● La formation des indigènes ou l' « œuvre des noirs »

L'idée de formation d'un clergé autochtone remonte à l'installation des missionnaires au Gabon en 1844. Cependant, malgré la volonté affichée des missionnaires, l'œuvre des noirs ne porta ses premiers fruits que vingt ans après leur arrivée.

L'œuvre des noirs débuta, en réalité, en 1856 164 . Initialement elle fut appelée " Œuvre des latinistes" 165 , tant le latin à cette époque était le signe du prêtre, imprégnant toute sa culture. Elle a été à l’origine de l’ouverture du premier séminaire au Gabon qui devint Séminaire Saint-Jean en 1886. Ce fut le premier séminaire et pendant longtemps le seul en Afrique centrale. Il recevait les séminaristes du Gabon mais aussi du Congo, de l’Ile du Prince, de Sao Tomé, de la Guinée Espagnole, du Dahomey, même de la Cote d’Ivoire te du Sénégal.

Cette oeuvre connut des débuts et un développement très difficiles. Entre 1844 et 1900, elle dut fermer à quatre reprises (1859-1861, 1863-1864, 1865-1866, 1878-1881, 1884-1886). Ces fermetures étaient liées aux difficultés de tout genre: diminution des effectifs, à cause du non-engagement des enfants indigènes qui ne voyaient pas encore la nécessité de devenir religieux. La mentalité des indigènes contribua énormément à ce désintérêt provoqué par la méfiance des missionnaires qu'on croyait être des agents de ce commerce auquel tous les Européens, depuis le XVè siècle, avaient habitué les populations locales. Mais aussi, parceque les missionnaires étaient obligés d'envoyer certains jeunes en France ou au Sénégal, pour y poursuivre leurs études en vue du Sacerdoce.

Les indigènes virent en cela une forme de retour de la Traite négrière au cours de laquelle leurs « enfants » ne revenaient jamais du voyage. Une autre cause, organique, fut le manque de moyens nécessaires à la réalisation d’une telle œuvre qui nécessitait une vie en internat, plus ou moins longs. Ce manque de moyen se fit surtout ressentir avant et après la guerre Franco-Prussienne de 1870 car elle avait eu pour conséquence la diminution puis la suppression des subsides accordés aux missionnaires.

Cette œuvre, à laquelle les missionnaires accordaient une place de choix, malgré les difficultés, était rattachée directement au Vicaire Apostolique du Gabon. Elle fut même dirigée par Mgr Bessieux entre 1861 et 1863 166 . Les effectifs n'atteignaient pas la vingtaine d'enfants. Il eut des années fastes comme entre 1866 et 1871, puis à partir de 1886 jusqu'en 1899.

Le Bilan de l'œuvre des latinistes resta décevant entre 1844 et 1900. Malgré la pugnacité des missionnaires, la récolte fut très maigre. Le premier indigène qui faillit devenir Prêtre au Gabon était Rémi Rénombè, un séminariste qui avait revêtu la soutane en France mais il mourut de « Phtysie » (tuberculose) en 1873. Deux ans plus tard, Armand Bambara 167 fut même ordonné diacre, le 28 décembre 1875, mais lui aussi décéda peu après. Il fallut attendre 1899, le 23 juillet pour que fut ordonné le premier prêtre indigène gabonais, en la personne de l'abbé André Raponda Walker, qui n'était pas totalement noir. Il était né de Bruce Walker, blanc, un commerçant Anglais de Libreville et d'une mère, noire, gabonaise: une Mpongwè du nom de Agnorogoulé 168 .

En ce qui concerne la formation des Frères et Sœurs indigènes, entre 1844 et 1900, la situation ne fut non plus encourageante. Il fallut attendre 1887 pour voir les premières professions religieuses : le 18 septembre, celle de Elme Bouët, le premier Frère gabonais et le 23 octobre, celles de Hyacinthe Antini et Iphigénie, les premières Sœurs gabonaise 169 .

Au regard des noms de ces premiers clercs indigènes, il s'avère que ceux- ci étaient allés jusqu'au bout de leur formation à cause de leur origine et du rang social. Par exemple, Raponda Walker était le fils d'un commerçant européen, il avait même effectué dans son enfance un séjour en Angleterre grâce à son père. La Sœur Hyacinthe Antini, quant à elle, était une protégée de Savorgnan de Brazza qui explorait le Gabon à cette époque. Ce dernier avait pesé de tout son poids pour que celle ci parvienne à son but.

