 L'exode rural et ses conséquences sur la vie religieuse

Le phénomène d'exode rural avait largement contribué à cette concentration des populations dans les nouveaux centres urbains. Ce sont les chrétiens du Centre et du Sud Gabon qui avaient particulièrement été touchés. Il s'agit surtout des chrétiens de la région de la Nyanga, Ngounié et de l'Ogooué-Lolo, venant des groupes ethniques suivants: Punu, Eshiras, Nzebi. Ces chrétiens se concentraient dans la région de l'Estuaire et de l'Ogooué-Maritime sur la côte.

Les chrétiens du Nord Gabon n'avaient pas tellement été touchés par ce phénomène. Tout au contraire ils ont bénéficié du phénomène de regroupement villageois, " Elar Ayong", (regroupement des clans) très en vogue dans la région du Woleu-Ntem après la Seconde Guerre 384 .

Cette concentration, jointe à celle du prestige dont jouissaient déjà les villes par rapport aux villages, explique pourquoi «  un ministère de type rural  385 » fit place à un ministère de caractère plutôt urbain auquel le personnel religieux, majoritairement missionnaire, n'avait pu s'adapter convenablement.

Les relations qui s'établissaient dans les paroisses de ville étaient très différentes de celles qui existaient dans les paroisses rurales, aussi bien du point de vue familial, dans la vie communautaire entre chrétiens, avec le clergé, que dans les relations avec les autorités extérieures dans la conception et l'interprétation des mutations sociales, économiques, politiques, idéologiques et religieuses.

Le personnel religieux et les chrétiens avaient eu du mal à concevoir leur action non plus en fonction du milieu géographique, et des relations ethniques, mais désormais en fonction des relations professionnelles et sociales comme cela s'imposait. Ces changements eurent plusieurs conséquences sur la vie du personnel religieux et des chrétiens dans les paroisses urbaines. Ils étaient obligés, de remettre en question leurs expériences, de réviser leurs méthodes et de renoncer à telle ou telle façon de voir les choses et à certaines habitudes. Ce qui impliquait, surtout chez le personnel religieux d'origine missionnaire, une sorte de «  conversion » dont plusieurs n'était pas toujours capables 386 .

Les chrétiens venus du village étaient désormais en contact étroit avec des gens qui proclamaient une autre forme de foi et d'autres qui n'en professaient aucune. Dans les villes et dans les grands centres, l’atmosphère religieuse, si sensible dans la vie du village, n'existait plus. Les chrétiens de la ville respiraient, de plus en plus l'ambiance matérialiste. Ils étaient confrontés au prosélytisme de nombreux petits commerçants, haoussa et aofiens musulmans dans les quartiers.

L’adapatation des chrétiens venus du village était aussi rendu difficile par les adeptes des religions traditionnelles qui se présentaient en conservateurs d'un certains pouvoir moral et culturel 387 .

Devant ces multiples sollicitations et tentations, les chrétiens étaient désemparés. Plusieurs, venant des missions et paroisses rurales, rompaient tous les liens avec les paroisses urbaines dans lesquelles ils ne connaissaient pas grand monde. Et le personnel religieux missionnaire, insuffisant, débordé par les tâches dans les paroisses même, n'avait plus le temps d'effectuer les tournées dans les quartiers pour « ramener les brebis égarées. »

Notes
384.

La politique de regroupement villageoise a connu des fortunes diverses au Gabon: entre les populations du Sud, réfractaire, en bute à l'exode rural et les populations du Nord, bénéficiant de l'unité linguistique, favorable. Ce projet à fait l'objet d'une étude dont le fervent défenseur Jean Hilaire Aubame a été l'auteur de Renaissance gabonaise: programme de regroupement des villages, Brazzaville, Imprimerie officielle, 1947, 43 p.

385.

On parle aujourd’hui de pastorale.

386.

Témoignages oraux.Entretiens avec les Pères Gilles Sillard, Gérard Morel et Emmanuel François.

387.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Relatio anualis 1954, Lettre de du vicaire apostolique du Gabon du 1er octobre 1954.