● L'œuvre agricole et de modernisation des missions.

L'origine de cette œuvre est liée à la paresse attribuée, par les missionnaires, aux peuples autochtones de la côte qu'ils côtoyèrent en premier. « Un homme libre ne veut pas remplir les fonctions qui sont le partage exclusif des esclaves » 199 précisait déjà Mgr Truffet en 1847. Pour amener les peuples autochtones du Gabon à travailler, les missionnaires comprirent que la parole seule ne suffisait pas. Ils firent, ainsi, la prédication par l'exemple.

Le Père Le Berre écrit à ce sujet:

‘« L'exemple étant, partout et en toute chose, ce qui détermine le plus efficacement l'homme dans sa conduite […], nous pensons aussi que le moyen le plus efficace, pour les déterminer à embrasser le travail et la culture, c'est de leur donner l'exemple à la mission même. » 200

Les missionnaires se mirent donc "avec constance au travail de la culture". Mgr Bessieux « pionnier du Gabon » avait été le premier exemple de cet apostolat. En 1849, il avait demandé à ses élèves internes de faire un peu de culture maraîchère. Les chefs mpongwès vinrent le trouver à la mission pour lui dire que: « Le travail est la part des esclaves et des femmes. Nos fils ne sont pas des esclaves. » Et ils ajoutèrent que: « Les Blancs non plus ne travaillent pas. » 201 Après avoir tenté, à plusieurs reprises, de convaincre les jeunes et les femmes de l'utilité du travail manuel, il se résolut au travail de la terre.

Le règlement particulier de Mgr Bessieux et d'autres missionnaires comportait un travail manuel journalier 202 .Mgr Bessieux, accompagné des écoliers, après la messe du matin, allait débrousser, abattre et remuer la terre. Au point qu'un jour, en 1873, le Marquis de Compiègne, un des explorateurs du Gabon, s'étant présenté à la mission pour rencontrer l'évêque, eut cette réponse: « Mgr est à son travail dans la brousse. » 203 Tous les successeurs immédiats de Mgr Bessieux encouragèrent la culture des plantations et industries liées aux missions, surtout Mgr Jean Martin Adam qui dirigea le Vicariat au moment de l'amorce de l'implantation des missions à l'intérieur du pays entre 1892 et 1914.

La mission Sainte-Marie fut la plus belle, dans le domaine de l’œuvre agricole, à cause de ses cultures, à tel point qu'un officier de la marine affirma, selon le Père Roques, « C'est la mieux organisée qu'il ait jamais vu, soit en Afrique, soit en Océanie. » 204

Au fil des ans, l'œuvre agricole se stabilisa, tout comme l'œuvre sanitaire. Le but essentiel de l'activité agricole de la Mission était désormais d'atteindre l'autonomie alimentaire vis-à-vis des autorités coloniales. En réalité, les missionnaires du Gabon n'étaient pas très favorables à cette œuvre qui a tout de même résisté jusqu'à l'indépendance. En effet affirme le Père Roques, auteur d'un ouvrage sur Mgr Bessieux, citant le passage d'un rapport des premiers missionnaires:

« Désormais nous allons renoncer à ce système; ce n'est pas un travail de missionnaire; nous nous consacrerons à prêcher, catéchiser, faire classe; pour le ravitaillement nous nous contenterons de la ration que nous donne le poste » 205

L'activité agricole n'avait jamais été une priorité de la mission. En 1930, par exemple, l'œuvre agricole n'apparaît plus dans les projets du Vicariat, tandis que l'œuvre éducative et sanitaire, malgré les difficultés rencontrées, continuaient de préoccuper les missionnaires. Dans la conclusion du Rapport quinquennal de 1930 voici ce qu'on lit à ce sujet:

‘« Trois projets dans les œuvres de la Mission -L'œuvre d'assistance médicale indigène donc s'occupe le Père Gremeau- L'école préparatoire au séminaire- La petite imprimerie, qui sous la direction du Père Peti-Prez, est destinée à donner au Vicariat les livres religieux » 206

L'œuvre agricole était, donc, une œuvre de second plan dans l'esprit des missionnaires du Gabon. Si cette œuvre a survécu pendant près d'un siècle, surtout après la guerre, c'est à cause des circonstances extérieures et intérieures à la Mission.

