● Essai d'interprétation de la participation des missionnaires dans l'affaire.

La participation des missionnaires du Gabon à la lutte pour empêcher d'échanger le Gabon est indéniable. En effet, très tôt, alors que l'affaire n'avait pas encore pris une dimension politique, dès 1869, les missionnaires s'insurgeaient déjà contre l'attitude des autorités métropolitaine. Les missionnaires contribuèrent grandement à mettre ce projet au grand jour pour mieux le combattre. De nombreux faits, dont les missionnaires plus tard contestèrent la chronologie montrent à suffisance la détermination des missionnaires à rester au Gabon.

Tout d'abord, lors de cette affaire, la détermination de Mgr Bessieux semble attester. Sa position est relatée dans l'Histoire militaire de l'AEF, publiée en 1931 par les Armées Française d'Outre-Mer en ces termes :

«  La seule conséquence des épreuves de 1870 fut la décision prise par le gouvernement français (…) d'abandonner en 1871 la colonie du Gabon (…) l'amiral du Quilio (…) chargé du repliement du personnel; offrit à Mgr Bessieux (…) de le rapatrier (…). Très fermement, Mgr Bessieux refusa de s'embarquer: << Nous sommes ici à une porte qui s'ouvrira tôt ou tard sur un immense continent. Nous attendrons. Si vous partez Amiral, comptez sur nous pour maintenir haut et ferme le drapeau de la France » 252

La paternité de ces propos est contestée par certains missionnaires comme le Père Leperdriel qui estiment que Mgr Bessieux n'a pas été capable les tenir. Anachroniques, ils lui auraient été attribués par son second successeur Mgr Leroy, puis véhiculés par la tradition orale. Une chose est cependant sûre : à partir se 1871, les missionnaires jouent un rôle prépondérant dans l'affaire, ils sont même pressentis pour représenter la France en cas d'évacuation de la colonie du Gabon. Ils sont au centre des pourparlers qui s'engagent aussi bien en France qu'au Gabon. La place de choix qui leur est réservée prouve à suffisance leur intérêt et les moyens de pression dont ils disposent.

Par cette affaire, l'Eglise catholique au Gabon s’affirma comme un acteur incontournable dans les décisions de la vie politique du Gabon. Des audiences sont accordées aux missionnaires, on les visite, ils contribuent au maintien du Statu quo: l'Eglise s'affirme aussi comme un acteur dans la construction de l’Etat gabonais.

Il est également vrai que l'idée d'abandonner le Gabon a été surtout une affaire politico- politicienne. Mais on ne peut occulter la détermination de ceux qui, sans être des missionnaires, ont soutenu leur point de vue. C'est le cas des explorateurs, géographes et botanistes, qui collaboraient avec les missionnaires du Gabon et qui en métropole défendirent leur position. A leurs yeux les missionnaires apaisaient l'hostilité des peuples indigènes. Il s'agissait en fait pour les explorateurs d'un échange de services qui confirme la convergence d’intérêts.

Malgré les protestations du Père Leperdriel, le projet d'échange du Gabon ouvre une fenêtre sur l'Histoire politique et religieuse du Gabon, celle qui met en scène les liens entre évangélisation et colonisation. Quelle que soit l’intention des missionnaires, leur resistance a constitué un argument majeur pour l’abandon du projet. Le Ministère de la Marine et des Colonies était bien décidé à abandonner le Gabon mais vu l'obstination des missionnaires il fut obligé de revoir sa position.

Le Ministère de la Marine et des Colonies visiblement répugnait à décider rapatriement des missionnaires. Cet embarras fit durer le statu quo, au point que, quand la France se releva de ses difficultés après la Guerre, elle n'hésita pas à remercier les missionnaires du Gabon. Le 15 mai 1875, le Contre-Amiral Ribour, au moment de son départ, fit savoir au Père Le Berre que le projet d'échange du Gabon était " heureusement abandonné ". Il envoya une lettre à Mgr Bessieux, donc à tous les missionnaires, dans laquelle il reconnaît le rôle joué par les missionnaires dans cette affaire:

‘« (… ) J'encouragerai de tous mes efforts la colonie naissante que la France doit à votre généreux dévouement, ainsi qu'a celui des vaillants missionnaires qui vous entourent. » 253

Si les marques de reconnaissances sont nombreuses, c'est que les missionnaires avaient effectivement joué un rôle. Il en faisait les partenaires de l'administration. Nous pensons que cette affaire a été jusqu’ici banalisé par les missionnaires historiens comme le Père Leperdiel pour éviter certainement que les missionnaires soient accusés d’avoir été les colonisteurs.

Notes
252.

l'Histoire militaire de l'AEF, 1931. Op. Cit. P. 25

253.

DOCSSP, Bulletin Général tome X, P. 674.