● Le Programme et la durée des études.

La politique éducative au Gabon entre 1844 et 1945 se caractérise par deux mouvements. Une première période, celle allant de 1844 à 1923, pendant laquelle la Mission concevait les programmes, la durée des études et n'avait de compte à rendre à aucune autorité politique. Une seconde période, celle allant de 1923 à 1945, au cours de laquelle la Mission ne fut plus responsable de la scolarisation des jeunes Gabonais. Pendant cette période, la rivalité entre la Mission et l'administration allait se faire sentir, sans empêcher une forte collaboration car, à cette époque (1920-1945), l'école devint un véritable outil de la colonisation. Et dans la mesure ou la Mission continuait, elle aussi, à contribuer à cet effort de scolarisation et de se soumettre aux injonctions de l'administration, elle collaborait à la colonisation de la France au Gabon. La politique éducative, au Gabon, à partir de 1907 et surtout après 1923 a donc été celle du colonisateur relayée par les missionnaires.

Du point de vue du Gabonais actuel, ces changements n’ont guère d’importancee. Car s'il est vrai que les missionnaires furent les premiers à instruire les Gabonais à partir de1845, ils n'avaient cependant pas développé un système d'enseignement efficace. Jusqu'en 1945 aucun collège d'enseignement secondaire n'avait été ouvert. Que se soit les missionnaires ou l’administration, ils s'étaient contentés d'apprendre à lire, à écrire et à former aux tâches manuelles les jeunes Gabonais. Cette attitude des missionnaires et du colonisateur fut à l'origine du retard accusé par les Gabonais dans la formation d'une élite intellectuelle, digne de ce nom, comme dans d'autres colonies d'Afrique.

La situation éducative du Gabon était presque similaire, à quelques exceptions près, à celle de toutes les colonies de l'Afrique Equatoriale comme le Tchad, l'Oubangui-Chari, et le Moyen-Congo. Mais le Gabon était plus handicapé à cause de sa faible population. En Afrique Occidentale Française la situation était très différente. Les colonies comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Soudan (Mali) étaient en avance dans le domaine éducatif par rapport à leurs homologues de l'Afrique Equatoriale. Pour s'en convaincre il convient de se reporter aux travaux de Denise Bouche et de Joseph Roger de Benoist 191 . L'avantage pris par l'AOF sur l'AEF a fait que l'on considèrait parfois la première comme l'Afrique intellectuelle et la seconde comme l'Afrique grenier.

La politique éducative missionnaire du Gabon est connue grâce aux travaux d'Histoire de Ndoume Assebe Jean, Metegue N' Nah Nicolas et de Mboumba Bouassa Florent (un abbé) 192 . La scolarisation des jeunes gabonais entre 1844 et 1945 se faisait au moyen d'un enseignement primaire et d'un enseignement secondaire inférieur. En effet, en 1884, la première école primaire, ouverte en 1845 par le Père Bessieux, fut érigée en une école secondaire à la mission Saint-Pierre de Libreville et, en 1895, l'Oeuvre des Latinistes lancée, en 1856, par le Père Duparquet, fut transformée en Petit séminaire.

Le programme pour l'enseignement primaire comportait essentiellement: la lecture, l'écriture, l'Histoire et l'arithmétique. Progressivement, après l'arrivée des Frères de Saint-Gabriel, le programme subit des modifications pour l'enseignement secondaire inférieur. On ajoutait à ces premières matières, la géographie de la France et la grammaire. Le programme et la durée des études, chez les filles, étaient encore plus souples. Elles apprenaient: le catéchisme, la lecture, l'écriture mais aussi la cuisine, la lessive et la confection des habits.

L’éducation par les missionnaires au Gabon ressemblait davantage avant 1900 à un acte humanitaire qu’une véritable promotion. Avec la prise en charge de l'éducation par l’administration en 1907, la situation n'évolua pas en faveur des indigènes. En effet, la politique éducative coloniale de la France au Gabon, comme partout ailleurs, avait pour but principal, le développement et le maintien du système colonial. Comme son prédécesseur, l'enseignement laïc visait à faire assimiler les fondements de la culture occidentale. Les programmes étaient donc tournés vers l'acculturation des indigènes.

Les missionnaires et l’administration encourageaient en priorité l'enseignement professionnel au détriment de l'enseignement général. Il s’agissait de fournir à l'économie les hommes dont elle avait besoin. Sur cette base, la politique éducative préconisée par le colonisateur et soutenue par les missionnaires accordait une part prépondérante dans les emplois du temps aux travaux manuels. Le colonisateur et les missionnaires donnaient aussi la priorité à la formation des chefs et de leur fils, surtout sur la côte, afin d'en faire des soutiens et des appuis pour l'administration et l'évangélisation.

La langue du colonisateur avait été imposée comme langue d'enseignement, en 1922 193 , et ce dès les petites classes. A la différence d’autres colonies, l'usage des langues locales ne fut pas préconisé, même pour des explications orales et les traductions. La diffusion de l'enseignement en français fut réelle au Gabon. Non pas que le français soit maîtrisé par toutes les couches mais il entraîna un recul des langues locales comme langue de communication officielle au profit du français et aujourd'hui le Gabon est l'un des pays les plus francisés d'Afrique au Sud du Sahara.

Dans l’ensemble le niveau de l'enseignement missionnaire (majoritaire en 1945) resta médiocre au Gabon, comparativement à d'autres colonies voisines. Cette différence était entretenue le manque d'initiatives locales, l’absence d’enseignants de qualité était inégale, et surtout parce que la politique coloniale de la France était peu active. Le diplôme le plus élevé était le Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires, proposé seulement à partir de 1930. L’enseignement secondaire resait inexistant, retardant quelque peu la formation d'une élite moderne. Nous en parlons dans le chapitre 2, à propos de la naissance d'une vie politique moderne au Gabon.

Si l'AEF était déjà en retard en 1945, le Gabon l’était encore davantage. La première école secondaire en AEF, l'Ecole Edouard Renard, avait vu le jour en 1935 à Brazzaville. Il fallut attendre 1947 pour voir l'ouverture du premier collège moderne au Gabon et 1948 pour l'ouverture de la première école secondaire missionnaire: le Collège Bessieux.

Notes
191.

Bouche Denise, L’enseignement dans les territoires français d’Afrique occidentale : 1817-1920, mission civilisatrice ou formation d’une élite ? Thèse d’histoire, Paris I Sorbonne, 1974, 2 volumes, 954p ANRT, Lille, 1975. Benoist Joseph Roger (Père), L’Eglise et le pouvoir colonial au Soudan Français. Administrateurs et missionnaires dans la Boucle du Niger (1885-1945), Paris, Karthala, 1987, 539p.

192.

Trois Gabonais dont les travaux (des thèses) ont parlé de l'enseignement missionnaire. Voir bibliographie.

193.

Elikia M'bokolo, Histoire de l’Afrique Noire, Id. & Ibid. Op. Cit. P. 400