Elle constituait aussi un moyen de subsistance pour les missionnaires surtout dans les stations et les missions éloignées où le ravitaillement était rendu difficile par la distance. De la même manière l'administration coloniale avait imposé le "travail forcé", les missionnaires utilisaient les chrétiens qui faisaient "la pénitence" pour les faire travailler volontairement dans les plantations. Ainsi, se retrouvaient à cultiver les champs missionnaires un grand nombre de miséreux qui n'avaient pas la possibilité de subsister. Cela veut dire que dans les champs et plantations la main d'œuvre était gratuite, composée de chrétiens. Elle n'était pas permanente, elle changeait chaque année.

L'œuvre agricole missionnaire a aussi stagné à cause des initiatives privées. La France, désireuse d'affirmer sa colonisation du Gabon, confia à la fin du XIXè siècle début XXè siècle, la mise en valeur de la colonie aux Compagnies dites concessionnaires.

Le ministère de l'Agriculture et les sociétés prirent la relève des missions. Les missionnaires qui, jusque là, étaient les seuls à pratiqués l'agriculture commencèrent à délaisser cette activité. Après la liquidation des compagnies concessionnaires au début des années 1930, suivies de l'installation des colons privés, les missionnaires délaissèrent complètement les grands champs et plantations pour se contenter de petite surface.

Il y a lieu de s'interroger sur la raison pour laquelle les missionnaires du Gabon ne firent pas de l'activité agricole une œuvre majeure après ces péripéties. Pourtant, l'œuvre agricole avait permis à la Mission d'affirmer son indépendance économique face à la Marine dès 1844 et face à l'administration coloniale, surtout après 1910. Cela est d'autant plus vrai, lorsqu'on regarde le chapitre recettes, années par années, dans les "Status Missionis", de 1924 à 1945. On constate que les principaux revenus sont issus des cultures et industries.

En 1945, par exemple, les principales recettes venaient des cultures et industries de la Mission soit 1 144 240 francs, tandis que les principales dépenses étaient destinées aux écoles, soit 1 084 825 207 . La négligence de l'œuvre agricole était paradoxaleLes missionnaires ne voulaient peut-être pas se transformer en commerçants comme le suppose les Pères Gilles Sillard et Gérard Morel 208 . A cette raison, on peut aussi ajouter la régression de la main d'œuvre gratuite. Car les indigènes chrétiens préféraient aller travailler dans les plantations des colons privés pour toucher un salaire que ne pouvait leur verser les missionnaires.

Notes
199.

Archives CSSP, Boîte 172, Dossier A, Lettre de Mgr Truffet à Libermann du 1er septembre 1847.

200.

DOCSSP, Bulletin Général, Tome II, N° 21, 1er trimestre 1862. Extrait d'un rapport du Père Le Berre à Schwindenhamer.

201.

DOCOPM, Dossiers sur le Gabon, N° 347, " Mgr Bessieux , Evêque des Deux-Guinées (1803-1876).

202.

Raponda walker, Souvenirs d’un Nonagenaire, 1993

203.

DOCOPM, Dossier sur le Gabon, N° 347 "Mgr Bessieux est au champs" lors du passage du marquis de Compiègne à Sainte-Marie en 1873. (D'après les notes de Mgr Tardy et du Père Augustin Berger, Cssp.)

204.

R.P. Roques, Le pionnier du Gabon, Op. Cit. p. 66

205.

R.P. Roques, Le pionnier du Gabon, Op. Cit. p. 233.

206.

Archives CSSP, Boite 271, Dossier A, Extrait de la conclusion du Rapport quinquennal de 1930.

207.

Archives CSSP, Boîte 271, Dossier A, Rapport annuel de 1945.

208.

Témoignages oraux, Père Gilles Sillard : Entretiens de février et mars 2000 à Chevilly. Père Gérard Morel : Entretien du 28 Novembre 2001 à Libreville.