● Les autres formes de relations entre missionnaires et autochtones.

En arrivant au Gabon, en 1844, les missionnaires portaient toujours une attention particulière, aux pauvres, aux vieillards, aux malades, ou à toutes personnes vivant dans des conditions difficiles 172 . La particularité des missionnaires du Gabon fut qu'ils s'intéressaient à la condition de l'homme soumis. Dans les sociétés traditionnelles, il existait deux types d'hommes soumis: l'esclavage domestique dont les conditions de vie n'étaient pas tellement drastiques, mais aussi l'esclavage négrier ou commercial pratiqué par les Européens et devant laquelle les missionnaires au Gabon étaient totalement impuissant. Même s'ils étaient arrivés au Gabon à la fin de ce type d'esclavage.

Les missionnaires eurent l'idée d'acheter ces esclaves. Les raisons étaient multiples. Ils voulaient sauver la vie des esclaves pour que ces derniers embrassent la religion catholique. L'œuvre des esclaves avait également une raison stratégique: la première mission du Gabon en 1844, Sainte Marie, avait été installée sur le futur site de Libreville, ville des esclaves libérés, fondée en 1849, un an après l'abolition de l'esclavage par la France.

Il convenait donc pour les missionnaires, après 1849, de respecter ce statut de ville libre. C'est pourquoi, ils sollicitaient de l'aide auprès des autres Européens pour obtenir des subsides et des dons pieux afin de financer l'achat et l'entretien des esclaves.

Ils achetaient surtout les enfants, plus malléables, faciles à éduquer, utiles. Le Père Bessieux, pionnier de cette œuvre, précise dans une correspondance que: « … les enfants coûtent de 40 à 60 francs: pour ce vil prix, on pourrait sauver la vie des centaines d'infortunés, … » 173 . Le but religieux de cet achat d'esclaves est indéniable, les missionnaires voulaient élargir leur nombre de convertis et en faire les auxiliaires de la mission. L ePère Bessieux affirme un objectif religuex : « Ainsi, notre maison deviendrait une providence pour ces malheureux, […] nous en ferions une colonie chrétienne, et plusieurs […] seraient un jour les apôtres de cet immense pays » 174 . Mais dans la pratique, la nouvelle condition se rapprochait de celle de l'esclavage domestique.

On peut s'interroger sur les raisons qui poussaient les autochtones à se méfier de l’action missionnaires. Les esclaves achetés étaient recueillis et hébergés à la mission où ils avaient le même traitement que les Hommes libres. Or dans les sociétés traditionnelles gabonaise, qui pratiquaient l'esclavage, l'organisation ne voulait pas que l'esclave se mélange avec l'Homme libre; à la limite l'Homme semi-libre. La pratique de l'œuvre des esclaves posait donc, le problème du respect des traditions et de la hirarchisation sociale des autochtones.

L'œuvre des esclaves, pratiquée par les missionnaires, confirma la mutation de la structure sociale 175 des peuples du Gabon entamée depuis les siècles précédents à cause du contact avec les Européens. Par la pratique de l'œuvre des esclaves les missionnaires contribuaient à la destruction du système sociale en y introduisant les notions d'égalité entre les hommes.

L'œuvre des esclaves n'était pas systématique. Elle divisait même les missionnaires, surtout sur le principe du rachat. Le Père Duparquet 176 , par exemple, dans une lettre au Père Schwindenhamer, affirme que: « …l'esclavage lorsqu'il est revêtu des conditions nécessaires me parait tout à fait légitime… » 177 . Les missionnaires possédaient des esclaves, semble-t-il, domestiques, car il ajoute ceci « Je vous avouerai […] que j'ai parfois quasi regretté la facilité trop grande qu'ont les missionnaires à libérer leur esclave ».

Le Père Duparquet était, au regard de la correspondance, favorable au maintien de l'œuvre des noirs. Même s'il ne précise pas de quel type, il ajoute: « Je suis loin d'être abolitionniste… ». Pourtant les missionnaires libéraient leurs esclaves. Par exemple en 1874, la Mission du Gabon libéra 25 esclaves selon un passage du Bulletin Général de la Congrégation du Saint-Esprit 178 . La pratique de l'œuvre des esclaves par les missionnaires pose le problème de la vérité historique quant à la poursuite de l'esclavage au Gabon après l'abolition en 1848. Vraisemblablement les missionnaires pratiquaient cette œuvre pour recueillir les sans abris de la ville libre.