Les coutumes ancestrales ne favorisaient pas la détermination des missionnaires à la formation d'un clergé autochtone. Cela était dû, en grande partie, à la méfiance des parents certes, mais aussi et surtout, au fait que les missionnaires n'arrivaient pas à se défaire de l'image que leur collait les autochtones: celle d’européens qui étaient venus, sous une autre forme, faire du commerce.

Voulant à tout prix réaliser cette œuvre, qui coupait les enfants de leur milieu, les missionnaires durent se contenter des « semi-indigènes », issus de parents qui avaient déjà compris le bien fondé de l'action missionnaire. Ce furent ces "semi-indigènes" qui devaient servir d'exemple à partir de 1900, d'autant plus que Raponda Walker ordonné en 1899 fut directeur du Séminaire Saint-Jean entre 1902 et 1906.

Entre 1900 et 1945 les choses furent différentes. Les ordinations sacerdotales et les professions étaient devenues assez régulières. Venant de différentes missions, surtout celles de la côte qui atteignaient pour certaines déjà cinquante ans d'existence, ces clercs furent les premiers à s'occuper de l'évangélisation de leurs compatriotes. Certains, comme l'abbé Jean-Baptiste Adiwa, furent même à l'origine de fondations notamment la mission de Bitam en 1930 170 .

Le développement rapide de « l'Oeuvre des Noirs » entre 1900 et 1945 renforça, un tant soit peu, la position du catholicisme au Gabon. Bien que choisissant les plus docile, les missionnaires avaient élargi leur champ de recrutement bénéficiant ainsi de l'évolution de la mentalité indigène.

Entre 1900 et 1945 vingt-deux Prêtres indigènes furent ordonnés pour presque autant de professions religieuses. Les années fastes furent: 1919, un an après la guerre, il eut le 4 mai l'ordination de Gustave Batodié (de Notre-Dame des Trois-Epis de Sindara), Jean Obame ( de la mission Sainte-Marie de Libreville), Jean Baptiste Adiwa (de la mission Saint-François Xavier de Lambaréné); Le 18 août 1923, avec l'ordination de Charles Guibinga et Clair Bakenda ( de la mission Sainte-Croix de Mandji), Jérôme Mba ( de la mission Sainte-Marie); Et l'année 1930, le 11 mai, ce jour il eut quatre ordinations, (un record national jusqu'à présent) 171 .

Dans l'ensemble, entre 1844 et 1945, deux périodes caractérisent l'Oeuvre des Noirs:

- 1844-1899: caractérisée par une progression, avec des phases de régression inquiétante, d'entrées au séminaire. Ce fut la phase d'incompréhension mutuelle entre autochtones et missionnaires.

- 1900-1945: caractérisée par une progression accélérée des rentrées au séminaire et au noviciat, ainsi qu'une forte croissance du clergé indigène. Malgré quelques contestations à l'intérieur du Gabon, au Sud-Est, le message missionnaire commençait à passer sur la côte et dans le Sud-Ouest du pays, en attendant la pénétration définitive dans le Nord.

Notes
164.

Mboumba Bouassa, Genèse de l’Eglise catholique, pp. 216-217, Jean-Pierre Elelaghe, De l' « aliénation » à l' « authenticité » problématique missionnaire et affrontements culturels au Gabon : l'exemple des Fang, thèse (version d'origine), Doctorat 3e cycle, Théologie catholique, Université de Strasbourg, 1977, 480 p.

165.

Archives CSSP, Cette expression apparaît dans les correspondances, de Mgr Bessieux et de Mgr Le Berre, à leur supérieur.

166.

Mboumba Bouassa, Genèse de l’Eglise catholique, Op. Cit. p. 216.

167.

Voir photo

168.

DOCATGAB, Affermis tes Frères dans la Foi, C.E.G, Op. Cit. P. 32.

169.

DOCATGAB, Jacques Hubert, Album souvenir.

170.

DOCATGAB, Jacques Hubert, ibid.

171.

Archives CSSP, Fonds Gaston Pouchet, Boîte 1002, Dossier B.