● But et historique de l'enseignement missionnaire catholique.

C'est Mgr Le Berre qui fut le plus explicite sur la raison pour laquelle les missionnaires catholiques ouvraient des écoles au Gabon.

‘«  La première et la plus importante des œuvres de la Mission est l'éducation des jeunes noirs…Le but général de la Mission en cette œuvre c'est la civilisation chrétienne et sociale du pays: les fins particulières…" étant comme il le précisa par la suite "…la formation d'un clergé indigène…des catéchistes, de bons pères de famille, de bons ouvriers dans les professions les plus utiles du pays » 181 .

Ainsi, la première école ouverte au Gabon par les missionnaires spiritains, fut celle du Père Bessieux, en 1845: le missionnaire rapporte que :

‘«  On vint en foule me voir dans l'espérance d'avoir bientôt une école française […]. Voyant d'un côté l'impatience des gens et, de l'autre que je ne pouvais traduire en Mpongwè les choses usuelles du français pour les leur expliquer, je me déterminai à commencer un peu d'école […]. J'assignais le 1er janvier… » 182 .’

L'ouverture de la première école catholique au Gabon vint donc d'une double volonté, autochtone et missionnaire. S'étant installés dans une zone d'influence française, les missionnaires subirent des pressions de la part des chefs autochtones, notamment Dowé et Quaben qui voulaient voir leurs enfants être instruits en français comme le furent les enfants de chez King Glass Ré Ndama, en anglais, où s'étaient installés deux années auparavant les missionnaires protestants. Une fois de plus la lutte entre catholiques et protestants fit naître une œuvre:celle des enfants.

Une école ouverte par le Père Bessieux, en 1845, était située à la mission Sainte-Marie. Elle posséda, au fil du temps: une école primaire, une école professionnelle, à partir de 1860 et une école de catéchistes. Elle regroupait les jeunes les plus intelligent venant de partout: de Loango, de Guinée-Espagnole, de Fernando-Pô, de Porto- Novo, de Ouidah, de Grand-Bassam 183 .

La seconde école ouverte au Gabon fut celle des filles en 1852. Située au Plateau à la mission saint-Pierre, elle était dirigée par les Sœurs de l'Immaculée Conception. La seconde école des filles ne fut ouverte qu'en 1899 à la mission Sainte-Marie 184 .

La lettre du Père Bessieux du 12 mars 1845 (citée plus haut) est intéressante dans la mesure ou elle pose aussi le problème de la langue d'enseignement qui causa par la suite un débat.

Dès 1845, les missionnaires optèrent pour le français et le latin pour ceux qui devaient aller jusqu'au sacerdoce. Il n y eut pas d'enseignement dans les langues locales malgré les efforts des missionnaires d'apprendre et de transcrire ces langues.

Par conséquent, les effectifs étaient faibles. Le Père Bessieux par exemple inscrivit, en 1845, soixante-cinq enfants 185 . Les raisons de ce faible attrait pour l'école furent les même que celles de l'œuvre des Noirs: Méfiance envers les missionnaires à cause de l'isolement des enfants. Comme leurs confrères protestants, les catholiques logeaient et nourrissaient les enfants. C'était le système d'école internat obligatoire, sinon les résultats n'étaient pas concluants. Plusieurs enfants allant passer les vacances dans leur village ne revenaient pas à la mission.

Jusqu'au début du XXè siècle, la scolarisation des garçons incombait aux missionnaires du Saint-Esprit et celle des filles aux Sœurs de l'Immaculée Conception. Mais ceux-ci étaient occupés également à la tâche d'implantation et d'évangélisation par les tournées pastorales et pour l'œuvre des malades.

Mgr Jean Martin Adam fit appel, en 1900, à une congrégation spécialisée dans l’enseignement: Celle des Frères de Saint Gabriel. A leur arrivée Ils s'occupèrent uniquement de la scolarisation. Le premier contingent des Frères ; Fulgent, Théodule et Roger ; prirent la direction des écoles les plus importantes, celles de Sainte-Marie, Saint-Pierre à Libreville et Saint-François-Xavier à Lambaréné. Ces écoles jouaient un très grand rôle dans la vie du Vicariat. Elle était le vivier des missionnaires pour l'œuvre des enfants. D'ailleurs, jusqu'en 1907, année d'ouverture de la première école officielle au Gabon, toutes les écoles étaient missionnaires, protestantes ou catholiques 186 .

