● La Marine favorable à l'arrivée des missionnaires

L'arrivée des missionnaires au Gabon, le 28 septembre 1844, était en partie sollicitée et, sans aucun doute, favorisée par des circonstances extérieures à l'Eglise. L'abbé Jean Pierre Elelaghe Nze 209 parle, pour cette époque, d'une « redécouverte » et d'une « réévaluation » du Gabon par la France.

Désireuse de mettre un terme au « commerce honteux » d'esclaves, la France s'accorda « le droit de visite remplacée par la vérification du Pavillon » 210 pour arrêter les navires négriers. Les explorateurs, géographes, botanistes et autres chercheurs allaient, ainsi, faire reconnaître l'intérieur du Gabon pour l'ouvrir à un autre type de commerce. Tout cela était accompagné du projet agrémenter de civiliser les peuples du Gabon jusque là demeurer en marge de l'évolution.

La stratégie de la Marine consista à faire appel à d'autres acteurs, notamment les missionnaires. Pour le Gabon, ce furent les missionnaires de la Congrégation du Saint-Esprit du Père Libermanndont le mot d'ordre était, justement, « évangéliser et christianiser ». La marine fit appel aux missionnaires dans la mesure ou ils tenaient compte des dangers inhérents à l'exploration du Gabon profond.

Les marins, ne connaissant pas les peuples du Gabon jugés « barbares et sauvages », voulaient éviter toutes mauvaises surprises aux futurs explorateurs et commerçants qui risquaient de se faire lyncher. Alors, seul les missionnairesfurent appelés à la rescousse 211 .

Les missionnaires du Saint-Esprit, dont la préoccupation principale était « sauver les nègres », voulaient « christianiser et civiliser ». Tandis que la Marine qui représentait l'administration française voulait protéger le « commerce et civiliser ». Cette collaboration leur permit, ainsi, de mettre en œuvre, ce qu’on peut désigner par, la théorie des trois « C »: Commerce, christianisation et civilisation. 212 Chaque partie devant jouer un rôle dans son domaine de compétence.

Des facteurs politico-économiques sont à l'origine de la collaboration entre les missionnaires et la Marine, si l’on se réfère à la Convention signée entre le Ministère de la Marine et le Père Libermann responsable de Congrégation du saint-Esprit. Afin de mettre en pratique l'entente des missionnaires et de la Marine, un accord fut passé, entre les deux parties ; il convenait de ce qui suit : La Congrégation du Saint-Esprit s'engageait à pourvoir en prêtres, avec l'accord du Saint-siège, les comptoirs d'Afrique. Les Missionnaires Saint-Esprit devaient y asseoir avec l'influence politique de la Marine « la morale et la religion ». De son côté, la Marine s'engageait à apporter un « soutien organique » aux missionnaires 213 .

Les relations entre les missionnaires et la Marine ont donc débuté avant l'arrivée des missionnaires au Gabon. L'accord passé entre le Père Libermann et le ministère de la Marine a été l'occasion d'envoyer des missionnaires en Afrique. Pour le cas particulier du Gabon, l'arrivée des missionnaires, le 28 septembre 1844, fut une « heureuse coïncidence » disent les religieux (les missionnaires par exemple le Père Morel 214 ). Mais nous pensons qu’elle a aussi été fortement sollicitée et voulue par les autorités de la Marine.

En effet, le père Libermann, qui s'était engagé auprès du ministère de la Marine française à pourvoir en prêtres les territoires d'Afrique, avait fait la connaissance, quelques temps auparavant, de Mgr Barron nommé par Rome. Après la rencontre, des deux hommes, sept pères partirent en Afrique et se divisèrent en deux groupes par la suite: un groupe pour le Sénégal et un groupe pour le Cap des Palmes. 215 Au départ, de Bordeaux, le 13 septembre 1843, l'escale du Gabon n'était pas prévue.

Lorsque l'année suivante, le 1er mars 1844, Mgr Barron arriva au Cap des Palmes, pour visiter le second groupe, il annonça aux missionnaires les nouvelles dispositions prises entre le Père Libermann et le ministère de la Marine:

‘« […] il est réglé que les missionnaires iront sur les Comptoirs français […] Il y en a trois auxquels on s'est fixé: A Assinie […] Au (sic) Grand Bassam […] et au Gabon. » 216

Le ministère de la Marine, de son côté, informa aussi son représentant sur le terrain, Bouët Willaumez sur sa « […] Bonne et sage politique de faire arriver le plutôt possible dans le pays quelques religieux des deux sexes, bien choisis, patients et persévérants. » 217 Selon les termes de l'accord, le transport, le logement et la restauration des missionnaires devaient être pris en charge par la Marine.

De ce fait, Bouët Willaumez prit les dispositions pour transporter et accueillir les missionnaires au Fort d'Aumale, dans l'Estuaire du Como, où était installé depuis 1843 une garnison de la Marine pour surveiller les côtes et le commerce.

