● Les faits historiques.

Les faits sur, les tenants, les aboutissants et, le déroulement de l'affaire de l'échange du Gabon contre le comptoir britannique de la Gambie sont assez connus grâce à la diversité des sources 241 . Que se passa-t-il?

Cette affaire débuta en 1869, sous le Second Empire, et non en 1871 comme on l’écrit souvent. Cette année là, l'Angleterre voulut déjà échanger la Gambie, possession britannique, contre la Mellacorée, rivière en bordure du Sierra Leone sur le territoire de la Guinée actuelle. La Mellacorée étant jugée de peu d'importance, les Anglais voulaient que les Français y ajoutent le Gabon.

Les rumeurs de cet échange se répandirent aussitôt dans le milieu missionnaire au Gabon et en Gambie, comme en témoignent les extraits de lettres publiées dans le Bulletin Général de la Congrégation du Saint-Esprit, 242 Les missionnaires du Gabon se montrèrent vivement opposés à la réalisation de ce projet et ils comptaient sur le bon sens du Gouvernement français pour le faire échouer. Le Père Le Berre, supérieur de la mission Sainte-Marie, écrit à ce sujet " Nous préférons rester français. " 243

En 1870, le Gouvernement français ne resta pas insensible à la proposition de l'Angleterre. Les Archives précisent, dans une note de la Direction de la Marine du 20 juin 1870, que, le 31 mars 1870, le ministre de la Marine, après avoir entendu l'amiral Bourgois - qui allait prendre la direction de la division navale de l'Atlantique-Sud - lui demanda d'étudier, du point de vue militaire, la question de l'abandon total ou partiel de l'administration et du poste militaire existant au Gabon. Mais au même moment la guerre franco-allemande 244 suspendit le projet officiellement, du côté français.

Après la guerre, si le dernier ministre de la Marine du Second Empire demanda, dès le mois de mars 1870, d'étudier la question de l'abandon total ou partiel du Gabon, il revint à la jeune République d'ordonner les mesures à prendre.

En 1871, la France appauvrie cherche à faire des économies et se décide à revoir son projet d'abandon du Gabon. Le 21 avril, l'Amiral Bourgois écrit au nouveau ministre de la Marine de la nouvelle République pour faire le point de sa mission qui était « …d'apporter dans l'administration toute l'économie possible pour suppression du Service Colonial. […] ce qui est en cours d'exécution » 245 précisa par la suite l'amiral.

En effet, l'Amiral Bourgois maintint la base militaire et rapatria tout le personnel du service Colonial, qui n'eut pas besoin d'être remplacé puisque, de l'aveu de l'amiral, tous les services faisaient double emploi au Gabon. C'était donc une sérieuse économie, mais il ne proposa pas ouvertement l'abandon du Comptoir. Cette évacuation est confirmée, vaguement, par les missionnaires qui précisent, dans leur journal de la communauté de Sainte-Marie, que, " le Loiret prend tous les soldats noirs et blancs ainsi que M. l'Ordonnateur pour Saint-Louis. " 246

A la différence de certains autres comptoirs comme Assinie et Grand Bassam où tout le personnel du service Colonial avait été évacué. Faute de personnel appartenant à la Marine, on confia à un simple commerçant français le soin de maintenir les droits de la France en gardant un pavillon national. Il prit le titre de Résident et le Comptoir du Gabon fut, partiellement vidé de son personnel administratif.

En 1872, l'Amiral Bourgois fut remplacé par l'amiral Du Quilio à la tête de la Division navale de l'Atlantique-Sud. Ce dernier arriva au Gabon le 1er septembre 1872 et c'est l'année suivante que l'idée d'abandon du Gabon redevint plus sérieuse. On lit dans le Rapport au Président de la République française, du 13 août 1873, fait par le Ministère de la Marine et des Colonies 247 :

‘«  La situation qui pèse sur nos finances impose à tous nos services le devoir de réduire aux chiffre les plus stricts les sacrifices qu'ils occasionnent au pays. Ces nécessités se font sentir également sur notre politique coloniale et nous obligent à limiter nos dépenses aux seuls points où notre pavillon peut flotter avec honneur et au profit de la France. C'est cette préoccupation qui a conduit notre département, en janvier 1871 à abandonner nos établissements de la Côte d'Or et, plus récemment, à ramener à des limites étroites les frais d'entretien de notre comptoir du Gabon » 248

Le problème fut effectivement de trouver le résident qui devait garder le pavillon. Or, au Gabon, il n'y avait que deux maisons françaises établies à Libreville, et ni l'un ni l'autre ne pouvait dignement représenter la France. C'est à ce moment que surgit la proposition du Directeur des Colonies au Ministère de la Marine, Benoist d'Azy, qui communiqua officiellement au Père Provincial de Paris, le 16 juillet 1873, la préférence des missionnaires pour leur confier la représentation de la France au Gabon, ce qui permettait de réduire ses dépenses et de rappeler tout le personnel du Gabon, marins et employés. Dans une Note à son ministre en août 1873 Benoist d'Azy confirma ce choix:

‘« Nous n'avons pas au Gabon d'autre intérêt réel et sérieux que la Mission Française. Les Pères du saint-Esprit, et Mgr Bessieux à leur tête, ont consacré à la civilisation des indigènes d'admirables efforts […] mais leur dévouement, il faut le dire n'a été qu'imparfaitement récompensé. [ …] Nous pouvons leur abandonner l'usage des bâtiments de la colonie […] Nous pouvons enfin donner au supérieur le droit d'arborer le pavillon et le titre de Résident […] Si le Ministre veut bien approuver cette résolution, des ordres seront données en conséquences à M. le Commandant en chef de la Division navale de l'Atlantique-Sud charger de pourvoir l'évacuation du Gabon et de prendre les mesures nécessaires pour la conservation de nos droits dans ce pays. » 249

Il y eut des sceptiques face à la proposition du Directeur des Colonies, aussi bien dans l'administration coloniale métropolitaine que chez les missionnaires.