Ce monopole de l'école missionnaire prit fin au Gabon au moment du vote de la loi sur la séparation de l'Etat et les Eglises, en 1905, en France. Malgré cette volonté du colonisateur de prendre en main la scolarisation, les changements n’eurent pas lieu rapidement. La première école officielle ouverte en 1907 n'accueillit ses premiers instituteurs laïcs qu'en 1912. A la veille de la Première Guerre, les choses n’étaient pas faciles mais les missionnaires du Gabon continuaient à se battre face à la naissance et l'emprise de l'école laïque. Entre les deux Guerres, les premiers examens du certificat d'Etudes Primaire furent organisés en 1930, et le Frère Macaire publiait, en 1939, les premiers ouvrages scolaires adaptés aux réalités du pays 187 .

Au chapitre des difficultés, de l'enseignement missionnaire catholique au Gabon, entre 1845 et 1945, il faut d'abord relever la formation en priorité des garçons au lieu des filles. En effet Ndoume Assebe 188 pose le problème de la différence des méthodes utilisées par les missionnaires catholiques et protestants dans l'éducation. Les catholiques privilégiaient les garçons. Cette attitude fut à l'origine du retard accusé par les filles passées par leurs établissements par rapport à leurs sœurs des établissements protestants 189 .

Le second point faible de l'enseignement missionnaire au Gabon a été l'insuffisance des éducateurs. Bien qu'une congrégation se soit installée en 1900 pour s'occuper de la scolarisation, mais ils étaient toujours sollicités pour les tâches d'évangélisation ou de formation spirituelle. D'autre part, les missionnaires ne faisaient pas encore assez confiance aux laïcs indigènes pour faire la classe. En 1945 l'enseignement catholique n'avait pas encore dépassé la barre de 100 enseignants. Les Rapports quinquennaux de 1935, 1940 et 1945 donnent les chiffres de 77 éducateurs indigènes, en 1940: 63 instituteurs et 14 institutrices 190 .

Le troisième problème de l’enseignement catholique, avant 1945, et sans doute le plus important, était enfin celui de la langue d'enseignement : langues locales, latin ou bien français? Cette difficulté prit de nouvelles proportions à cause de l’administration coloniale. Le français fut imposé comme langue d'enseignement après 1923 au grand désarroi des indigènes qui subissaient alors la politique de colonisation et d'assimilation de la France.

Notes
181.

Archives CSSP, Boite 166, Dossier A, Vicariat des deux Guinées, Rapports Mgr Bessieux et Mgr Le berre. DOCOPM, APF Tome XLI 1869 pp. 101-114 Rapport de Mgr Le Berre à Schwindenhamer

182.

Archives CSSP, Boîte 23, Lettre du Père Bessieux du 12 mars 1845.

183.

DOCATGAB, Jacques Hubert, Album souvenir, Op. Cit. p. 75. Voir aussi Houlet Op. Cit. P.97, et Piolet Op. Cit. P.232.

184.

DOCATGAB, Jacques Hubert, Id & Ibid.

185.

Archives CSSP, Boite 23, Lettre du Père Bessieux du 12 mars 1845.

186.

DOCATGAB, Jacques Hubert, Album souvenir, Id & Ibid.

187.

Témoignage du Frère Hubert Guerineau, Supérieur des Frères de Saint Gabriel au Gabon, entretien du 22 mai 1999 à Libreville à la Fondation Raponda.

188.

Enseignant à l’Université Omar Bongo de Libreville

189.

Ndoume Assebe Jean, L'Enseignement missionnaire au Gabon de 1842 à 1960, Thèse de doctorat 3è cycle, Paris Sorbonne I, 1981.

190.

Archives CSSP, Boîte 271, Dossier A, Rapport quinquennal de 1940.