Nous savons déjà (voir le début du chapitre) que l'équipe des missionnaires qui était partie de Bordeaux, le 13 septembre 1843, avait été disséminée, par la maladie, la mort et les démissions. 218 En août 1844, il ne restait plus que le Père Bessieux et le Frère Jean au Cap des Palmes. Ils embarquèrent à bord du Zèbre 219 qui se rendait au Gabon avant de rejoindre la France. Les deux missionnaires profitèrent du passage de ce bateau de la Marine. Mais le Frère Jean gravement malade mourut en mer avant, même, d'atteindre Grand Bassam. A cette escale, les marins furent obligés de charger le Frère Grégoire, tellement épuisé et seul survivant de ce poste.

La joie des retrouvailles entre Bessieux et Grégoire fut certainement affectée par la désolation de découvrir qu'ils étaient les seuls survivants de l'aventure missionnaire entamée en septembre1843. Malheureusement, nul ne sait ce que Bessieux et Grégoire s'étaient dits. Moins encore, ce que les deux missionnaires et les marins avaient conclu sur le navire. Les sources missionnaires sont muettes sur ce voyage jusqu'au Gabon. Tout comme elles le sont sur les premiers jours passés au Fort d'Aumale. Les correspondances du Père Bessieux, entre août 1844 et mars 1845, ne parvinrent jamais à ses supérieurs. A tel point qu'on crut qu'ils étaient décédés. Quant aux sources du ministère de la Marine, elles ne disent pas grand chose sur ce qui était un " voyage de vérification" des Côtes tout simplement.

Peut être que ce sont les marins qui ont convaincu Bessieux et Grégoire Sey de descendre au Gabon. Il faut rappeler que quelques temps auparavant Mgr Barron était au Gabon et avait dû s'entretenir avec le responsable de la Marine du Fort d'Aumale pour accueillir les missionnaires.

Notes
209.

Prêtre gabonais: il fait partie des premiers prêtres de nationalité Gabonaise à soutenir une thèse. Il a un doctorat en théologie, une maîtrise en Histoire, des certificats en latin et italien. Il a été formé à Rome. Ordonné en 1969, il servit d'abord dans l'enseignement catholique dont il a été Directeur au début des années 1980. Longtemps curé de la cathédrale Sainte-Marie jusqu'en 1994, il a été Vicaire général de l'archevêque de Libreville et premier recteur du premier Grand Séminaire National du Gabon en 1994.

210.

Témoignage oral, l'abbé Jean Pierre Elelaghe Nze, entretien du 14 de mai 1998 à Libreville.

211.

DOCATGAB, Affermis tes frères dans la foi, CEG, février 1982 « Aperçu sur l'Histoire de l'Eglise catholique au Gabon » pp. 30-33.

212.

Cette trilogie est à notre sens le symbole de l'entente stratégique et idéologique des missionnaires et de la Marine avant leur arrivée au Gabon. Elle a toujours guidé les deux acteurs.

213.

DOCATGAB, Affermis tes frères dans la foi, CEG, février 1982. Témoignage oraux : Abbés Mboumba Bouassa et Elelaghe Nze, entretiens sur la naissance du catholicisme au Gabon, 28 avril et 14 mai 1998.

214.

Dans ces ouvrages et lors de nos différents entretiens, le Père Morel attribue l'arrivée des missionnaires au Gabon aux causes religieuses:" la foi, la providence, des missionnaires qui portent leur croix..."

215.

DOCATGAB, Gérard Morel, Naissance d'une Eglise, 1994

216.

Déjà cité Archives OPM, 183\ 11878, Lettre du Père Libermann au Conseil de la Propagande de la Foi

217.

Lettre du ministre de la Marine à Bouët Willaumez, du 31 octobre 1843. Cité par la CEG in Affermis tes Frères dans la foi, février 1982

218.

DOCATGAB, Gérard Morel, Naissance d'une Eglise, 1994. Selon cet auteur, qui cite une lettre du Père Bessieux datant du 9 mai 1845 (Archives CSSP, Boîte 148): Après l'annonce faite par Mgr Barron, en mars 1844, sur les changements de destination, le Père Bessieux prit la responsabilité de nommer " le Père Audebert supérieur, le Père Laval son premier assistant et le Père Maurice, les Frères Grégoire et André" pour aller servir au Gabon. Le Père Bessieux n'était pas prévu pour le Gabon. Il devait rester au poste du Cap des Palmes. La mort et le rapatriement de ces confrères lui firent changer d'avis et décida au dernier moment avec le Frère Jean d'aller au Gabon. Seul un père, Jean Rémi Bessieux, et un Frère, Grégoire Sey, arrivèrent au Gabon à bord du Zèbre. Le Père Gérard Morel parle, pour cette arrivée, " d'une providence divine ". Car rien ne prédisposait les missionnaires à débarquer au Gabon. Au Cap des Palmes et Assinie les missionnaires attendirent très longtemps avant d'avoir un moyen de transport de la Marine pour le Gabon. L'attente fut tellement longue (de mars à août 1844) qu'aucun des missionnaires désignés pour le Gabon ne parvint à but

219.

Un Navire de la Marine