon quelques années plus tard.
Gérard Morel (Père CSSP), Témoignage oral, entretien du 28 novembre 2001 à Libreville. Cf. aussi Naissance d’une Eglise, 1994.
Raponda Walker André, Souvenirs d'un nonagénaire , Versailles,Ed. Les Classiques Africains, 1993, 224 p. Cf. aussi le témoignage du Père Gérard Morel qui s'appui sur les dire de l'abbé Raponda Walker. Entretien du 28 novembre 2001 à Libreville.
Archives CSSP, Fond Pouchet, Boite 1001, Dossier B, chemise 9, Chronologie de l'évolution politique du Gabon jusqu'en 1947.
En 1844, au moment de l'arrivée des missionnaires, la France n'avait pas définitivement engagé le processus d'occupation du Gabon même si depuis 1839 Bouet Willaumez avait déjà signé des Traités d'occupations avec des chefs côtiers.
C'est en 1854 que le Gabon fut placé sous la juridiction de la Division Navale des Côtes d'Afrique, basée à Dakar. En 1859, les établissements du Gabon sont dirigés par un commandant supérieur. En 1882, il eut des division à l'intérieur des établissements de la Côte de l'Afrique en arrondissement: Côte de l'Or, Côte d'Ivoire, Sénégal et Gorée, Porto-Novo et Gabon. L'ensemble fut appelé « Colonies des rivières » dirigées par un Gouverneur et des Lieutenants Gouverneur résidant tous à Dakar. En avril 1886, le Lieutenant gouverneur du Gabon vint résider à Libreville mais dépendant toujours de Dakar. En juin 1886, un Commissaire Général est nommé pour le Gabon et le Congo avec résidence à Libreville. En 1891, Le Gabon et le Congo furent réunis pour former le Congo Français dirigé par un commissaire général siégeant à Libreville et un lieutenant gouverneur pour chaque colonie. En 1903, le Commissaire Général quitte Libreville pour Brazzaville et en 1908 le commissaire général devient gouverneur général du Congo français. Enfin, en 1910, le Congo français fut transformé en Afrique Equatoriale Française.
Voir introduction du chapitre.
« Les deux épaves humaines » comme les désigne le Père Gérard Morel.
DOCATGAB, Père Gérard Morel, Naissance d'une Eglise au XIXè siècle, 1994.
Père Morel in Naissance d'une Eglise, 1994, Op. Cit. P.30. Nous revenons sur ce détail dans les pages suivantes, lorsque nous abordons les relations entre les missionnaires et la Marine française. Des relations déterminantes pour l'installation des missionnaires catholique au Gabon.
Père Gérard Morel, entretien du 28 novembre 2001 à Libreville à la paroisse Saint André des Trois quartiers.
DOCATGAB, CEG, Affermis tes frères dans la foi, Document publié lors de l'arrivée du Pape Jean Paul II au Gabon, 1982
Témoignage oral du Père Morel, entretien du 23 septembre 2002 à Libreville à Sainte Monique de Sotéga.
Dans l’actuel Libéria
Jean Iboudo, « De l’Histoire des missions à l’histoire de l’Eglise » in Eglise et Histoire de l’Eglise en Afrique, Actes du colloque de Bologne, 22-25 octobre 1988, édités par Giuseppe Ruggieri, Beuchesne, 1989.