 Les tentatives de redressement et les difficultés persistantes

Quelques membres du personnel missionnaire poursuivaient la vieille tradition des visites aux chrétiens 388 même en ville. Mais elles étaient sans grand succès car la journée les quartiers étaient presque vides. La population en majorité ouvrière était au travail. Elle ne rentrait que le soir, seules les femmes, peu nombreuses, restaient à la maison.

Il était donc difficile au personnel religieux de garder le contact avec les chrétiens en dehors du cadre des activités paroissiales. Le soir et la nuit n'étaient pas propices car les ruelles mal éclairées ; pourtant les maisons étaient souvent pleines de personnes qu’il était impossible de rencontrer avant la tombée de la nuit.

L'achèvement de l'implantation géographique de l'Eglise catholique au Gabon par les missionnaires a été assez douloureux. S'il est vrai que le personnel religieux était conscient de ces changements, il ne s'adapta pas aussitôt. 389

Le but essentiel demeurait d'augmenter le nombre de chrétiens mais leur formation restait dérisoire. Le personnel religieux continuait à convertir sans trop se soucier de l’avenir des chrétiens gabonais de plus en plus impliqués dans les événements et la réalité de la nouvelle société.

A la fin des années 1960, la conséquence de cette attitude a été la naissance d’une nouvelle catégorie de chrétiens, dite «  du bout des lèvres 390  ». Ils réclamaient leur appartenance à l'Eglise par l'évocation des souvenirs nostalgiques de l'époque de leur fréquentation à la mission proche de leur village. Le principal problème des catholiques Gabonais devint, après l'indépendance de 1960, la faiblesse d’une conscience individuelle qui était peu affirmée. Du coup le christianisme apparaissait toujours comme une religion importée, c'est - à - dire une religion qui n'intègre pas toutes les dimensions de l'homme telles-que les coutumes et les traditions locales l'enseignaient

Les premières années de l'indépendance avaient fait naître de multiples problèmes comme la licence des mœurs, l'affaiblissement des valeurs traditionnelles naguère incontestées, l’autorité et le respect des parents, l’amour de l'enfant, l’hospitalité. Certains chrétiens, surtout les étudiants et les intellectuels, commençaient à se poser des questions sur les conséquences des valeurs du christianisme. Quelques Gabonais furent tentés de fonder une religion typiquement gabonaise. Cette religion gabonaise est le « Bwiti syncrétique » qui s'est répandu dans la région de l'Estuaire, plus précisément à Libreville et ses environs et dans certaines contrées du Nord Gabon. Le Bwiti syncrétique, d'après les études d'André Mary, est un mélange des rites et croyances du bwiti originel, pratiqué par des peuples habitants le Centre du Gabon comme les Apindjis et les Tsoghos, avec les objets et les éléments de la foi catholique 391 .

Le mal le plus grave, à la lecture des rapports du personnel religieux, après l'indépendance a été la rareté des foyers chrétiens. Après un siècle de christianisation, le mariage chrétien n'était toujours pas intégré dans les mœurs. Avant 1958, l'autorité missionnaire pouvait imposer aux baptisés de renoncer au concubinage. Mais après l'indépendance toute contrainte était devenue impossible à cause des mutations de la société.

Le « mariage coutumier » qui exigeait la "dot" commençait à disparaître au profit du « mariage à l'essai » ou concubinage qui pouvait durer toute la vie. Plusieurs paroisses enregistraient parfois un seul mariage dans l'année, alors que les baptêmes et les confirmations étaient toujours croissants.

Entre 1965 et 1970 dans l'archidiocèse de Libreville, par exemple, selon les données du Rapport quinquennal, il y avait eu 6.479 baptêmes d'adultes, et 13.948 baptêmes d'enfants pour 725 mariages catholiques, 33 mariages mixtes et 417 mariages naturels confirmés 392 .

La montée du mariage à l'essai était accompagnée par un autre défi, présent depuis des générations, celui de la polygamie que la période des missions n'avait pas réussi à faire disparaître. La polygamie avait survécu au Gabon après l'indépendance parce que le code civil la reconnaissait. Du point de vue de l'Eglise du Gabon cette reconnaissance n'apportait pas la stabilité au mariage chrétien. La polygamie et le mariage à l'essai ou concubinage éloignaient de l'Eglise peu à peu ceux qui n'étaient pas en règle. Ils finissaient par perdre tout contact avec elle 393 .

Notes
388.

Témoignage oral, Entretiens avec le Père Sillard février et mars 2000 à Chevilly.

389.

Les mutations sociales (la mentalité occidentale), démographiques (exode rurale), économiques (coût de la vie) et politiques (la décolonisation) voir articles de Marché tropicaux sur le Gabon

390.

Une expression locale. C'est à dire des chrétiens de façade qui justifient leur foi par le fait qu'ils avaient fait leurs sacrements. Ce terme fait opposition au chrétien pratiquant. Les chrétiens du bout des lèvres, au Gabon, se caractérisent par un absentéisme notoire au service dominicale et bien d'autres activités. Toutefois, malgré l'émergence de ce genre de chrétiens, il ne se pose pas encore le problème de la fréquentation dominicale au Gabon. Au contraire les églises sont pleines en milieu urbain et les chrétiens demandaient d'en construire d'autres.

391.

Le bwiti à surtout fait parlé de lui dans les années 1970. Nous en parlons encore dans le chapitre sur la situation du catholicisme au Gabon de 1970 à 1995.

392.

AAL, Archives Archidiocèse de Libreville, Rapport Quinquennal 1965-1970 pp. 26et 28

393.

DOCOPM, Dossier Gabon N° 347: L'Eglise du Gabon indépendant repense ses méthodes et son implantation "L'heure de la vérité pour les prêtres et pour la chrétienté " 1965