2-Les mutations et l’évolution du personnel religieux de 1945 à 1969

Entre 1945 et 1969, le personnel religieux 334 a connu des transformations indéniables au Gabon. Il est passé d'un personnel totalement missionnaire, avec deux grands groupes: le clergé indigènes et le clergé missionnaire européen en majorité français, à un clergé d'Eglise diocésaine: composé d'un clergé diocésain gabonais et un clergé étranger fortement missionnaire issues de plusieurs congrégations et des clercs prêtés par d'autres diocèses ou des pères"Fidei donum" 335 .

Le tableau suivant permet d’apprécier l’évolution quantitative du personnel religieux missionnaire étranger, et Fidei donum entre 1945 et 1969, toutes congrégations confondues après 1958.

Tableau 8: le personnel religieux étranger au Gabon de 1945 à 1970
Année Prêtres Frères soeurs Total
1945 25 19 28 72
1950 43 22 34 99
1955 53 26 43 122
1960 57 34 60 151
1965 71 38 76 185
1969 76 35 92 203

Source : DOCOPM, Annuaires de l’Eglise catholique

De 1945 à 1969, le personnel religieux étranger avait doublé. On peut constater qu’il a surtout évolué après 1955 alors que la fin de la Mission avait été proclamée en 1958. Ce qui constitue à première vue un paradoxe 336 . Pour assister le clergé local, qui devait normalement assurer la charge de son Eglise, le personnel missionnaire était plus nombreux.

Cette augmentation du personnel religieux reposait sur deux aspects : l’insuffisance du clergé local à cause du manque de vocations ; la volonté des évêques (Adam et de la Moureyre) d’assurer définitivement l’évangélisation du Gabon, au sens missionnaire du terme. Malgré un recrutement précaire et une diminution des entrées dans les Grands séminaires missionnaires en Europe, le Gabon constituait à la fin institutionnelle de la Mission en 1958, une destination privilégiée.

En effet, affirme Claude Prudhomme : « Si les effectifs missionnaires atteignent des sommets autour de 1960, c’est grâce aux mécanismes de compensation de l’après-guerre, car le nombre de scolastiques régresse, notamment en Allemagne et en France, bases traditionnelles de la congrégation [du Saint-Esprit]  337 ». La stabilité relative du Gabon, à la veille et après l’indépendance, comparativement à la Guinée, au Congo, au Zaïre, ainsi que le léger retard accusé dans l’évangélisation moderne du pays, ne sont sans doute pas totalement étrangers à cette arrivée du personnel religieux étranger.

Une autre analyse 338 , en rapport avec la situation politique et économique actuelle du Gabon par rapport à la France, suggère que les évêques missionnaires ont « volontairement ou involontairement » encouragé l’arrivée de nombreux missionnaires après la fin de la Mission en 1958 pour « garder le peuple gabonais dans un certain état d’esprit ».

Sans nier l’insuffisance du clergé local et le manque de préparation de celui-ci à assumer les responsabilités au sein de l’Eglise, certains Gabonais pensent que cet appel à l’extérieur s’inscrit dans une tradition. De la même manière que la Marine accepta l’arrivée des missionnaires, en 1844, pour contrôler les indigènes conformément à la théorie des trois « C » 339 , la France, consciente de l’importance du Gabon dans sa politique post coloniale, et de sa situation économique 340 encouragea (pour certains) ou accepta (pour d’autres) la présence d’un personnel religieux étranger au sein de la jeune Eglise, à partir de 1959, afin de pérenniser l’esprit missionnaire dans les mentalités des chrétiens. Il ne faut pas oublier que, dans l’ensemble, les chrétiens vouaient un grand respect, frisant la crainte, aux missionnaires européens.

Tout cela a aussi été rendu possible par le lourd héritage juridique et institutionnel légué par la France. En effet le principe de la séparation de l’Etat et des Eglises, l’idée d’une République laïque furent repris dans la constitution gabonaise de 1958 avec l’acord de l’Eglise, du moins la hiérarchie. Ce principe et cette idée permettaient au Gadon de maintenir la masse des chrétiens loin des revendications politiques, économiques voir sociale.

