● Les tournées pastorales des missionnaires au Gabon

Pour communiquer leur message auprès des autochtones, les missionnaires usaient des visites auprès de ces derniers. Il s'agissait des visites régulières dans les villages auprès de ceux qui étaient disposés à écouter des "prêtres blancs" 154 puis indigènes plus tard. Au début de l'évangélisation du Gabon, les missionnaires contactaient d'abord le chef"pacifié"qui avertissait les habitants de son village.

Il y avait un préalable à ces tournées pastorales. C'était la connaissance de la langue indigène par les missionnaires. Il était presque obligatoire dit le Père Sillard "en arrivant sur le terrain d'apprendre la langue de ceux que tu côtoyais" 155 , sinon il n'y avait pas de contact efficace et solide. Jusqu'en 1945 donc, l'évangélisation du Gabon se faisait toujours exclusivement au moyen des langues vernaculaires.

De ce fait, les catéchistes, à partir de 1892, et un peu plus tard les prêtres, les frères et les sœurs indigènes étaient des auxiliaires indispensables pour les missionnaires occidentaux arrivée nouvellement dans le Vicariat. C'est au contact de ces missionnaires indigènes que les missionnaires occidentaux apprenaient leurs premiers mots en langues locales, avant d'affiner la connaissance au contact des païens.

Il y eut comme une spécialisation par région de la part des missionnaires au Gabon. Cette spécialisation commençaau début du XXè siècles quand il s'est agi d'évangéliser l'intérieur du pays. Ainsi, Mgr Jean Martin Adam se spécialisa dans la connaissance des peuples du centre Gabon comme les Eshiras, les Tsogo, les Apindjis, autrement dit les peuples du groupe linguistique Okandè. Mgr Martrou s'était spécialisé dans la connaissance des Fang, tout comme son successeur Mgr Tardy, ce qui lui valut le titre d'évêques des Fang. Le Père Jean Jérôme Adam, futur vicaire, se spécialisa dans la connaissance des peuples du Sud-Est du Gabon: Lébama, Idoumou. En fait, cette spécialisation dépendait du premier lieu d'affectation. Le Père Tardy à son arrivée au Gabon servit d'abord à Ndjolé en pays Fang et le Père Adam, à Franceville, dans le Haut-Ogooué.

La connaissance de la langue des autochtones était un moyen pour les missionnaires de découvrir le pays de l'intérieur: Découverte des mystères et de la nature : certains missionnaires devinrent ethnologue, botaniste. Le cas le plus célèbre est sans doute le Père Klaine qui découvrit une essence d'arbre très répandue au Gabon, l'Okoumé, à laquelle on donna même le nom de " aucouméa klaineana " en son honneur. Il y a aussi le cas de l'Abbé Raponda Walker, dont la redécouverte récente des écrits manuscrits ou dactylographiés laisse apparaître les talents de brillant chercheur. Cela a valu l'ouverture d'une Fondation portant son nom pour revaloriser ses recherches qui en font, pour certains, le titre de premier savant gabonais. Pour effectuer des recherches sur le Gabon, dans les domaines des langues, de l'anthropologie, la botanique et bien d'autres domaines, il est indispensable de consulter les archives missionnaires qui constituent une mine de renseignements indéniable.

Il ne faut toutefois pas s'imaginer que les tournées pastorales se déroulaient sans difficultés. Comme le mentionna le Père Bessieux 156 , les missionnaires couraient des dangers à cause de l'hostilité des peuples autochtones. Les missionnaires pénétraient parmi eux par degrés. Ils allaient prudemment, d'après le Père Bessieux: " La croix à la main et l'œil fixé sur les profondeurs de ce désert inconnu" 157 pour les missionnaires.

Malgré cette ignorance, au départ, les conversions étaient nombreuses, les missionnaires faisaient des indigènes gabonais des chrétiens fidèles et respectueux des principes de leur Eglise. Les indigènes, convertis, constituaient en outre une main d'œuvre abondante pour l'implantation de nouvelles missions. Aucune mission n'avait été construite au Gabon sans la concours des populations locales 158 .

A Lambaréné, par exemple, le défrichement et les premières constructions furent terminés en trois semaines, grâce au concours de jeunes gens Galwa, en 1880. Partout, c'était le même écho, autant de missions autant d'exemples. Certains chefs de terre, de tribu et de clan, convertis, offrirent leur concession à la Mission pour bâtir des églises. Ce fut le cas du chef Shokè (sékiani) avec qui le Père Delorme avait négocié l'emplacement de la mission Saint-Paul de Donghila, en 1878. Là aussi les exemples furent nombreux. Les populations locales demandaient, soit la construction, soit d'une église, d'une école ou d'un dispensaire directement auprès des missionnaires.

La conversion se faisait surtout au moyen de la prédication. Entre 1844 et 1900, elle consistait à expliquer aux peuples autochtones ce qu'était l'enfer et le paradis, ce qu'il fallait faire dans ce monde pour éviter l'un et mériter l'autre après la mort 159 . Bien que ce sujet de la mort demeurât le plus fréquent dans la prédication, après 1900, on note d'autres thèmes de prédilection sur les pratiques sociales des indigènes: la polygamie, la dot, les croyances traditionnelles (les fétiches, le bwiti, les rites initiatiques) 160 .

