● L'œuvre sanitaire ou « l'œuvre des malades ».

L'origine de cette œuvre au Gabon est liée au délaissement, par la famille, des malades, des infirmes et des vieillards surtout lorsqu'ils étaient esclaves. Le Père Le Berre disait ceci à ce sujet:

‘«  Le sort des vieillards n'inspire que l'indifférence, quand il ne provoque pas des injures. Si la maladie traîne en longueur, ou qu'elle devienne un peu à charge, on finit très souvent par se débarrasser d'eux au moyen du poison […] Quant aux esclaves, ils ont généralement la plus triste des fins […] S'ils ne rencontrent pas autour d'eux, par mis les compagnons d'esclavage, quelques cœurs compatissant, ils n'ont plus ni abri, ni aliments, et plusieurs finissent par mourir de misère ou de faim. On va même jusqu"à les traîner dans les bois, où ils meurent sans secours. » 194

Cette œuvre consista en la création des dispensaires et autres centres d'accueils. Elle était une véritable action humaine réalisée par les missionnaires qui s'occupaient, de près ou de loin, des malades, des infirmes et des personnes âgées 195 .

Entre 1844 et 1914, l’œuvre sanitaire fut très active. Les missionnaires, dès leur arrivée, aménagèrent d'abord un hôpital, à Sainte-Marie, qui ne recevaient que les hommes. Un hospice des vieillards fut construit en juillet 1869 sur le terrain qui porte aujourd'hui le nom de Sainte-Anne. A partir de 1872, les Sœurs de l'Immaculée conception dirigèrent un hôpital construit à Saint-Pierre pour accueillir les femmes. Jusqu'en 1905, les Sœurs s'occupaient également des soins à l'hôpital de l'administration coloniale 196 .

Les dispensaires et les hôpitaux dans lesquels travaillaient les missionnaires constituaient de véritables centres d'évangélisation, car on y convertissait les plus résistants à la maladie et on baptisait avant la mort tous les malades qui l'acceptaient par résignation dans l'espoir d'aller au paradis. Toutefois, l'état sanitaire général des populations ne s'améliorait pas pour autant, non seulement à cause de la faible capacité d'accueil des dispensaires et hôpitaux mais aussi à cause de la rareté du personnel compétent et la carence des médicaments. Les missionnaires éprouvaient, également, des difficultés à convaincre les populations locales d'aller se faire traiter dans « les hôpitaux des blancs ».

Entre 1914 et 1945, tout en demeurant une priorité, la situation est différente. Il y eut une stabilisation de l'œuvre des malades pour une raison essentielle. La Loi de la séparation entre les Eglises et l'Etat en France avait eu pour conséquence, au Gabon, la prise en charge de la politique sanitaire par l'administration coloniale, à partir de 1910. Cette stabilisation, chez les missionnaires catholiques, se justifia, aussi, par le manque de moyens financiers, l'augmentation de la population mais aussi par la montée des initiatives privées dans le domaine sanitaire.

L'exemple le plus connu est celui du Docteur Albert Schweitzer, né en Haute Alsace en 1875, dans un petit village où son père était pasteur protestant et instituteur. Docteur en théologie, professeur d'université, organiste, écrivain, Schweitzer s'était mis à l'étude de la médecine à l'âge de 35 ans, car des récits missionnaires lui avait révélé la misère physique des indigènes de la forêt vierge. Il décida, ainsi, de leur consacrer sa vie. En 1913, Albert Schweitzer, s'établit à Lambaréné au centre du Gabon, où il fonda un hôpital, grâce aux ressources que lui avaient procurées ses concerts 197 .

Mobilisé, en 1917, pendant la Grande Guerre, comme Allemand, il ne revint au Gabon qu'en 1924 et fit construire un hôpital d'une capacité d'accueil de 200 malades. Entre 1927 et 1939, il effectua plusieurs voyages en Europe où il multipliait conférences et récitals d'orgue. Son hôpital devint, en quelques années, un véritable village où évoluaient près de 400 personnes: malades, parents de malades qui venaient séjourner pour une ou deux semaines. Il y régnait une véritable « ambiance africaine » que Schweitzer jugeait importante pour le soutien moral des malades qui se sentaient chez eux, dans leur cadre familier 198 .

Albert Schweitzer accordait, lui aussi, une grande importance à l'évangélisation et il organisait lui-même un service religieux traduit en langues indigènes. Son hôpital fut préféré, par les indigènes, à ceux des missionnaires catholiques et de l'administration coloniale dans lesquels « l'ambiance occidentale » ne respectait pas totalement leur mode de vie et culture.

Notes
194.

DOCOPM, Extrait d'un mémoire du Père Le Berre à Schwindenhamer. Annales de la Propagande de Foi, Tome XLI, 1869, pp. 101-114.

195.

Metegue N'Nah Nicolas, Le Gabon de 1854 à 1886 " Présence française et peuples autochtones", Thèse pour le Doctorat 3è cycle, Paris Sorbonne, 1974, 400p. Op. Cit. p. 275

196.

Metegue N'Nah Nicolas, Id & Ibid.

197.

DOCOPM, Dossier 347 sur le Gabon: Schweitzer : « le grand docteur blanc »

198.

DOCOPM, Dossier 347 sur le Gabon : Schweitzer: « Le grand docteur blanc »