Sur un plan purement interne, on ne peut pas affirmer que cette évolution était principalemnt liée à l’arrivée des prêtres venus à la suite de l’encylique Fidei donum dans la mesure ou il est assez difficile de connaître leur nombre exact 341 . Le Rapport quinquennal de 1970, l’Archevêque de Libreville donne le chiffre de cinq Pères Fidéi donum dans son diocèse. L’évolution quantitative du personnel religieux étranger au Gabon s’explique le polus souvent par l’arrivée et l’installation d’autres congrégations.

Notes
334.

Il y avait les Européens et les Gabonais. Parmi les Européens il y avait les Pères du Saint Esprit, les sœurs de l'Immaculée, les Frères de Saint Gabriel. Chez les Gabonais il y avait les abbés indigènes, les petites sœurs de Sainte Marie et les Frères de Saint Joseph. A ce personnel installé avant 1945 était venu s'ajouté entre 1945 et 1969, à la demande des évêques missionnaires de l'archidiocèse de Libreville et du diocèse de Mouila, un autre personnel issu des congrégations religieuses étrangères européennes

335.

Du titre de l’Encyclique du Pape Pie XII publié en 1957. L’un des aspects novateurs du pontificat de Pie XII a eu des répercussions sur les Missions non seulement, l’introduction des langues nationales dans les rituels des sacrements. Mais il eut aussi un double souci d’accélérer la constitution des Eglises indigènes dirigées par leurs propres évêques, et d’aider néanmoins ces Eglises par le détachement auprès d’elles de prêtres diocésains des pays chrétiens. Cf. THEO, Nouvelle encyclopédie catholique, Droguet-Ardant /Fayard, Paris 1989. Op. Cit. p. 496.

336.

Au regard des publications pontificales Maximun illud en 1919 dans laquelle, Benoît XV, après avoir dissocier l’œuvre missionnaire et les intérêts nationaux, insista sur la nécessité d’établir des épiscopats autochtones et il donna pour objectif aux missions la constitution d’Eglises pleinement majeure. Il y a aussi les Encycliques Rerum ecclesiae de Pie XI en 1926 « les misions étrangères ont vocation de devenir les jeunes Eglises » et Fidei donum de Pie XII en 1957). Au regard aussi des recommandations de la congrégation du Saint-Esprit cela laissait apparaître une volonté d’affranchissement et de désengagement pour laisser la place aux autochtones.

337.

Claude Prudhomme, « Crise ou mutation de la Mission », Ibid

338.

Elle est inspirée des entretiens individuels et collectifs que nous avons eu avec certains « intellectuels » Gabonais. Enquêtes de terrain au Gabon : novembre-décembre 2001, septembre-octobre-novembre 2002, avril-mai-juin 2004.

Il s’agit beaucoup plus d’un point de vue car ils ne donnent pas beaucoup d’éléments pour montrer que les missionnaires voulaient toujours les tenir loin des revendications et de la protestation, si ce n’est l’attitude et les paroles de ces derniers qui appelaient sans cesse à la prudence, à la réserve par rapport « aux choses du monde » mais à une vie plus collée à l’Evangile : la conversion, le rejet du péché, l’assiduité aux sacrements. Ces témoignages posent, en revanche, le problème du type de formation dispensée par les missionnaires au Gabon entre 1945 et 1969.

339.

Civilisation, commerce et christianisation

340.

Cf. articles de revues et périodiques traitant de la situation économique et sociale du Gabon : Exemple Marché tropicaux Europe France Outre-mer. Avant et après l’indépendance, la situation économique du Gabon augurait des lendemains meilleurs avec l’exploitation du bois, du manganèse, de l’Uranium et du Pétrole. De fait le Gabon était devenu « la chasse gardée de la France ». L’idée d’un soulèvement ou une contestation de la population était hors de question. La France était plus favorable à une stabilité au Gabon dans les années 1960. D’aucun affirme que pour se hisser au rang de puissance nucléaire, elle avait besoin de l’Uranium du Gabon.

341.

Les Rapports diocésains à partir de 1958 n’insistent pas sur le nombre des Pères Fidei donum. Si les évêques évoquent leur présence, ils les assimilent au personnel religieux missionnaire issue des congrégations.