La vie dans les missions puis les paroisses urbaines et rurales au Gabon entre 1945 et 1969 était influencée par celle d'une société gabonaise, dans l'ensemble, en rapide mutation. En milieu urbainil était difficile de mener chrétienne comme en milieu rural. L'influence des mutations s'exerçait surtout sur la vie familiale que le personnel religieux, en poste dans les différentes missions puis paroisses, voulait améliorer.
Dans les grandes villes comme Libreville et Port-Gentil, entre 1945 et 1969, surtout avant 1960, les hommes étaient plus nombreux que les femmes car peu de débouchés s'offraient à elles. Plusieurs tâches, comme le secrétariat et le ménage, qui leur sont réservées ailleurs, étaient encore exercées à cette époque au Gabon par les hommes. Les hommes arrivaient souvent en ville célibataires ou laissaient leurs femmes au village le temps de trouver une situation stable. Les quelques rares femmes qui habitaient en ville étaient des évoluées qui allaient à l'école.
Cette carence explique le retard accusé par les femmes pour la prise de responsabilité dans les paroisses urbaines après 1958. Les animations liturgiques dans le domaine du chant par exemple étaient presque inexistantes dans ce type de paroisses où les catéchistes étaient en majorité des hommes. De plus, l'intense activité professionnelle en semaine ne permettait pas à plusieurs chrétiens d'avoir plusieurs activités en paroisse 379 .
Dans les missions, puis paroisses rurales, la situation était inversée. Malgré l'éloignement des villages les chrétiens s'adonnaient aux activités paroissiales avec passion, surtout les femmes qui parcouraient des kilomètres pour assister aux grandes cérémonies à la paroisse. Dans chaque village, surtout dans le Nord du pays, existait une sorte de « communauté chrétienne de base » avec un catéchiste qui représentait le prêtre.
Ces communautés chrétiennes, très actives, ne ménageaient aucun effort pour appliquer à la lettre les dispositions des pères. A la différence des paroisses urbaines les activités des paroisses rurales ne variaient pas, le leitmotiv étant toujours l'amélioration de la formation des chrétiens et la conversion se fondait toujours sur la crainte de l'enfer 380 .
L'urbanisation bouleversait, par exemple, les mœurs des chrétiens des paroisses urbaines qui influençaient à leur tour les chrétiens des paroisses rurales 381 . L'évolution des mœurs par exemple entraîna une perversion radicale du système matrimonial.
« La dot », élément de compensation, versé par l'époux à sa belle famille lors du mariage traditionnel avait connu des fortunes diverses, au point de rendre encore plus méfiant le personnel religieux qui la critiquait vivement cette pratique depuis l'arrivée des missionnaires. L'utilisation abusive de l'argent, qui avait ouvert la voie à la spéculation, renforça cette critique. Les conditions de vie et le pouvoir d’achat ayant fait monter le prix de toutes choses 382 , le système de la "dot" avait pratiquement abouti à la vente des filles au plus offrants d'après les missionnaires.
Il fut extrêmement difficile aux jeunes Gabonais qui ne disposaient pas de moyens exceptionnels de réunir la " dot " pour que le mariage puisse être conclu. Par conséquent il devenait difficile de fonder, sur le plan traditionnel, des foyers stables et harmonieux. Un tel état de chose favorisait donc l'union libre et eut quelques répercussions négatives sur la moralité de la famille, ce que le personnel religieux appelait encore " morale publique " 383 .
Face à cette situation la hiérarchie et le personnel religieux constatèrent que les méthodes traditionnelles d'apostolat missionnaire s'avéraient inopérantes. Plusieurs paroisses rurales, à Sindara, Donguila, Ndjolé, Lastourville, dans le Fernand-Vaz, à Sette-Cama, à Mandji, à Mourindi, et dans le Petit Okano, parfois très anciennes et déjà bien installées, avaient vu fondre leurs effectifs émigrés vers les grands centres carrefours voisins comme Libreville, Port-Gentil, Franceville, Mouanda, Mounana, Oyem, Mouila et Lambaréné.
Témoignage oral de Akono David. Entretiens de octobre 1998 à Libreville au quartier Cocotiers
Témoignages de chrétiens sexagénaires vivant dans le Nord du pays dans la province du Woleu-Ntem. La plus part avaient été des catéchistes, Exemple Abessolo Bibang du village Abang Medoumou. Entretiens oraux du mois de septembre 2002 à Oyem.
Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport quinquennaux de 1955 et 1960. Cf. aussi Lettre de l'évêque du Gabon au conseil de la propagande de la foi, le 14 septembre 1955.
Bouchaud (J.), L'Eglise en Afrique noire, Op. Cit. p. 50.
De nos jours les questions familiales relèvent plutôt de la morale privée. Dans les chapitres suivants nous reviendrons sur les questions de morale privée au Gabon.