 Les difficultés au moment de la fin institutionnelle de la Mission du Gabon

Les difficultés de la Mission du Gabon dans les années 1950 sont internes et externes. Elles sont liées au manque de ressources internes et aux relations entre l'évêque et son clergé. Au même moment apparut aussi un phénomène nouveau, celui des "prophètes" qui diffusaient des messages anti-chrétiens.

Entre 1945 et 1960, beaucoup de missions du Gabon n'avaient pas de ressources locales à cause de la disparition de l'œuvre agricole qui permettait de subvenir à certains besoins financiers des missions. Le Rapport du Révérend Père Moysan à l'issue de sa visite effectuée au Gabon du 6 mars au 8 avril 1953 confirme ces difficultés. Ce rapport précise que plusieurs missions comptaient maintenant sur le Vicariat pour vivre 297 .

La principale charge financière des missions du Gabon après 1945 venait des salaires des instituteurs et moniteurs de l'enseignement catholique. Ce qui sauvait les missions du Gabon c'est que la subvention du gouvernement, bien plus forte qu'au Moyen-Congo, permettait aux missionnaires du Gabon d'allouer un petit salaire à certains instituteurs 298 , et à la Mission elle-même de financer certains besoins. Les charges pastorales devenaient aussi très lourdes. La principale était le déplacement des missionnaires.

En 1955, par exemple les déplacements coûtaient 1.200.000 francs au diocèse pour s'élever à 2.500.000 en 1959, soit le double en mois de cinq ans 299 . Cette charge, incontournable, ralentissait considérablement le travail des missionnaires qui ne pouvaient plus visiter régulièrement toutes les stations et chapelles.

Les rapports entre le Vicaire apostolique et son clergé, et même entre missionnaires constituaient une difficulté en ce sens qu’il y avait, au début des années 1950 et même jusqu'à son départ en 1969, une crise grave d'autorité et un manque général de soumission. Mgr Jean Jérôme Adam était arrivé à Libreville en 1947 sans que personne s'y attende.

Certains, qui espéraient un autre évêque, furent déconcertés et s’installèrent spontanément dans une sorte d’opposition car la politique apostolique de Mgr Adam frisait la démagogie. Cette crise et ce manque d'autorité étaient aussi liés à la nature de Mgr Adam 300 . A la fin des années 1950 également les sœurs revendiquaient de plus en plus leur indépendance vis-à-vis des pères, déclarant parfois qu’elles ne voulaient plus être leurs servantes 301 .

Un autre type de difficultés provenait des nouvelles réalités sociales du pays. Le Rapport Moysan en 1953 attribue ces problèmes à l'évolution des noirs et aux migrations intérieures constantes. Parmi les autres difficultés extérieures, le Rapport quinquennal de 1960 signale la présence des Francs-maçons non plus seulement chez les étrangers, mais aussi chez quelques personnages officiels du Gabon. Introduite au Gabon au début du XXè siècle, précisément en 1904, par le personnel de l'administration coloniale 302 , la Franc-maçonnerie s'est surtout développée au Gabon à partir de 1945 avec l'appui des colons privés, notamment les forestiers qui recrutaient les premiers noirs. A la fin de l’année 1950, la Mission s'inquiétait de l'essor de la maçonnerie que certains missionnaires européens (surtout des Français) considéraient comme opposée à l'œuvre scolaire et missionnaire en général. Mais aucun document ne montre les velléités des Francs-maçons du Gabon de mettre un terme à la Mission dans ce pays 303 . Au contraire ils vivaient dans une forme de coexistence pacifique.

La fin institutionnelle de la Mission au Gabon, dans les années 1950, a été aussi marquée par un retour aux sociétés secrètes. Dans certaines régions du Gabon comme l'Estuaire et le Woleu-Ntem des éléments troubles utilisaient les anciennes sociétés secrètes des " féticheurs" en les transformant pour prêcher la libération temporelle et spirituelle de l'Homme 304 .