A la maison mère des spiritains, on ne croyait guère la chose acceptable tandis que les missionnaires sur place au Gabon trouvèrent qu'il s'agissait là d'une source de désagréments sans profit réel. En réalité, les missionnaires du Gabon ne voyait pas d'un bon œil le désengagement du gouvernement car il s'agissait d'une perte des subsides et qu'il fallait compenser. Cette inquiétude fut apaisée par M. d'Azy qui promit au Supérieur Général d'intercéder de son pouvoir auprès du Conseil de la Propagation de la Foi dont il était membre, pour obtenir en faveur de la Mission du Gabon une augmentation des secours. D'après les missionnaires, le Directeur des Colonies fit toutes ces promesses parce qu'il était, malgré lui, favorable à l'évacuation du Gabon.

En 1873, un certain Bouvier s'opposa aussi à l'exécution de ce projet d'abandon du Gabon. Membre de la Société de Géographie de Paris, voyageur et naturaliste, il défendit sa position auprès de sa Société grâce aux lettres intéressantes d’Alfred Marche et du Marquis de Compiègne deux explorateurs du Gabon. Il montra, à travers leurs récits, combien l'abandon de ce comptoir pouvait être un coup désastreux pour l'influence de la France sur cette côte. Bouvier fit d'incessantes médiations auprès du Ministère de la marine et des Colonies pour obtenir l'abandon de ce projet. Les efforts de Bouvier furent récompensés, car dans une correspondance, du Ministère de la Marine et des Colonies à l'Amiral, Chef de la Division navale des Côtes Occidentales d'Afrique, datant du 18 octobre 1873, le Ministre reconnut que: " L'examen auquel a été soumis la questions de l'évacuation du Gabon, conseillée par d'impérieuses nécessités budgétaires, a conduit à reconnaître qu'il y a lieu de maintenir, quant à présent, le statu quo. " 250

La question de l'abandon du Gabon ne fut pas seulement une affaire du Ministère de la Marine et des Colonies. Celui du commerce eut aussi son mot à dire car le poste du Gabon était un comptoir commercial sous protection de la Marine. C'est pourquoi, devant le statu quo imposé par le Ministère de la Marine et des Colonies, le Ministère du commerce, dans une Note adressée, le 31 octobre 1873, à la Direction des Colonies, demanda une décision , et dans le cas contraire, la durée définitive de ce statu quo.

Ce statu quo fut, finalement, maintenu pendant plus d'un an sous la pression des missionnaires. La France se relevant de sa défaite abandonna l'idée d'échanger le Gabon. D'autre part, l'équipe du nouveau ministre de la Marine et des colonies fut remplacée par une autre qui s'engagea sur la voie de l'expansion coloniale. Le 22 avril 1875, le Contre-Amiral Ribour arriva à Libreville à bord de la Frégate la Vénus. Au cours de la visite que lui rendit Mgr Bessieux, il lui déclara qu’il n’était nullement question d’abandon car Libreville était le point le mieux situé de la côte et que le port étai magnifique. Les Pères Le Berre et Barrillec eurent une réponse quasi similaire de la part du chef du premier Bureau des colonies un certains Roy. 251

Notes
241.

Nous avons recensé pour cette affaire les ouvrages suivantes: l'Histoire militaire de l'A.EF, publiée par les Armées Françaises d'Outre-Mer en 1931, aux Presses de l' Imprimerie Nationale. Le Sénégal de Beslier (G), l'Histoire succinte de l'Afrique Française par René Delhaise, L'ouvrage la Congrégation du Saint-Esprit de G. Goyau, collection les << les Ordres Religieux >>, dans l'ouvrage du Père Gauthier et de l'Abbé Raponda Walker l'Histoire des Pongoués, voir aussi Vie de Monseigneur Bessieux de l'abbé Granier publié en 1912, sans oublier le livre du Père Roques, Monseigneur Bessieux << pionnier du Gabon>>.

En ce qui concerne les sources d'archives, il y a les Archives CSSP, Boîte 351, Dossier A et le Fonds Pouchet, Boîte 1002 Dossier B. En ce qui concerne les autres sources imprimées on peut se référer au Bulletin Général de la Congrégation du Saint-Esprit, Les Tomes VIII et IX, les N° de Missions Catholiques 1873(P.568), 1874(P.18), et 1875(P. 382).

242.

DOCSSP, Bulletin Général de la Congrégation du Saint-Esprit Tome VII en pages 525 et 532

243.

DOCSSP, Bulletin Général, tome VII, P. 532, Lettres du 20 janvier et 17 février

244.

Du 2 août 1868 au 22 janvier 1871.

245.

Archives CSSP, Boîte 351, Dossier A, Chemise 2. Père Leperdriel " Colonisation et Evangélisation au Gabon"

246.

Archives CSSP, Journal de la communauté Sainte-Marie, le 26 avril 187l.

247.

Archives CSSP, Boîte 351, Dossier A, Chemise 2. Père Leperdriel, Id & Ibid.

248.

CAOM, Rapport du Vice Amiral d'Hornoy, Ministre de la Marine et des Colonies

249.

CAOM, Extrait de la note de Benoist d'Azy, Directeur au Ministre de la Marine et des Colonies, août 1873

250.

CAOM, Lettre du Ministre de la Marine et des Colonies du 18 octobre 1873.

251.

Archives CSSP, Boîte 351, Dossier A, Chemise 2. Père Leperdriel " Colonisation et Evangélisation au Gabon"