Dans l'ensemble, selon les Rapports des missionnaires du Gabon entre 1844 et 1945, les causes de la conversion des indigènes étaient très variées : la peur de l'enfer, l'ornementation de l'église, la beauté des cérémonies et des chants, et un peu plus tard l'introduction de la musique instrumentale. Des choses qu'on ne trouvait pas chez les protestants. En fin de compte il s'agissait des conversions liées aux éléments extérieurs à la foi chrétienne. Ce qui intéressait les missionnaires, c'était d'abord le nombre et non la qualité, d'autant plus qu'ils étaient en concurrence, à certains endroits, avec les protestants.

Les missionnaires n'avaient pas que de bonnes relations avec les populations locales. Les réactions négatives furent nombreuses de la part des indigènes face à leurs colonisateurs politiques et religieux qui les dominaient.

L'un des faits marquant de ces mauvaises relations entre les populations locales et les missionnaires, à cause de l'implantation des misions, fut la Révolte des Awandji 161 à la fin des années 1920. Toutefois ces démêlées remontaient à la fin du XIX siècle.

Dans les années 1880, le Chef des Bawandji ordonna le saccage des plantations et le pillage des étables et des basses-cours de la mission Saint-Pierre Claver de Lastourville. Celui-ci estimait que « l'homme était fait pour le commerce » Il s'opposa vivement aux missionnaires qui ramassaient les enfants, pour les instruire, sans rien payer en retour. Cette attitude vient de la rencontre des missionnaires avec les Adoumas (peuples voisins des Awandji), quelques années auparavant, dans la région de Lastourville, n'avait pas été cordiale.

La SHO (Société du Haut Ogooué) s'était emparée de plus de onze millions d'hectares. Cette situation fut mal appréciée par les Adoumas qui assassinèrent, le 19 août 1896, le chef de poste de Lastourville, un certains Mr Ratier. Les Adoumas s'en prirent aussi au Père Tristant qui essuya des coups de fusils et il fut retenu en otage toute une nuit. Entre 1896 et 1929, les relations ne furent pas brillantes entre les missionnaires et les populations locales de cette contrée: le Père Hée, en fonction à Lastourville, écrit « Il y a quelques mois, on a tiré sur le Frère Sidoine. On a surveillé le Père Danin pour le tuer à dix reprises différentes… » 162 . Après 1899 les missionnaires durent quitter Lastourville pour Franceville. En 1929, lorsque M. Le Testu accula le Chef Wongo à la reddition, on recueillit plus de mille fusils. En fait les Awandjis à ce moment étaient hostiles à l'impérialisme français sur leurs terres.

Un autre grand fait qui marqua les relations entre les missionnaires et les populations locales fut la Révoltes des Tsogo entre 1900 et 1905 163 . Afin de permettre l'installation définitive de la mission Saint-Martin des Apindjis près du village Guimanga, il fallut faire des va-et-vient entre Notre-Dame des Trois-Epis de Sindara et Saint-Martin. C'est alors que débutèrent les problèmes. L'accueil si chaleureux des Apindjis se mua en étonnement devant les missionnaires et les Blancs qui ne donnaient pas de marchandises en échange du caoutchouc qu'on leur apportait. Mécontents, les Tsogo se révoltèrent, il tuèrent deux Blancs, beaucoup d'Apindjis et faillirent tuer les missionnaires qui avaient voulu apporter un message de Paix. Ils pillèrent les factoreries et coupèrent les routes de la région. Le calme revenus, en 1905, grâce au capitaine Conrad aidé de 250 tirailleurs.

En dépit de ces difficultés, qui survinrent au moment ou la France affirmait sa colonisation du Gabon entre 1880 et 1930, les missionnaires dans leurs relations avec les populations locales s'attelaient, tant mieux que mal, à la formation des indigènes aux fonctions ecclésiales: cette formation des indigènes était appelée au Gabon "l'œuvre des noirs".

Notes
154.

Le prêtre est couramment désigné dans les langues du Gabon par les termes voulant dire " Mon Père".

155.

Père Gilles Sillard, entretien du 3 mars 2000 à Chevilly Larue.

156.

Archives CSSP Boîte 23, Lettre du Père Bessieux au Père Libermann du 29 juin 1845. Cf. aussi DOCOPM Annales de la Propagande de la Foi TOME XIX, mars 1847

157.

Lettre du Père Bessieux au Père Libermann, Id. & Ibid.

158.

DOCATGAB, Affermis tes frères dans la Foi, publiée à l'occasion de la visite de Jean Paul II au Gabon en 1982 par la Conférence des Evêques du Gabon. « Aperçu sur l'Histoire de L'Eglise du Gabon ». Op. Cit. P. 33.

159.

Mboumba Bouassa, Genèse de l’Eglise catholique au Gabon,

160.

CAOM, Carton 5D 8, Missions religieuses et étrangères en AEF, (1907-1940) cf. aussi Carton 5D87 Affaires religieuses 1928-1954 : Rapports administratifs

161.

DOCATGAB, Jacques Hubert, Album souvenir du 150ème Anniversaire. Le détail de cette révolte des Awandji est fait par l'Historien Metegue N'Nah Nicolas dans son ouvrage Résistance d'un peuple à l'implantation coloniale, l'Harmattan, 1981.

162.

Archives CSSP, Boîte 175 Dossier A, sur le mouvement des populations indigènes dans la région des Adoumas: La révolte Bawandji.

163.

Archives CSSP, Boîte 173, Dossier B, Des difficultés pour construire à Saint Martin. Voir aussi Diaire de la mission Notre Dame des Trois Epis de Sindara.