C'est ainsi que l'ancienne société initiatique du « Bwiti » était devenue, chez les Fang, surtout de la région de l'Estuaire, une secte religieuse, imitant la religion catholique, gardant les éléments du paganisme 305 et ayant des buts uniquement politiques d'après les missionnaires 306 . Le Père Morel témoigne même qu'en 1954, les « Bwitistes » de Libreville voulaient venir célébrer « une messe pontificale » dans leur rite à la cathédrale Sainte Marie 307 .

Pour attirer à nouveau les indigènes gabonais dans les religions traditionnelles, de nouveaux prophètes apparurent dans les années 1950. Ces prophètes cherchaient à démolir les vieux fétiches pour leur substituer les nouveaux. Ils terrorisaient la population par leurs menaces et extorquaient des sommes d'argent aux individus trop crédules. D'après les missionnaires qui ne manquaient pas de se plaindre auprès de l'administration, les chefs partageaient les bénéfices avec les organisateurs de ces razzias 308 .

Dans le Woleu-Ntem, par exemple, et « on ne sait d'où ils venaient 309  », avait circulé de village en village le fétiche « Mademoiselle, Minbara et Ndendé ». D'après les missionnaires un certain nombre de chrétiens s'étaient laissés entraîner par crainte d’une malédiction par les esprits des ancêtres 310 .

Des questions restent, tout de même, en suspens. Qui commanditait ces tournées? Et à quoi servaient-t-elles? Pourquoi l'administration laissait-elle faire ces prophètes?

Du point de vue missionnaire, les hommes politiques locaux (les Français) et indigènes appuyés par des étrangers (les métropolitains) devaient être derrière ces agissements, mais rien ne le prouve. Une chose est sûre, ce retour au « paganisme » avait coïncidé avec la fin de la Mission. Ces féticheurs n'ont peut être pas précipitée la fin de la Mission mais ils ont contribué à l'éveil des Gabonais qui pouvaient être tentés de rejeter l'ordre religieux établi par les missionnaires.

La fin institutionnelle de la Mission au Gabon en 1958 marque l'aboutissement d'une époque marquée par l'œuvre des spiritains dans ce pays. Elle constitua aussi un nouveau départ, celui du « catholicisme gabonais », par le biais des Eglises diocésaines considérées plus aptes à mener à bien son évolution.

Notes
297.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport général de la visite du R.P. Moysan au Gabon en 1953

298.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport général de la visite du R.P. Moysan au Gabon en 1953

299.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapports annuels de 1955 et 1959. Cf. aussi témoignage du Père Sillard, entretiens de février et mars 2000 à Chevilly-Larue.

300.

Archives CSSP, Rapport du Père Moysan , 1953, Id & Ibid.

301.

Archives CSSP, Rapport du Père Moysan , 1953. Cf. aussi Témoignage oral du Père Sillard entretiens de 2000 à Chevilly.

302.

Odo Georges, les réseaux coloniaux ou la << magie des Blancs>> dans L'histoire N° spécial: Les Francs-maçons. Les origines, les archives, les réseaux politiques, le mythe du complot. N° 256 juillet-août 2001.

303.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport quinquennal de 1960

304.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport quinquennal de 1955

305.

Une étude a été consacrée au Bouiti du Gabon par André Mary, Le défi du Syncrétisme,

306.

Nous en parlons dans les chapitres qui suivent à propos de Léon Mba qui étaient soutenu par les bouitistes surtout à Libreville.

307.

Témoignage oral du Père Morel, Entretien du 28 novembre 2001 à Libreville

308.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Lettre du Vicaire Apostolique de Libreville au Conseil de la Propagande de la foi, 11 septembre 1956.

309.

Témoignage oral, Entretiens collectifs avec des personnes qui sont nées avant 1945. D'après ces informateurs les populations du Woleu Ntem, qui ont subi la visite de ces fétiches, ne savent pas d'ou venaient ces gens. D'autres, une minorité affirme qu'il ne s'agissait pas de Blancs mais des Noirs qui n'étaient pas des Gabonais. D'autres encore disent que le fétiche "N’déndé" par exemple venait de l'Ogooué Ivindo. Enquête de terrain à Oyem, septembre 2000.

310.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport quinquennal de 1960