Si l'œuvre des esclaves avait dominé, négativement, les relations entre missionnaires et autochtones dans la seconde moitié du XIXè siècle, le siècle suivant fut différent. Nous avons déjà fait allusion aux difficultés entre missionnaires et indigènes au moment de l'implantation des missions à propos des révoltes.

Dans l'ensemble, la première moitié du XXè siècle se caractérise aussi par les premières formes d'émancipation des chrétiens du Gabon. De nombreuses correspondances 179 , d'indigènes parcourues aux archives spiritains de Chevilly- Larue, en témoignent. Ces correspondances, pour la plupart, rédigées par des chefs coutumiers, des chefs de terre et autres notables, traduisent la volonté des indigènes de voir les choses se dérouler selon leurs vues, ou du moins, leur désir d'implication dans la gestion des affaires de cette nouvelle société religieuse gabonaise qui était en train de se bâtir.

Les relations entre les missionnaires et les peuples indigènes, au Gabon, entre 1929 et 1945 étaient en effet commandées par le point de vue des missionnaires blancs. Ces derniers tenaient, désormais, plus à l'émancipation des indigènes et faisaient écho à leurs revendications auprès de l'administration coloniale. Dans le Rapport quinquennal de 1930, les missionnaires compatissaient à la situation des indigènes qu'ils estimaient peu honorable: les indigènes disaient-ils « n'ont pas de droit politique et le nombre de ceux qui ont conféré la qualité de citoyen français est infime. » 180

Si les missionnaires se réjouissaient, dans ce Rapport, du fait que la Franc - Maçonnerie européenne ait peu d'adeptes parmi les indigènes, ils s'interrogeaient déjà sur le sort de ces mêmes indigènes qui n'avaient pas d'influence directe sur la marche des affaires publiques et politique du pays. La collaboration entre missionnaires et indigènes fut plus franche dans le domaine de l'évangélisation et de l'œuvre scolaire avec la valorisation du rôle des catéchistes et l'ouverture des écoles, même en dehors des missions.

Notes
172.

Ce n'était pas quelque chose de particulier à la religion catholique puisque cela se faisait depuis longtemps en Europe et depuis peu de temps dans d'autres missions du monde.

173.

Archives CSSP, Boite 23, Lettre du Père Bessieux au Père Libermann du 15 octobre 1845. DOCOPM, Annales de la Propagande de la Foi, Tome XIX, mars 1847.

174.

Archives CSSP, Lettre du Père Bessieux à Libermann, Id & Ibid.

175.

Metegue N'Nah Nicolas, Economies et sociétés au Gabon dans la première moitié du XIXème siècle, Paris, Harmattan, 1979, 97 p. Avant l'arrivée des Européens, la hiérarchisation sociale des peuples du Gabon se faisait au moyen des liens de sang. On distinguait trois couches:

Les Hommes libres, les purs sang, issues du clan et habitant la terre de leurs ancêtres; Les Hommes semi-libre, ceux qui avaient immigré et étaient venus habités sur la terre des autres; Les esclaves, les hommes soumis selon leur condition de naissance, à cause des conflits…Après le contact avec les Européens, et l'introduction du commerce, la structuration sociale se modifia. Elle se fit désormais sur la base de la fortune ou de la possession des biens.

176.

Il était en poste à la mission Sainte Marie où il s’occupait des enfants.

177.

DOCOPM, Lettre du Père Duparquet au Père Schwindenhamer. Annales de la Propagande de la Foi Tome XXXIV.

178.

DOCSSP, Bulletin Général, Tome X, N° 106, Août 1874 à janvier 1875, Op. Cit. p. 403.

179.

Archives CSSP, Le Fond Pouchet, Boîte 1001 Dossier B: La Chemise II correspondances affaires africaines 1929-1948.

180.

Archives CSSP, Boîte 271, Dossier A, Rapport quinquennal de 1930.